mercredi 17 novembre 2021

[Knossow, Jessica] La jongleuse

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : La jongleuse

Auteur : Jessica KNOSSOW

Parution : 2021 (Denoël)

Pages : 128

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ses proches l’avaient prévenue. Ophélie devra jongler entre sa carrière, sa vie d’épouse et de mère. Mais personne ne lui avait dit qu’il faudrait jongler avec les fragments de son existence morcelée.

Perfectionniste et investie, Ophélie renvoie une image parfaite : mère épanouie, médecin accompli, épouse dévouée. Pourtant, face au miroir, elle ne se reconnaît plus. Où est-elle ? Qui est-elle ? Au fil des mois, Ophélie s'enlise. Il n’y a que dans le reflet de l’eau qu’elle semble s’apaiser, se reconnaître, au risque de s’y perdre.
A travers le parcours d’Ophélie, mère tragique tiraillée entre souffrances intimes et désir d’excellence, se dessine le portrait saisissant d’une femme des temps modernes.

  

Un mot sur l'auteur : 

Jessica Knossow est médecin à l'Institut Curie. La jongleuse est son premier roman.

 

 

Avis :

Ophélie semble avoir tout pour elle : un époux attentionné, trois beaux enfants en bonne santé, un poste de médecin dans un service de cancérologie d’un grand hôpital parisien. Pourtant, depuis qu’elle a repris son activité professionnelle après la naissance du petit dernier, rien ne va plus. Alors qu’elle jongle jusqu’à l’épuisement entre ses rôles de mère, d’épouse et de médecin, tout semble lui échapper, comme si, malgré tous ses efforts, elle ne parvenait plus qu’à tout faire à moitié. La frustration, puis la colère et la rancune, l’investissent peu à peu, la précipitant vers le drame.

Toutes les femmes partagées entre leur vie familiale et leur activité professionnelle se reconnaîtront dans les tiraillements vécus par Ophélie. Même en s’investissant corps et âme pour répondre à l’ensemble de ses obligations, la jeune femme ne peut rivaliser, sur leur terrain de prédilection, ni avec les mères au foyer, ni avec ses collègues masculins investis dans leur seule carrière. Cette réalité rattrape soudain la jeune femme, dans un sentiment mêlé de culpabilité et d’injustice d’autant plus lourd, que personne autour d’elle ne semble réaliser la hauteur de ses exploits quotidiens, les trouve même tout à fait naturels sans penser à y prendre la moindre part, et qu’au final, elle se fait damer le pion sur tous les tableaux, familial, professionnel et personnel.

De son écriture fluide et directe, l’auteur réussit à nous faire toucher du doigt la frustration croissante d’Ophélie, son épuisement et sa révolte face à l’éternel déséquilibre qui plombe le rôle des femmes, puisqu’elles seules, le plus souvent, ont à gérer simultanément toutes les sphères de l’existence. La brièveté du récit ne lui permet toutefois pas de creuser suffisamment ses personnages, notamment la relation d’Ophélie à ses parents et l’impact de la mort de sa sœur, laissant le soin au lecteur de faire lui-même la relation avec une issue qui pourrait paraître d'autant plus exagérément tragique que la tension dramatique n’était pas jusqu’ici la priorité narrative.

Ce premier roman s’avère une lecture agréable, peut-être un peu expéditive dans son ensemble et excessive quant à son dénouement, mais en tous les cas une illustration parlante de ce qui transforme les femmes d’aujourd’hui en jongleuses du quotidien. (3/5)

 

Citations :

Il y a quelques années, j’étais seule. Le flot de mes pensées était une onde isolée. Une voix nette, claire, perceptible par moi, comprise par les autres. Depuis les enfants elle s’est enrichie, est devenue plurielle. Plusieurs fréquences se superposent, côtoient la mienne, la recouvrent. Le concert est tantôt harmonieux, tantôt dissonant, mais puissant et continu, ininterrompu.
Le vacarme est tel que je ne m’entends plus penser.
Jules pleure, je pleure. Manon a faim, j’ai faim. Emma rit, je ris. Mon empathie, condition de leur survie, est absolue. Impossible de la réguler, je ne m’appartiens plus.
Le vacarme est tel que je ne m’entends plus parler.
’ai eu un espoir, pourtant. Quand Emma a grandi, quand elle a prononcé ses premiers mots. Sa voix, j’en étais sûre, allait se défaire de la mienne, se distinguer, se singulariser, puisqu’à présent elle pouvait s’exprimer. Il n’en a rien été. Elle s’est accrochée, elle s’est fixée.
Le vacarme est tel que je ne m’entends plus rire, je ne m’entends plus pleurer.

Le virevoltant, cette plante sèche bien connue des westerns, une fois mûr, se détache de sa racine et tourbillonne au gré du vent. Il s’arrondit en roulant et emporte avec lui tout ce qui s’y accroche. La colère d’Ophélie est de cette espèce. On ne sait ce qui l’a fait naître, quel souffle intime la fait cheminer, mais on l’a vue s’épaissir, se garnir, s’alimenter d’événements mineurs, de conversations anodines, de contrariétés quotidiennes. Elle a enflé jusqu’à devenir parfaitement autonome et n’a plus besoin d’incidents pour exister. La colère sans objet est devenue la colère de tous les objets. Elle emporte tout. Elle s’emporte contre tout.

Comme ses amies, Ophélie n’a jamais été mue par le combat féministe. Elle n’en a pas eu besoin. Elle est née avec le droit de vote, a eu accès aux mêmes études que les garçons de son lycée, et s’est mariée avec un contrat de séparation de biens. Longtemps elle a cru à la complémentarité des deux sexes, à l’amour de la différence. Mais l’arrivée des enfants a altéré sa représentation de l’homme, a entaché son portrait, par petites touches, si bien qu’à l’arrivée du troisième enfant elle n’identifie plus qu’un personnage grossier sans contour. Et, à son égard, elle a accumulé des revendications. Des envies d’en découdre.

Un chef peu intrusif, distant, qui fait confiance à son équipe et souhaite avant tout éviter les conflits. Mais quand la hiérarchie verticale est absente, mieux vaut se méfier de ses collègues. Le danger est horizontal.


 

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