J'ai moyennement aimé
Titre : Les fantômes de l'Hotel Jerome
(The Last Chairlift)
Auteur : John IRVING
Traduction : Elisabeth PEELLAERT
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2022,
en français en 2024 (Seuil)
Pages : 992
Présentation de l'éditeur :
1941. À Aspen, Colorado, la jeune Rachel Brewster, dite Little Ray, échoue aux épreuves de slalom mais réussit à tomber enceinte. De retour chez ses parents, elle devient monitrice de ski et élève son fils Adam dans un climat de tendre complicité. Ainsi débutent sept décennies d’une fresque débridée peuplée de personnages irrésistibles qui, dans la très conventionnelle Nouvelle-Angleterre, défient les conventions. Adulte, c'est à l’Hotel Jerome d’Aspen, hanté par de nombreux fantômes, qu'Adam tentera d'élucider les secrets bien gardés de son étonnante famille.
Paternité mystérieuse, mère « sans fil à la patte », transgressions en tous genres et sexe à tous les étages – sans oublier une savoureuse relecture de Moby-Dick : autant de thèmes où l’imagination vertigineuse et la truculence de John Irving font merveille, pour le plus grand bonheur des fans de la première heure et celui d’une nouvelle génération de lecteur.
Après sept ans de silence, saluons le grand retour d’un romancier visionnaire qui prône depuis toujours la liberté de mœurs, la tolérance et l’amour inconditionnel.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
A soixante-dix-sept ans, l’écrivain Adam Brewster a vu disparaître la plupart des siens et prend une nouvelle fois la plume pour se souvenir de chacun d’entre eux dans ce qui, prenant l’allure d’une rétrospective de sa vie, s’avère aussi un panorama de l’histoire récente des Etats-Unis. Dans sa famille quasiment l’unique hétérosexuel enchaînant d’ailleurs assez piteusement des relations toutes excentriques et mort-nées, il n’a au final pour seules vraies et indéfectibles affections que celles qui le lient à ses proches queer, sa mère et sa cousine lesbiennes, son beau-père trans et sa dernière compagne – autrefois celle de ladite cousine.
« On peut s’aimer de bien des façons, Petit. » Faisant ses mantras de cette réflexion et de la tolérance au sens large, Adam conserve au soir de sa vie le souvenir des meurtrissures des siens, aux prises avec le conservatisme de leur Nouvelle-Angleterre, mais aussi de l’Amérique entière – notamment sous Reagan, lorsque Buchanan, alors directeur de la communication à la Maison-Blanche, déclarait que le sida était le « châtiment de la nature à l’encontre des hommes gay » – et, plus encore, celui de leur formidable combat quotidien, souvent provocateur en diable, pour la liberté d’aimer et d’être soi, peu importe son identité sexuelle.
Atypiques mais bien moins excentriques que quantité d’autres personnages hétérosexuels du livre, ce sont ces êtres aussi marginalisés qu’attachants qui donnent le ton au récit, loufoque jusqu’à l’excès, continûment physique de la pratique intensive du sport aux multiples scènes de sexe burlesques en passant par l’omniprésence aussi bien des fonctions physiologiques les plus basiques que de la mort, enfin puissamment anti-conformiste et critique à l’égard des hypocrites conventions d’une société américaine très religieuse. Et toujours, deux fils rouges : le cinéma et la littérature, avec notamment Melville, Dickens et Shakespeare, pour servir d’ossature à cette histoire d’écrivain empruntant de nombreux traits à l’auteur.
Il faut une persévérance certaine pour venir à bout de ce presque millier de pages qui, dans un débordement fantaisiste et burlesque, use et abuse si bien de l’hyperbole pour transfigurer la réalité et renforcer son propos, que l’on en sort, certes convaincu par cette magistrale leçon d’amour et de tolérance, mais aussi lassé et gavé jusqu’à l’indigestion par tant d’interminable et loufoque bavardage. (2,5/5)
Citations :
« Une grande partie de la création d’un romancier, écrivait Greene, s’accomplit dans l’inconscient : à ces profondeurs, le dernier mot est écrit avant que le premier paraisse sur le papier. Nous nous rappelons les détails de notre histoire, nous ne les inventons pas. »
– J’ai été traitée comme une minorité sexuelle quand je me suis retrouvée en cloque et que j’ai eu mon seul et unique, disait Ray. Les mères célibataires, on les traite comme de la merde, vous savez.
