mercredi 16 décembre 2020

[Cummins, Jeanine] American Dirt

 


 

Coup de coeur 💓

 

Titre : American Dirt

Auteur : Jeanine CUMMINS

Traductrices : Françoise ADELSTAIN
                          et Christine AUCHE
 

Parution : en anglais (USA)
                   et en français en 2020

Editeur : Philippe Rey

Pages : 544

 

 

   

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Libraire à Acapulco au Mexique, Lydia mène une vie calme avec son mari journaliste Sebastián et leur famille, malgré les tensions causées dans la ville par les puissants cartels de la drogue. Jusqu’au jour où Sebastián, s’apprêtant à révéler dans la presse l’identité du chef du principal cartel, apprend à Lydia que celui-ci n’est autre que Javier, un client érudit avec qui elle s’est liée dans sa librairie… La parution de son article, quelques jours plus tard, bouleverse leur destin à tous.

Contrainte de prendre la fuite avec Luca, son fils de huit ans, Lydia se sait suivie par les hommes de Javier. Tous deux vont alors rejoindre le flot de migrants en provenance du sud du continent, en route vers les États-Unis, devront voyager clandestinement à bord de la redoutable Bestia, le train qui fonce vers le Nord, seront dépouillés par des policiers corrompus, et menacés par les tueurs du cartel…

Porté par une écriture électrique, American Dirt raconte le quotidien de ces femmes et de ces hommes qui ont pour seul bagage une farouche volonté d’avancer vers la frontière. Un récit marqué par l’instinct de survie de Lydia, le courage de Luca, ainsi que par leur amitié avec Rebeca et Soledad, deux sœurs honduriennes, fragiles lucioles dans les longues nuits de marche…
Hymne poignant aux rêves de milliers de migrants qui risquent chaque jour leur vie, American Dirt est aussi le roman de l’amour d’une mère et de son fils, qui au cœur des situations tragiques ne perdent jamais espoir. Un livre nécessaire à notre époque troublée.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Jeanine Cummins vit à New York avec son mari et leurs trois enfants. Elle a publié trois romans, dont American Dirt est le premier traduit en français.

 

 

Avis :

La narratrice Lydia, libraire à Acaculpo, voit sa vie voler en éclats lorsqu’un article publié par son mari journaliste déclenche les sanglantes représailles du cartel de la drogue qui vient d’asseoir son emprise sur la ville. Contrainte à une fuite éperdue avec son fils de huit ans, elle se joint aux migrants qui traversent le pays pour tenter de rejoindre les Etats-Unis : un périple aux mille dangers souvent fatals…

Diaboliquement haletant, le récit jette d'emblée et sans répit le lecteur dans un état d'angoisse proche de la paranaoïa. Dans un Mexique décrit comme corrompu et transi par la peur des violences et des meurtres orchestrés par des organisations mafieuses toutes puissantes, il semble impossible d’échapper à des tueurs qui disposent de complicités dans tous les rouages de la société. C’est dans une terrifiante chasse à l’homme que nous entraîne l’auteur, pimentant à l’extrême un road trip déjà immensément périlleux pour les migrants « ordinaires ».

Tremblant ainsi particulièrement pour la vie des deux personnages principaux, nous voici embarqués aux côtés de ceux qui ont tout perdu et qui, en provenance de tout le sud de la péninsule américaine, tentent de gagner el norte. Ce sont spécialement les femmes que le récit nous fait côtoyer, nous les montrant doublement exposées aux violences dans un pays où l’on ne compte plus leurs disparitions. Meurtres, viols, rackets, mais aussi les émouvants coups de pouce de la solidarité, jalonnent un parcours dont les temps forts sont les périlleuses étapes à bord de la bestia, ce train de marchandises pris en marche par les clandestins, et la redoutable traversée à pied du désert du Sonora, en compagnie d’un coyote payé à prix d’or.

