samedi 18 janvier 2025

[Bail, Murray] Lui.

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Lui. (He.)

Auteur : Murray BAIL

Traduction : France CAMUS-PICHON

Parution : en anglais (Australie) en 2021,
                   en français en 2024 (Actes Sud)

Pages : 192

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

“Lui. est un court livre empli de profondeur et de sagesse. On pourrait croire qu’il s’agit d’une autobiographie, mais ça l’est seulement de manière détournée. […] L’effet est subtil et séduisant. Même si le livre est bref, je vous suggère de ne pas précipiter votre lecture. Savourez-le plutôt lentement, à petites gorgées, comme un martini frappé !”
Julian Barnes

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né à Adélaïde en 1941, Murray Bail est l’auteur de deux recueils de nouvelles et de cinq romans. Traduite en vingt-cinq langues, son œuvre lui a valu de nombreuses distinctions, dont les prestigieux Commonwealth Writers Prize et Miles Franklin Award en 1999. Après Eucalyptus (Robert Laffont, 1999), Les Pages (Les Allusifs, 2010) et La Traversée (Actes Sud, 2013), Lui. est son quatrième ouvrage traduit en français. 

 

Avis :

Tout juste octogénaire, l’écrivain australien Murray Bail explore, en une collection de fragments polis par le temps comme des tessons de verre multicolores par la mer, la laisse déposée dans sa mémoire par la marée de sa vie.

Dans cette autobiographie à la troisième personne, la prise de distance ne disparaît qu’une fois, lorsque cette phrase isolée apparaît comme une fulgurance : « J’ai commencé à écrire par insatisfaction. » Si ses livres lui survivront, l’homme vieillissant considère humblement, avec la conscience de leur disparition à venir lorsque viendra la mort et comme dans une tentative de leur donner un sens avant, l’assemblage hétéroclite de souvenirs et d’images, parfois insignifiants, mais qui, ayant survécu au filtre de sa mémoire, forment le canevas de son existence.

Comme François Bégaudeau décrivait L’Amour au travers de la vie très ordinaire d’un couple de la même génération que son confrère, l’auteur australien raconte la condition humaine et le passage du temps au moyen de « l’histoire d’une personne singulière entourée par d’autres ». Utilisant un « il » distancié et essaimant les paragraphes brefs et disjoints en autant d’éclats de vie et de pièces d’un puzzle dont il semble chercher le motif global, il dessine, au-delà de son cas particulier et du pêle-mêle de son enfance, de sa famille, de son parcours sentimental et intellectuel, de ses voyages et de sa perception de presque un siècle d’évolution de l’Australie et du monde, une tranche d’humanité dont chaque lecteur percevra ce qu’elle comporte d’universalité.

Un petit livre originalement ciselé, pour résumer une vie en petites touches éparses et pointillistes, et, par-delà la spécificité d’un destin individuel, interroger notre éphémérité et le sens de la destinée humaine. (4/5)

 

Citations :

Les ayant vus autrefois – l’homme avec un crochet à la place du bras – le frère ou la sœur versant la crème fraîche directement du pot – ces visages de femmes sur l’oreiller adoucis par le plaisir – ce noyé à plat ventre sur le sable de Christie’s Beach – les dunes à perte de vue – les tempêtes en mer –, tous ne font partie de son existence que pour disparaître, à sa mort.  


J’ai commencé à écrire par insatisfaction.  
 

Apparemment aucun souvenir n’est exact. Et par écrit l’imperfection s’accroît.
 

Dans un bureau de vote de la mairie de Melbourne où il avait trouvé un emploi, il croisa Arthur Calwell venu pour les élections fédérales auxquelles il était candidat. Son chapeau à la main, une chaussure au lacet défait, il était sur le point de perdre. La difficulté d’essayer de convaincre autrui de partager vos espoirs devait être usante pour l’esprit. Seules quelques rares personnalités – peut-être dérangées – acceptaient de s’impliquer en politique à ce point, d’encaisser les défaites au fil des mois et des années, sans renoncer à obtenir la majorité. Dans les années soixante-dix et plus tard quand il rencontra d’autres leaders politiques – Fraser, Whitlam à la vanité bornée, Keating et Malcolm Turnbull – chacun d’eux paraissait, à des degrés divers, absent. Parlant à un seul interlocuteur, ils semblaient continuer de s’adresser à des centaines de milliers de personnes ailleurs. Ils étaient passés maîtres dans l’art de dire une chose et son contraire ! Les écouter équivalait à attendre que leur vrai moi ressorte : ils étaient devenus beaucoup de gens à la fois. Il préférait la manière d’être de Pierre Ryckmans, d’Anita Brookner, de Fred Williams, tous disparus à présent, et d’Helen Garner. Eux s’étaient efforcés toute leur vie, au fil des ans, de donner forme à leurs pensées et de les exprimer d’une manière qui n’appartiendrait qu’à eux.
 

Par intermittence et sans prévenir, un sentiment de perplexité : il acceptait à peine d’être vivant. Assis à son bureau ou se promenant, il s’interrompait pour se demander ce qu’il faisait là – dans ce coin précis de la planète. Pourquoi devait-il en être ainsi ? Baissant les yeux il voyait ses doigts, les voyait bouger. Puis encore des questions, sur cette vie singulière : la laissait-il trouver sa forme ? Attendait-elle davantage de lui ?


 

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