J'ai beaucoup aimé
Titre : L'enfant dans le taxi
Auteur : Sylvain PRUDHOMME
Parution : 2023 (Minuit)
Pages : 224
Présentation de l'éditeur :
« Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de
printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que
Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement
quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas
convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher
simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la
fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout
indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je
sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près
du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui. »
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Sylvain Prudhomme est né en 1979. Il est l’auteur d’une dizaine de livres parmi lesquels Par les routes (Prix Femina 2019), Les Grands et Les Orages (L’Arbalète), tous salués par la critique et traduits à l’étranger.Avis :
« Depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de parler, jamais de se taire. » A l’enterrement de son grand-père, le narrateur Simon apprend fortuitement ce que sa parentèle a toujours feint d’ignorer pour ne pas faire de vagues : l’existence d’un fils caché du patriarche défunt, conçu outre-Rhin, sur les bords du lac de Constance, alors qu’il faisait partie des forces d’occupation alliées en Allemagne au lendemain de la seconde guerre mondiale. Pas encore cicatrisé de sa récente séparation d’avec la mère de ses deux fils, Simon n’a plus qu’une idée en tête : raccommoder l’histoire familiale en dénouant les nœuds du secret toujours farouchement gardé par sa désormais fragile mais inflexible grand-mère.
Qui est donc M., à ce point effacé par le déni familial qu’on voulut à peine le recevoir lorsque, adolescent, il débarqua un jour d’un taxi tout droit venu d’Allemagne, dans l’espoir de connaître son père ? Que se passa-t-il, ce vieil hiver sur la rive allemande du lac de Constance, sur quoi ce père décida si fermement de tirer un trait définitif ? Interrogeant ses oncles et tantes, Simon recueille allusions réticentes et confidences étouffées, qui révèlent en creux, comme après une amputation diffusant d’incompréhensibles douleurs fantômes, l’informe mais obsédante présence de celui qui ne s’appréhende pourtant que par le vide et l’absence.
Car, si aucun n’en parle jamais, s’en tenant prudemment au silence et au déni comminatoires de leurs parents sans même envisager de le connaître un jour, les quatre frères et sœurs ont tout à fait conscience que, quelque part au-delà de la frontière d’un interdit tacite, vit un demi-frère à qui l’on a refusé tout contact avec eux. Un parmi les 400 000 enfants, objets de brimades et réceptacles malgré eux de culpabilité et de honte, parce que nés après-guerre de soldats des forces alliées et de femmes allemandes.
Passant outre les décennies d’interdits, Simon s’emploie à déplier les circonvolutions du secret, reconstituant le passé sous une forme plausible, se lançant avec ses enfants dans une quête aux allures de jeu de piste qui, d’erreurs en nouvelles tentatives, les mène aux abords du lac de Constance, réhabilitant le fantôme familial qui trouve enfin chair et visage et transmutant définitivement l’absence en présence. Rédigée à la première personne, la recherche de l’autre est aussi une quête de soi dans un moment de profond questionnement, une histoire de pères et de fils qui parfois se perdent, mais s’aimant toujours d’une certaine façon, finissent par se trouver, unis par la force de liens que l’auteur pressent indestructibles.
Avec ce roman intimiste au phrasé sensible et délicat, Sylvain Prudhomme sonde avec tact les silences familiaux, quand la vérité se fait autant désirer que redouter, mais se transmet quoi qu’il arrive, de génération en génération, sous une forme plus ou moins consciente et fantasmée. Un très beau roman, fluide et lumineux, résolument optimiste quant à la force de résurgence de l’amour, sous une forme ou une autre. (4/5)
Qui est donc M., à ce point effacé par le déni familial qu’on voulut à peine le recevoir lorsque, adolescent, il débarqua un jour d’un taxi tout droit venu d’Allemagne, dans l’espoir de connaître son père ? Que se passa-t-il, ce vieil hiver sur la rive allemande du lac de Constance, sur quoi ce père décida si fermement de tirer un trait définitif ? Interrogeant ses oncles et tantes, Simon recueille allusions réticentes et confidences étouffées, qui révèlent en creux, comme après une amputation diffusant d’incompréhensibles douleurs fantômes, l’informe mais obsédante présence de celui qui ne s’appréhende pourtant que par le vide et l’absence.
