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Titre : Point de fuite
Auteur : Thomas GAYET
Parution : 2025 (HarperCollins)
Pages : 224
Présentation de l'éditeur :
Alix Rodin s’apprête à devenir la première femme à rejoindre le pôle
Nord géographique en solitaire. Modèle d’abnégation et de courage,
capable de surmonter le cancer et la mort de toute sa famille, Alix a
fui ce passé dramatique et fédéré autour d’elle des équipes de
professionnels, des sponsors, des médias.
Mais derrière
l’exploratrice passionnée que les journalistes s’arrachent se cache un
personnage plus troublant. Impréparation, impulsivité, dissimulation :
de mensonge en mensonge, de crises de larmes en manipulation, elle tisse
une toile dans laquelle tout son entourage se retrouve englué. Jusqu’où
Alix est-elle prête à aller pour réaliser son rêve.
S'inspirant
librement de la vie de Dominick Arduin, disparue lors d’une expédition
vers le pôle Nord en 2004, Thomas Gayet livre ici un roman saisissant
dans lequel les vents polaires n’en finissent pas de nous hanter.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Il y a vingt ans, l’aventurière franco-finlandaise Dominick Arduin disparaissait alors qu’elle tentait, à pied et en solitaire, de rejoindre le pôle Nord géographique. Une polémique s’ensuivait, nourrie par un témoignage familial sur sa tendance à l’affabulation. Ce qu’elle avait toujours raconté de son passé, la mort accidentelle de toute sa famille, sa victoire sur le cancer, certains de ses exploits d’aventure sportive, aurait été faux. Un constat qui laissait libre champ à toutes les spéculations autour de son évaporation dans le grand blanc arctique et dont l’auteur et scénariste Thomas Gayet s’est librement inspiré pour un roman mariant psychologie et aventure.
On entre dans l’histoire d’Alix Rodin par la presque fin, lorsque sa première tentative au pôle Nord, très mal préparée, se solde in extremis par un sauvetage. La quadragénaire y laisse peut-être ses orteils, mais pas sa détermination. Alors, à l’agence Pole Unlimited en charge de la logistique de ses expéditions, Sébastien lui concocte un programme de préparation intensive. Pendant un an, on la voit sur les réseaux sociaux parfaire son entraînement en milieu polaire, courir les sponsors et fréquenter les journalistes, comme Venia, la finlandaise qui lui consacre un reportage au long cours. Contrairement au lecteur averti dès l’exergue du roman, aucun ne se doute de l’issue fatale qui va suivre.
Pourtant, lors de cette année charnière, doutes et perplexité vont si bien grandir, tant dans l’entourage d’Alix que dans la tête du lecteur, que la disparition de l’aventurière dans les toutes dernières pages ne paraîtra au final qu’une conclusion logique et naturelle. En total décalage avec l’image d’une battante sportive et aguerrie, rompue aux épreuves de toutes sortes, se dévoilent peu à peu les terribles failles d’une personnalité pathologique, entraînée par ses blessures narcissiques dans des délires mégalomaniaques et une mythomanie que peu perceront vraiment à jour mais que tous sentiront confusément avec malaise.
Alors, maintenant au fait des projections abstraites à l’origine de la quête d’absolu d’Alix, c’est doublement prévenu du désastre à venir que l’on aborde cette fois la seconde expédition en solitaire de cette femme, fantoche manoeuvré par des fantasmes vite balayés par une nature impitoyable à qui on ne ment pas. Bornée par chacune des deux tentatives d’Alix, l’une par ce que l’on pense une aventurière aguerrie, l’autre par ce que l’on sait en vérité un petit bout de femme déconnectée de la réalité, la narration boucle la boucle en fondant les blancs de sa personnalité dans celui, immense et glacial, des étendues polaires.
Un roman fascinant, paradoxalement non dénué d’humour, entre âpres réalités extrêmes de l’Arctique et mirages d’une personnalité troublée que rien ni personne n’aura pu retenir de sombrer corps et âme au bout de ses délires. (4/5)
On entre dans l’histoire d’Alix Rodin par la presque fin, lorsque sa première tentative au pôle Nord, très mal préparée, se solde in extremis par un sauvetage. La quadragénaire y laisse peut-être ses orteils, mais pas sa détermination. Alors, à l’agence Pole Unlimited en charge de la logistique de ses expéditions, Sébastien lui concocte un programme de préparation intensive. Pendant un an, on la voit sur les réseaux sociaux parfaire son entraînement en milieu polaire, courir les sponsors et fréquenter les journalistes, comme Venia, la finlandaise qui lui consacre un reportage au long cours. Contrairement au lecteur averti dès l’exergue du roman, aucun ne se doute de l’issue fatale qui va suivre.
