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Titre : Malu à contre-vent
Auteur : Clarence ANGLES SABIN
Parution : 2025 (Le Nouvel Attila)
Pages : 192
Présentation de l'éditeur :
Entre les trois collines qui l’ont vue
naître, Malu se bat contre le temps qui passe et emporte tout sur son
passage : l’odeur de la terre, les souvenirs des êtres chers, et son
insouciance. Flanquée d'un père taiseux et d'une grand-mère qui perd la
mémoire, Malu découvre un monde qui va la faire grandir plus vite
qu’elle ne l’aurait voulu. Aux différents éléments qui la cernent – les
orages et les canicules, la maladie et la solitude – elle oppose des
gestes de résistance. Un huis-clos familial où, telle une Antigone
moderne, l’héroïne compose avec la fin d’une nature idyllique pour ne
pas périr avec elle.
« Elle avait le monde tout à elle. »
« Elle avait le monde tout à elle. »
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Clarence Angles Sabin, vingt-huit ans,
travaille dans l’édition de revues scientifiques. Originaire de
l’Aveyron, elle est fille, petite-fille et arrière-petite-fille
d’agriculteurs. C'est dans les paysages qui ont bercé son enfance
qu'elle puise son inspiration et nourrit son écriture sensible et
ombrageuse.
Avis :
Malu a douze ans, mais en réalité bien plus au vu de ce qu’elle endosse au quotidien dans sa lutte contre l’écroulement de son monde. Son univers, face auquel le large monde et notamment celui de l’école ne pèsent rien, tient tout entier entre les trois collines qui abritent de moins en moins bien la ferme du Bosquet où, avec sa grand-mère et son père, ils élèvent des brebis.
Une vie de labeur acharné, avec au temps des grands-parents la satisfaction de l’autarcie et de la transmission au fils, mais qui, au fil des ans, devient de plus en plus précaire. Un grand dérèglement est passé par là, desséchant les pâturages pour mieux les dévaster de ses coulées de boue, décimant les bêtes à grands coups d’épidémies et poussant l’adolescente, comme pour conjurer la mort, à transformer secrètement la colline en cimetière pour agneaux.
Cet été-là, les catastrophes s’enchaînent, enfermant son père dans un silence fait d’épuisement et d’anxiété, ne laissant bientôt plus place qu’au vent dans la tête cambriolée par Alzheimer de sa grand-mère et pulvérisant chez Malu la coquille de l’enfance. Alors, préférant croire de toutes ses forces que rien n’est inéluctable et que la vie à trois au Bosquet a encore de beaux jours, l’enfant trop tôt promulguée femme s’active à colmater tout ce qu’elle peut, endossant le poids de responsabilités toujours plus lourdes pour tenter de gommer le naufrage qui s’annonce. Mais, pas plus qu’on ne refuse la mort en alignant des sépultures, fussent-elles d’agneaux, telle Antigone Malu ne pourra pas échapper à la tragédie qui se déploie. Un ultime coup dur l’attend là où elle ne l’attendait pas, pour une conclusion bouleversante.
Plus doux-amer que véritablement âpre, ce livre habité et crépusculaire dont la langue vibre de la beauté indifférente des collines et de l’intensité de la vie agricole, a beau refuser de se résigner, l’on ne retient pas l’eau du temps avec les doigts. Au lecteur d’imaginer l’avenir de Malu, forcément loin du Bosquet qui bornait son univers. C’est une noirceur triste et douce, rehaussée d’une profonde affection pour ses personnages si humains et touchants que le temps arrache les uns aux autres en même temps qu’à leur terre, qui reste en bouche lorsque l’on referme ce beau premier roman, tendre et cruel à la fois. (4/5)
Citations :
Ce qu’elle considérait comme assuré jusqu’alors ne l’était plus. Grandir était reconnaître que nos bases sont précaires et instables, assumer le coût de l’éphémère. Elle le voyait en regardant son père : on vieillit sans certitude. Son socle sûr, son triangle fortifié, le Bosquet et ses habitants, se délitait face aux affres du temps. Il ne résistait pas beaucoup plus fortement que les branches des arbres au souffle du vent d’autan.
En racontant son histoire, sa grand-mère avait aligné une cinquantaine de pots sur la table du fond qu’elle avait remplis à une cadence industrielle. Il y avait quelque chose d’enivrant dans ce manège. Quand on perd la tête, nos mains prennent le relais. Elles sont les chroniques de notre vie. Si notre cerveau oublie, elles se souviennent. Elles portent les cicatrices du passé et les plaies du présent. Elles tâtonnent mais finissent toujours par retrouver le fil du savoir et de la connaissance, si élimé soit-il. Les mains de sa grand-mère étaient ridées de souvenirs, mais rosées d’espoir. Elles la reliaient à la vie, à la cave, à elle, au Bosquet. A tout ce qui reste, quand ce qui était n’est plus.
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