Car, si aucun n’en parle jamais, s’en tenant prudemment au silence et au déni comminatoires de leurs parents sans même envisager de le connaître un jour, les quatre frères et sœurs ont tout à fait conscience que, quelque part au-delà de la frontière d’un interdit tacite, vit un demi-frère à qui l’on a refusé tout contact avec eux. Un parmi les 400 000 enfants, objets de brimades et réceptacles malgré eux de culpabilité et de honte, parce que nés après-guerre de soldats des forces alliées et de femmes allemandes.
Passant outre les décennies d’interdits, Simon s’emploie à déplier les circonvolutions du secret, reconstituant le passé sous une forme plausible, se lançant avec ses enfants dans une quête aux allures de jeu de piste qui, d’erreurs en nouvelles tentatives, les mène aux abords du lac de Constance, réhabilitant le fantôme familial qui trouve enfin chair et visage et transmutant définitivement l’absence en présence. Rédigée à la première personne, la recherche de l’autre est aussi une quête de soi dans un moment de profond questionnement, une histoire de pères et de fils qui parfois se perdent, mais s’aimant toujours d’une certaine façon, finissent par se trouver, unis par la force de liens que l’auteur pressent indestructibles.
Avec ce roman intimiste au phrasé sensible et délicat, Sylvain Prudhomme sonde avec tact les silences familiaux, quand la vérité se fait autant désirer que redouter, mais se transmet quoi qu’il arrive, de génération en génération, sous une forme plus ou moins consciente et fantasmée. Un très beau roman, fluide et lumineux, résolument optimiste quant à la force de résurgence de l’amour, sous une forme ou une autre. (4/5)
Citations :
(…) depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de parler, jamais de se taire.
Qui n’est pas d’accord pour convenir que la paix est précieuse, que tous ceux qui la troublent sont toujours des importuns, des inconvenants, des fâcheux. Le problème n’était-il pas plutôt que la paix soit l’autre nom du déni.
En quelques clics j’ai appris son métier : Antiquitätenhändler, antiquaire, brocanteur. Il apparaissait peu sur internet, avait peut-être cessé d’exercer. Mais il disposait toujours d’une adresse professionnelle dans le centre. J’ai songé à tout ce que cela changeait : M. non plus chauffeur de bus mais marchand d’objets de seconde main. Non plus homme sociable familier de tous les habitants du bourg, habitué à véhiculer les uns et les autres, mais solitaire habitué à côtoyer surtout des choses, à les racheter, les revendre. M. l’orphelin de père entouré d’objets eux-mêmes comme en suspens, sur le point de changer de mains, d’entamer une nouvelle vie. M. l’enfant abandonné qui avait fait profession de s’entourer d’articles délaissés, de veiller sur eux, de découvrir ce qui s’y cachait de valeur inaperçue pour les sauver.
Il y a eu 400 000 enfants comme M. 400 000 enfants allemands nés de soldats alliés.
J’ai encore attendu quelques secondes et puis j’ai reçu ces mots : 400 000 dont moi. Je ne te l’ai jamais dit mais moi aussi je suis un M. Moi aussi je suis né en 1946, d’une mère allemande et d’un père allié.
J’ai songé au mot qui servait communément à nommer les M. et les Franz : des bâtards. J’ai écouté le son glorieux que faisaient ces deux syllabes. J’ai pensé que naître bâtard c’était savoir d’avance que les autres ne vous feraient pas de cadeau. C’était apprendre d’emblée le grand partage entre ceux qui osaient nommer les choses et ceux qui préféraient les taire. Naître bâtard c’était gagner du temps, mûrir à vitesse accélérée, apprendre à composer dès les premiers pas avec le boitement inévitable de la vie. C’était grandir plus courageux, plus honnête avec soi-même et avec la vie, tout simplement plus vrai. N’était-ce pas ce que l’on disait des chiens bâtards : qu’ils étaient beaucoup plus intelligents que tous les chiens de race. Que pour eux la débrouille était question de survie.
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