Pourtant, lors de cette année charnière, doutes et perplexité vont si bien grandir, tant dans l’entourage d’Alix que dans la tête du lecteur, que la disparition de l’aventurière dans les toutes dernières pages ne paraîtra au final qu’une conclusion logique et naturelle. En total décalage avec l’image d’une battante sportive et aguerrie, rompue aux épreuves de toutes sortes, se dévoilent peu à peu les terribles failles d’une personnalité pathologique, entraînée par ses blessures narcissiques dans des délires mégalomaniaques et une mythomanie que peu perceront vraiment à jour mais que tous sentiront confusément avec malaise.
Alors, maintenant au fait des projections abstraites à l’origine de la quête d’absolu d’Alix, c’est doublement prévenu du désastre à venir que l’on aborde cette fois la seconde expédition en solitaire de cette femme, fantoche manoeuvré par des fantasmes vite balayés par une nature impitoyable à qui on ne ment pas. Bornée par chacune des deux tentatives d’Alix, l’une par ce que l’on pense une aventurière aguerrie, l’autre par ce que l’on sait en vérité un petit bout de femme déconnectée de la réalité, la narration boucle la boucle en fondant les blancs de sa personnalité dans celui, immense et glacial, des étendues polaires.
Un roman fascinant, paradoxalement non dénué d’humour, entre âpres réalités extrêmes de l’Arctique et mirages d’une personnalité troublée que rien ni personne n’aura pu retenir de sombrer corps et âme au bout de ses délires. (4/5)
Citations :
Ça s’est mal terminé, ça aurait pu être pire. Rétrospectivement, Sébastien se demande comment il a pu y croire. La détermination affichée par Alix lui a fait oublier l’essentiel : traîner quatre-vingts kilos de matériel quand on en pèse cinquante pendant trente jours par moins quarante degrés, c’est de l’abstraction mathématique. Surtout quand on est mal préparée.
Alix ne déviera pas de sa route. Qu’il fasse moins trente ou moins quarante, cela ne change rien pour elle. Sébastien s’inquiète. Il essaye de convaincre Claudio et Tiffany de renoncer pour créer un effet d’entraînement. Mais Claudio est ontologiquement incapable de se dégonfler face au danger et la perspective qu’Alix puisse se montrer plus courageuse que lui, l’ancien légionnaire, lui est insupportable. Tiffany approuve en regrettant. D’aucuns appellent ça l’amour – d’autres l’emprise. Sébastien appelle ça le commerce. C’est au client de décider, pas à lui. Mais en voyant Tiffany acquiescer à tout ce que dit Claudio, il réalise qu’Alix aussi est soumise à une emprise. L’emprise du grand nulle part. Il fait prévenir Richard. Toujours cette odeur de moisissure. Un avant-goût de putréfaction.
Alix n’est pas une professionnelle, c’est une tête brûlée. Il sait d’avance que toutes ses remontrances seront vaines. Il aura beau raisonner, louvoyer, expliquer, hurler, gronder, face à lui se dressera une certitude candide, teintée de minauderie et d’autoritarisme. Sébastien n’est pas qu’un homme de solitude et de grands espaces. Il est divorcé et remarié, il a connu bien des hommes et bien des femmes de toute espèce, des intelligents, des cons, des taiseux, des diserts, il a connu des faux et des vrais génies, appris à faire la part des choses entre ce qu’on affiche et ce qu’on est, à différencier l’assurance de la contenance, il sait déterminer quand un mensonge est délibéré ou si la personne croit vraiment à ce qu’elle raconte, il repère à cent lieues les adeptes de la méthode Coué, peut juger d’un simple regard la détermination d’un homme à la manière dont il s’exprime. Sébastien adapte son discours, dissimule ses vrais sentiments, affecte le détachement ou au contraire surjoue l’émotion pour obtenir de celles et ceux qu’il rencontre le résultat escompté. Mais dans toute cette galerie de personnages collectionnés au cours de ses quarante-cinq années d’existence, aucun ne peut lui servir de référence au moment de s’adresser à Alix.