Elle regarda mes horribles tantes droit dans les yeux.
– Ce que je veux exprimer, trésor, me dit-elle d’une voix radoucie, c’est que j’ai eu l’occasion de voir comment on traite les minorités sexuelles quand j’étais mère célibataire. Avant d’être avec Molly, trésor ; je sais que tu sais de quoi je parle.
J’avais dû hocher la tête – prudemment, à cause de mon oreille.
– Bien sûr qu’il le sait, Ray, dit Molly.
Mais ma mère s’était échauffée toute seule ; elle ne pouvait pas s’arrêter. Elle s’adressait à moi, mais son public, je le savais, c’était mes tantes qui lui lançaient des regards incendiaires de leur côté de la table.
– Molly et moi sommes de vraies minorités sexuelles, trésor. Les femmes comme nous, on les traite encore plus mal que les mères célibataires.
La première fois qu’on perd un être aimé, la première fois que meurt quelqu’un de cher, tout change de rythme. Avant, on a parfois l’impression qu’il ne se passe rien. Quand on perd quelqu’un, on prend conscience que la terre tourne, que le monde est en mouvement perpétuel, avec un temps d’avance sur vous. À l’avenir, on le sait, il y aura une succession d’autres morts, y compris la nôtre.
Quand tout est-il devenu politique ? En Amérique, je n’ai pas remarqué quand et où est né le politique – mais un matin je me suis réveillé, et tout était politique. (…)
Je peux vous dire quand la haine d’aujourd’hui s’est amorcée – à la fin des années 70, au début des années 80, les réticences étaient déjà palpables.
Nora fit remarquer que Reagan se montrait édifiant sur la question de la prière à l’école et des enfants à naître, mais qu’il ne pipait mot de la crise du sida. Aux États-Unis, le sida avait commencé en 1981 – l’année où Reagan avait pris ses fonctions. La première fois qu’il parla vraiment de l’épidémie – au bout de six ans de présidence, en 1987 –, plus de trente-six mille Américains étaient atteints du sida et plus de vingt mille en étaient morts. Sur le silence de Reagan, Nora affirmait que Pat Buchanan était l’un de ces abrutis qui parlaient à sa place. Buchanan fut pendant deux ans directeur de la communication à la Maison-Blanche. C’est lui qui déclara que le sida était le « châtiment de la nature à l’encontre des hommes gay ».
Je n’étais pas du tout préparé à une haine aussi ouverte chez un homme gay à l’encontre d’une autre minorité sexuelle – dans le cas de Mr Barlow, d’une minorité plus minoritaire encore. Je n’avais jamais connu la haine qu’éprouvent certains homosexuels envers les femmes trans ; celle-ci me paraissait de même nature que la haine homophobe, mais que savais-je de la haine transphobe ?
Quand vous écrivez une fiction inspirée de ce qu’on appelle la vie réelle, il y a aussi ces détails dont vous devinez que vous ne pouvez pas les changer – parce que vous êtes incapable de les rendre meilleurs ou pires qu’ils ne le sont déjà.
« Mais c’est vrai, trésor, répétait Little Ray. On pardonnerait à une mère dont le fils a été emporté par le sida d’avoir assassiné Ronald Reagan. »
Nora était fumasse parce que le président Reagan continuait à faire pression sur le Congrès pour permettre le retour de Dieu dans les salles de classe américaines ; les jeunes gays mouraient en masse du sida, mais le président s’intéressait davantage à l’instauration d’un moment de silence dans les écoles publiques. En 1987, c’est le silence de Reagan sur l’épidémie qui donna l’idée à ACT UP d’unir ses forces au collectif à l’origine du poster SILENCE = MORT, un poster entièrement noir avec un triangle rose pointe en l’air, SILENCE = MORT écrit en dessous en lettres capitales blanches. Ce poster devint le logo d’ACT UP.
Nora s’était insurgée contre l’opposition affirmée du cardinal John O’Connor et de l’archevêché catholique romain à l’éducation au sexe sans risque dans les écoles publiques. Ce n’était pas la première fois ; c’est à peine si nous l’avions écoutée. O’Connor avait fait campagne contre les lois anti-discrimination des LGBT, et qualifiait l’homosexualité de sacrilège. Même le père homo et homophobe d’Em savait ça. Et, bien sûr, le cardinal O’Connor était opposé à la distribution de préservatifs. Qui ignorait tout cela ?
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