Affichage des articles dont le libellé est Innocence. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Innocence. Afficher tous les articles

mardi 12 mars 2024

[Nevo, Eshkol] Turbulences

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Turbulences
            (
Guéver nikkhnas bapardès)

Auteur : Eshkol NEVO

Traduction : Jean-Luc Allouche

Parution : 2021 en hébreu,
                   2024 en français (Gallimard)

Pages : 336

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Une lune de miel en Amérique du Sud tourne au cauchemar. Un médecin-chef d’un hôpital de Tel-Aviv se sent étrangement proche d’une jeune femme de son service jusqu’à éprouver le besoin impérieux de la protéger. Un couple marié a pour habitude de se promener le samedi matin dans un verger à la périphérie de la ville, mais lorsque l’homme entre pour un instant dans le jardin, il disparaît sans laisser de traces.
Trois histoires d’amour turbulentes et non conventionnelles s’entrecroisent et nous plongent dans l’énigme qui se trouve au cœur de toute intimité. Sans délaisser l’ironie si caractéristique de son écriture, Eshkol Nevo fouille les relations humaines en utilisant habilement les mécanismes du thriller.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Eshkol Nevo, né en 1971, travaille et vit avec sa femme et ses enfants près de Tel-Aviv. Tous ses romans ont paru aux Éditions Gallimard. Publié dans le monde entier, acclamé par la critique et le grand public dans son pays, Eshkol Nevo est aujourd’hui considéré comme l’une des voix les plus originales de la scène littéraire internationale.

 

 

Avis :

Ne serions-nous qu’ambivalences, Janus aux contiguïtés équivoques toujours prêtes à nous faire basculer malgré nous dans la noirceur de drames aussi complexes que sournois ? En trois courtes histoires unies par un lien ténu, l’auteur israélien peint doutes, contradictions et déchirements intimes craquelant si bien la banalité quotidienne que la vie ressemble à un champ miné plus ou moins consciemment par nos propres actes.

Comme pris au hasard dans une foule où ils se croisent sans se connaître, l’un simple figurant dans le récit de l’autre, trois narrateurs israéliens, secoués par les événements qu’ils ont malgré eux aidés à faire chavirer leur vie, se livrent chacun à une sorte de confession, hagarde et douloureuse, de rescapés meurtris affrontant leur part de responsabilité avec une lucidité souvent toute relative. Un quadragénaire fraîchement divorcé ne parvient toujours pas à admettre la terrible manipulation à laquelle, aveuglé par son désir d’amour, il s’est laissé prendre. Un médecin-chef vieillissant accusé de harcèlement sexuel continue à se persuader du caractère protecteur de son attachement à une jeune interne. Une femme cherche dans le passé ce qui pourrait expliquer la disparition de son mari, mystérieusement volatilisé au cours d’une promenade.

Avec pour ressorts suspense et angoisse, savamment entretenus dans le développement de ces faits divers dramatiques où les narrateurs s’observent rétrospectivement s’empêtrer dans leurs irrépressibles erreurs, leur raison si bien dépassée par leurs désirs que même a posteriori, et contre les évidences, la clairvoyance leur fait encore partiellement défaut, ces tranches de vie parallèles sont semblablement parcourues par les courants souterrains qui, serpentant dans nos inconscients, transforment nos vies en dangereux culs-de-grève susceptibles de s’effondrer à tout moment.

C’est ainsi qu’une fois assemblées, ces trois histoires qui, séparément, pourraient n’être considérées que sous l’angle du thriller, la dernière teintée d’onirisme fantastique, dessinent en filigrane une sorte de peinture sociale, traversée d’ironie et d’inquiétude, qui, faisant écho à d’autres ouvrages récents d’auteurs israéliens, comme Stupeur de Zeruya Shalev, vient elle aussi souligner combien la société israélienne vit de tensions profondes.

Un livre troublant et brillant, où les déboires intimes et individuels, vécus dans l’incrédulité et le déni, révèlent entre les lignes le désarroi né des turbulences de l’histoire collective israélienne. (4/5)

 

 

Citations :

Le monde se partage en deux catégories d’individus : ceux qui ont des enfants. Et ceux qui n’en ont pas. Et seule une femme qui n’a pas d’enfants était capable de demander à quelqu’un qui en a de se mettre en danger en sa faveur, de cette façon.

Je me suis dit que, dans le regard d’Orna, surtout pendant les dernières années, je voyais toujours ce que je n’étais pas. Et dans celui de Mor, je découvrais ce que j’étais réellement. Or, un homme devient, avec le temps, ce qu’on perçoit en lui.

« Certains parents aiment leurs enfants de bas en haut, et d’autres de haut en bas. » Autrement dit, certains parents désirent d’abord calmer leurs propres angoisses, et ce n’est que lorsqu’ils sont rassurés qu’ils peuvent se sentir libres de s’émerveiller de leurs enfants. Et d’autres qui ont besoin avant tout de s’émerveiller de leurs enfants, et ce n’est qu’alors qu’ils sont prêts à voir ce qui cloche tout de même.

