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Titre : L’honorable collectionneur
(De eerlijke vinder)
Auteur : Lize SPIT
Traduction : Emmanuelle TARDIF
Parution : en néerlandais (Belgique) en 2023,
en français en 2024 (Actes Sud)
Pages : 144
Présentation de l'éditeur :
Un petit village de Belgique flamande, dans les années 1990. Depuis que
ses parents ont divorcé, Jimmy, onze ans, trompe la tristesse et la
solitude en collectionnant les flippos, des vignettes qu’il trouve dans
les paquets de chips. Il rêve d’avoir la plus belle collection de tout
le pays, et d’offrir ce précieux trésor à son meilleur ami, Tristan.
Tristan
est arrivé dans sa classe et dans sa vie en cours d’année. C’est un
réfugié kosovar, que Jimmy, excellent élève, est chargé d’aider. Mais
bientôt sa famille est menacée d’expulsion. Heureusement, Tristan a un
plan pour obtenir le droit d’asile, un plan où un rôle crucial mais
mystérieux est dévolu à Jimmy…
Revenant au village fictif de
Débâcle, Lize Spit excelle toujours autant à faire monter la tension par
petites touches, jusqu’à l’explosion finale. Avec L’Honorable Collectionneur, la romancière cueille une nouvelle fois le lecteur.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Très remarquée pour ses deux précédents ouvrages, l’écrivain belge Lize Spit a été choisie en 2023 – privilège habituellement réservé à des auteurs plus confirmés – pour écrire le court roman traditionnellement offert pour tout achat de livres lors de la Boekenweek – évènement culturel annuel consacré à la littérature néerlandaise. Elle s’y inspire de l’histoire réelle d’une famille kosovare réfugiée à Viersel, son village de naissance, et qui, frappée en 1999 d’un arrêt d’expulsion, fut massivement soutenue par les habitants jusqu'à obtenir le droit d'asile.
C’est donc dans cette petite commune des Flandres que Jimmy, onze ans, grandit dans un sentiment de rejet depuis que, son assureur de père ayant filé avec l’argent de ses clients, il doit faire face, en même temps qu’à son abandon, aux tags injurieux qui fleurissent sur les murs de sa maison. Quelle n’est pas sa joie, lui qui dans sa solitude n’avait pour consolation que sa précieuse collection de flippos – des rondelles illustrées distribuées dans des paquets de chips –, de voir débarquer dans sa classe un garçon encore plus perdu que lui.
Réfugié kosovar, Tristan ne parle pas un mot de néerlandais et a tout à apprendre des usages à Viersel, flippos compris. L’un assidument pris sous l’aile de l’autre, les deux garçons deviennent inséparables, mais, tandis que Jimmy aide à la construction du « Tristan-d’après-l’exil » comme à la constitution d’un « mince anneau de croissance » autour d’une autre sorte de bois dont les blessures lui restent mystérieuses, voilà qu’un arrêté d’expulsion frappe toute la famille Ibrahimi. Pour y échapper, Tristan et l’une de ses sœurs ont un plan et ils comptent sur Jimmy, pas sûr du rôle héroïque qu’ils veulent lui faire jouer, mais quand même prêt à presque tout pour son seul ami. Sauf que leur audacieuse entreprise pourrait bien virer à la catastrophe…
Narré à hauteur d’enfant avec une gravité fraîche et naïve, le récit juste et sensible croque personnages et situations comme en quelques coups de crayon sûrs et précis, tout en nouant dans une tension croissante les fils de ce qui pourrait tourner au drame dans le drame. Et même si son format court, plus proche de la nouvelle que du roman, l’empêche d’atteindre à l’ampleur et à la profondeur d’un ouvrage tout à fait remarquable, c’est avec un plaisir certain que, charmé autant qu’inquiété par la logique ingénue et spontanée de ces enfants embarqués dans une tragédie qui les dépasse, l’on s’achemine prestement vers l’abrupte surprise du dénouement. Une belle invitation à découvrir les ouvrages plus conséquents de l’auteur. (3,5/5)
Citations :
Dans ses notes, Jimmy s’en tenait aux faits rapportés par Tristan lui-même ou constatés de ses propres yeux : la guerre avait débuté dix ans plus tôt, quand les Serbes s’étaient emparés de l’usine où le père de Tristan travaillait depuis toujours et qu’ils avaient renvoyé l’ensemble du personnel albanais. On ne pouvait pas non plus enseigner en albanais, chanter l’hymne albanais, arborer le drapeau albanais. Mme Ibrahimi, victime d’une hémorragie alors qu’elle était enceinte de Tristan, s’était vu refuser tout soin à l’hôpital public et on l’avait même poussée à avorter parce qu’il ne fallait pas que des soldats albanais viennent au monde. Tristan n’en parlait qu’avec indignation, comme s’il se demandait encore où étaient passés les secours.
Jimmy s’était fait à l’idée de ne jamais connaître que le Tristan-d’après-l’exil, le Tristan qui ne savait pas s’il pourrait rester, celui qui renfermait en lui un autre Tristan, une version plus aboutie, le Tristan kosovar qui parlait sa langue maternelle, qui avait passé dix étés relativement paisibles dans une ferme près des montagnes, qui n’avait pas encore le mal du pays ni l’obligation de laisser derrière lui qui ou quoi que ce soit. Si ardente qu’ait été la volonté de Jimmy de découvrir ce Tristan-là, il ne connaissait de lui que l’écorce tout autour, le mince anneau de croissance d’une autre sorte de bois.
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