On y est. A partir de maintenant, on y est. Tout est déjà réglé. La peau de l’ours est bien vendue. (…) Les semaines à venir ne sont pas celles qu’elle vivra, puisqu’elle les a déjà vécues si souvent dans ses rêveries nocturnes ou éveillées. Les semaines à venir ne sont que l’accomplissement mécanique d’un destin qu’elle a pris soin de dessiner elle-même. Il n’y a plus d’après, plus d’avant ou de pendant. Il y a une frontière qu’elle s’apprête à franchir et seule cette frontière compte. Alix n’existe plus ici. Elle n’existera plus là-bas. Quand elle était petite, le module lunaire ne se posait jamais. Elle part et le but est atteint. Parce qu’elle réalise que le but est atteint, que le pôle Nord n’est que le prétexte à son aventure, que toute son énergie se concentrait sur la frontière et non sur la destination, elle est étranglée d’un sanglot. Sur ses joues rougies par le froid, les larmes brûlent.
L’Arctique agit comme un caisson sensoriel où tout est décuplé, mélangé. On y appelle silence le bourdonnement permanent de la glace, lumière un faisceau vague pas toujours perceptible et le toucher n’est plus qu’une sensation engourdie par le froid. Lorsque le soleil perce, toutes les teintes habituellement associées aux éléments familiers dérivent, elles aussi. Le ciel devient rose ou vert ; le sol éblouit de blancheur ; la peau asséchée rougit ; et quand le ciel est bas, en l’absence de soleil, il ne fait ni beau, ni moche : il fait noir et blanc. Alix marche sans aucun repère. Cela ne la change pas beaucoup. Mais à présent qu’elle y est, que l’aventure devient tangible, c’est en quête d’un but qu’elle avance. Son orgueil a mis la sourdine : être la première femme à rejoindre le pôle en solitaire ne l’intéresse plus vraiment. On ne pourrait rien cacher sur cette glace uniforme. Pourtant, les yeux rivés au sol, Alix prend plaisir à chercher des réponses.
La culpabilité ne le quitte plus, comme s’il était rendu responsable d’un délit de fuite. Plus justement d’un abandon : sachant Alix impréparée, il l’a pourtant laisser partir. Bien sûr, elle saura résister au froid. Bien sûr, elle saura répliquer aux ours. Mais elle ne sait pas composer avec elle-même. Sa solitude romantique n’a rien à voir avec la réalité de l’Arctique. Il faut anticiper, raisonner droit et dur, laisser sa place à l’instinct, se faire parfois confiance et avancer de nuit pour se reposer de jour. Il ne s’agit pas de suivre les pages d’un manuel mais d’écrire une méthode en marchant. Il faut sentir la nature, la faire entrer au plus profond de soi-même pour la comprendre, prévoir ses réactions. Alix en est incapable. Elle pourrait tourner en rond en croyant aller vers le nord, devenir invisible au beau milieu d’une plaine seulement troublée par sa présence. Ces choses-là ne s’apprennent pas, du moins pas comme ça. Il faut de l’expérience, de la ténacité, habituer ses neurones à une nouvelle grammaire. Le malaise de Sébastien vient de ce qu’Alix devrait avoir tout ça. Avec son expérience, à son âge, au regard des épreuves abominables qu’elle a traversées, elle devrait. C’est ce décalage qui le hante. Comme un enfant de six ans qui ne parlerait pas encore, le gouffre entre l’enveloppe et le contenu, un retard cognitif. Comme les pièces restantes d’un puzzle qui ne s’emboîteraient pas.
La nature qui l’entoure sert de décor à ses rêveries narcissiques, le crissement de ses skis sur la neige de bande originale à ses fantasmes. Tout ce projet a un coût immense, qu’elle fait supporter à des sponsors, à son entourage et à des banques en multipliant les reconnaissances de dettes et les promesses de remboursement. (…) Loin de lui donner le vertige, cet état de fait exalte sa toute-puissance. Alix est inaccessible aux contingences humaines. Sa quête d’absolu relève de l’abstraction, de la projection. L’expérience de l’échec l’a changée ; plus exactement, elle a sanctuarisé le gouffre qui la sépare depuis toujours de reste de l’humanité. Jusqu’alors, elle ne parvenait pas tout à fait à transgresser les règles éthiques inhérentes à la survie en société. (…)
Son monde intérieur se renforce désormais dans un système plus simple : l’univers est un outil au service de sa réussite. Les sponsors, les journalistes, Sébastien, Richard, Timo, Venia : elle peut et doit les activer ua moment opportun pour accélérer, avant de les ranger les uns après les autres hors de son espace mental. Dans l’oubli. La démarche est indolore, gratuite et très porteuse. Il suffit de puiser dans le portefeuille d’actifs pour traverser cette vie en magnat. Dès lors, il n’est plus question de vérité, de mensonge, de respect de la parole donnée, d’amitié ou de trahison. On ne ment pas à un tournevis. On ne trahit pas un as de trèfle. On s’en sert.
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