La musique est l’appât au bout de la gaule plongée dans les tréfonds de notre âme, qui en fait remonter tout ce qui est noyé.

 

mardi 29 octobre 2019

[Andrea Jean-Baptiste] Ma reine






 

Coup de coeur 💓

Titre : Ma reine

Auteur : Jean-Baptiste ANDREA

Année de parution : 2017

Editeur : L'Iconoclaste

Pages : 240






 

 

Présentation de l'éditeur :

Shell n’est pas un enfant comme les autres. Il vit seul avec ses parents dans une station-service. Après avoir manqué mettre le feu à la garrigue, ses parents décident de le placer dans un institut. Mais Shell préfère partir faire la guerre, pour leur prouver qu’il n’est plus un enfant. Il monte le chemin en Z derrière la station. Arrivé sur le plateau derrière chez lui, la guerre n’est pas là. Seuls se déploient le silence et les odeurs de maquis. Et une fille, comme un souffle, qui apparaît devant lui. Avec elle, tout s’invente et l’impossible devient vrai.

Jean-Baptiste Andrea livre ici son premier roman. Ode à la liberté, à l’imaginaire, et à la différence, Ma reine est un texte à hauteur d’enfants. L’auteur y campe des personnages cabossés, ou plutôt des êtres en parfaite harmonie avec un monde où les valeurs sont inversées et signe un récit pictural aux images justes et fulgurantes qui nous immerge en Provence, un été 1965
.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Il est réalisateur et scénariste. 
Ma reine est son premier roman.


Avis :

1965. Exclu de l’école pour rejoindre bientôt un établissement spécialisé, Shell, douze ans et différent, décide de prouver qu’il n’est plus un enfant en partant faire la guerre. Sa fugue le conduit dans les hauteurs qui surplombent la station-service où il vit avec ses parents, dans les Alpes de Haute-Provence. Il y fait deux rencontres : une fille de son âge, en qui il ne tarde pas à voir la grande amie qu’il n’a jamais eue et pour qui il serait prêt à tout, et un vieux berger solitaire qui a ses raisons de se faire discret dans le maquis.

Comme dans Cent millions d’années et un jour, les protagonistes de Jean-Baptiste Andrea préfèrent quitter leur triste quotidien dans la vallée et le rude monde des hommes ordinaires, pour courir après leurs rêves et chercher la paix dans la solitude de la montagne. Dans les deux livres, le conte s’avère bien cruel et le prix à payer exorbitant.

L’innocence de Shell nous ouvre les portes d’un univers de tendresse et de fraîcheur, où, le temps d’une parenthèse que l’on sait bien devoir se refermer, comme une sorte de moment de grâce fragile et fugace, s’épanouit un amour pur et lumineux, touchant et merveilleux. Comme on aimerait faire durer ces instants et protéger la candeur de Shell de l’inévitable retour à la réalité ! Mais le serrement de coeur prémonitoire du lecteur se terminera bien dans les larmes.

Shell n’est-il pas l’incarnation de l’enfant tué en chacun d’entre nous, forcé de grandir et de perdre son innocence et ses illusions à son entrée dans l’âge adulte ? La mort est-elle le prix qu’il faut être prêt à payer pour préserver ses rêves ?

Ce premier roman court et poétique, beau et cruel, porte déjà les germes d’une thématique qui semble chère à l’auteur, explorée ici à l’émouvante hauteur d’un enfant plus vulnérable que les autres. Coup de coeur. (5/5)


Citations :

À la récréation je restais tout seul et lui aussi alors à force, on s’était dit que tant qu’à faire, autant rester tout seuls ensemble.

Autrefois à l'école tout le monde était meilleurs amis sauf moi. C'était comme une grosse boule d'amitié autour de laquelle je tournais sans jamais pouvoir rentrer.

Dès qu'il avait refermé la porte, j'étais allé écouter, j'avais appris à la maison que c'était comme ça qu'on entendait les choses les plus intéressantes, les gens parlaient mieux derrière les portes.

Je mourais d'envie de dire "Alors ?" mais c'était le genre de mot qui appelait les mauvaises nouvelles, je l'avais appris très tôt. Alors le directeur dit que tu peux plus aller à l'école. Alors ta grand-mère t'aime beaucoup mais elle est partie. Alors non, le père Noël n'existe pas. Des "alors" comme ça, j'en avais une liste longue comme le bras.

Il était étroit, même de face il avait l'air de profil.

Il faisait chaud. Ici dans la vallée l'été n'avait pas l'air de savoir qu'il allait bientôt devoir s'en aller. Personne ne lui avait rien dit et il s'était installé confortablement, un peu comme moi, sans penser très loin.

J'ai voulu expliquer tout ça à Viviane et j'ai dit un truc comme :
- Haaaaaan.
Voilà, quand je voulais dire quelque chose d'immense, ça finissait toujours tout petit.

Ca ne me posait pas de problème, attendre m'occupait déjà assez comme ça, j'avais toujours eu du mal à me concentrer sur deux choses à la fois.



Du même auteur sur ce blog :



 

 
.