La parution d’American Dirt aux Etats-Unis a soulevé une polémique sur la légitimité d’une New Yorkaise blanche à écrire sur la souffrance des migrants. Taxé d’appropriation culturelle, cet ouvrage à gros budget est accusé de faire de l’ombre aux authentiques auteurs latino-américains qui, faute d’armes commerciales aussi puissantes, peinent à faire entendre leur voix et celles des migrants. On lui reproche aussi de convoyer une image partiale et dépréciatrice du Mexique, imaginée depuis le côté le plus confortable du mur. Il est vrai que le roman a fait le choix de ne pas lésiner sur le sensationnel susceptible de renforcer la tension dramatique, amplifiant notamment les épreuves de ses personnages au moyen d’une intrigue, bien menée mais tout à fait improbable, entre Lydia et le chef du cartel. Diablement efficace quant à son suspense addictif, cet aspect de l’histoire semble davantage motivé par l'envie de distraire le lecteur que par une quelconque préoccupation politique ou humanitaire. Quelques « inconvenances » dans la promotion américaine du livre peuvent également renforcer l’impression d’un livre plus commercial qu’engagé. Malgré tout, je ne pense pas ressortir de cette lecture avec une pire image du Mexique qu’après avoir lu le très fiable et terrible 2666 de Roberto Bolaño. Manifestement documenté et bien mené, ce très prenant American Dirt ne peut, à sa manière, que contribuer à sensibiliser un plus large public à l’enfer des migrants latinos qui tentent de rejoindre les Etats-Unis, puis d'y rester. C’est en tout cas le roman le plus haletant que j’aie lu depuis longtemps. Coup de coeur. (5/5)


Citations :  

Le taux d’affaires criminelles non résolues au Mexique dépasse les quatre-vingt-dix pour cent. L’existence d’une policía en tenue constitue un contrepoids illusoire à l’impunité réelle du cartel. Lydia le sait. Tout le monde le sait.

Le bus longe les bas-côtés aux arbres tordus et les parois rocheuses désolées aux allures de cicatrice là où la route fend le paysage, et Lydia se rend compte qu’ils ont déjà atteint Ocotico. Elle prie pour qu’il n’y ait pas de barrage entre ici et Mexico, mais elle sait que c’est impossible. Avant même la chute d’Acapulco, les barrages routiers dans le Guerrero, comme dans la majeure partie du pays, étaient devenus une menace. Montés par des gangs, des narcotraficantes ou des policiers (qui peuvent aussi être des narcos) ou des soldats (également peut-être des narcos), ou, récemment, par des autodefensas, qui sont des milices organisées par les habitants de certaines villes pour se protéger des cartels. Lesquelles autodefensas peuvent être aussi, bien entendu, des narcos.

Les traumatismes attendent le calme pour se manifester. Lydia se fait l’effet d’un œuf fêlé et ne sait pas si elle est la coquille, le jaune ou le blanc.

Les mots, quel que soit l’amour qu’on leur porte, sont parfois totalement insuffisants.

Au loin, derrière cette colline, se dresse une centaine d’autres collines, et probablement encore une centaine derrière elles, qu’ils ne voient pas parce qu’elles s’étagent, de plus en plus hautes, de plus en plus aiguisées et redoutables. Le soleil les fend d’éclairs d’une luminosité folle. Les pentes sont couvertes d’herbes dorées couchées par le vent, de plantes épineuses et d’arbres rabougris. Il y a partout d’énormes rochers, rivés aux failles, perchés sur des saillies branlantes, rassemblés dans des creux comme des familles inflexibles. Certains rochers sont si gigantesques qu’ils font paraître naines les collines qu’ils dominent. Au-dessus d’eux, le ciel impitoyable véhicule des nuages qui modifient la lumière, s’amusent à jouer des tours, rendant impossible de jauger les distances mais ne recouvrant jamais le globe brûlant et implacable du soleil.

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