mercredi 22 janvier 2025

[Luca, Laetitia (de)] L'Amour et autres mensonges

 



 

Coup de coeur 💓

 

Titre : L'Amour et autres mensonges

Auteur : Laetitia de LUCA

Parution : 2025 (Robert Laffont)

Pages : 264

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Lucie est une journaliste mariée à la vie bien réglée, lorsqu’elle croise un homme qui lui fait oublier ses principes et ses méfiances. Basculer dans la dissimulation amoureuse déclenche en elle un vertige et la ramène au destin de sa mère. Et surtout au terrible secret de sa naissance qui fait de Lucie, elle-même, un mensonge.
Alors qu’elle tente de comprendre ce que sa mère lui a caché, elle est propulsée sur la route de la grande Histoire qui va percuter de plein fouet la vie de Mathilde, jeune femme modeste, dont le chemin n’aurait pas dû croiser celui de Luis, qui a fui la terreur de la dictature dans son pays, l’Uruguay. Ensemble, ils vont croire à l’amour. Mais au fond de chacun, où se situe le courage ? Luis, ce réfugié politique qui organise la résistance, est-il l’incarnation du « grand homme » ? Mathilde, cette Française si dévouée, quelle idée du désir et de la loyauté chérit-elle tout au fond d’elle ?
L’amour et autres mensonges embarque le lecteur par le souffle de son récit, la singularité de ses personnalités et la profondeur de ses interrogations. Ce que Lucie ignorait, ce qu’elle a découvert esquisse un cheminement lucide, qui touche aux origines et à la liberté de chacun. Un roman bouleversant à mettre entre toutes les mains.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Laetitia de Luca est originaire du Nord de la France. Après des études de Sciences Politiques, elle rejoint les Etats-Unis puis Paris pour compléter sa formation. Titulaire d’un DESS de marketing et communication, elle entame une carrière passionnante dans les médias et évolue notamment plus de dix ans au sein de LCI et du groupe TF1. Elle travaille aujourd’hui dans le monde de l’art et vit en Provence avec sa famille. L’Amour et autres mensonges est son premier roman.

 

Avis :

Cela lui est tombé dessus comme à son corps défendant. Lucie sortait le chien comme chaque jour de sa vie réglée, entre boulot, époux et enfants, comme le papier d’une musique sans pause ni respiration, lorsqu’une rencontre fortuite l’a soudain fait basculer dans l’adultère et le mensonge.

Et si la fausseté était une tare héréditaire ? ironise amèrement Lucie, stupéfaite de reproduire ce qu’elle a découvert sur le tard et qu’elle n’a jamais pu digérer de l’histoire de sa mère et de ses propres origines. La voilà donc qui replonge au beau milieu des années 1970, lorsque sa mère Mathilde rencontrait à Lille un médecin uruguayen, Luis, contraint à l’exil, loin de sa femme et de ses enfants, pour ne plus avoir à signer les certificats de décès truqués que le régime de la dictature lui extorquait afin de blanchir ses actes de torture.

De leurs deux années de passion coupable et sans avenir puisque Luis, rongé par la honte de ses compromissions en Uruguay, de sa fuite et de son déclassement social en France, ne devait pas demeurer bien longtemps loin des siens et de la résistance qui s’organisait depuis le Venezuela, un enfant naissait, Lucie, dont personne, pas même elle avant ses trente-quatre ans, n’allait connaître la vérité sur ses origines. Lorsqu’au détour d’une phrase anodine sa mère finirait par lâcher le morceau, ce serait un séisme pour cette fille, la narratrice, qui se découvrant elle-même un mensonge, ses « racines artificielles [coupées] d’un coup sec et tranchant », devrait apprendre à « tenir debout autrement, couler de nouvelles fondations, redéfinir l’essence même de [s]on identité. »

A l’histoire d’amour telle que vécue par Mathilde et Luis, décortiquée dans ses ressorts psychologiques avec une acuité confondante, succède la vision rien moins que complaisante qu’en a développé Lucie et, surtout, l’incidence traumatisante de la découverte tardive du secret et du mensonge qui l’ont « maintenue dans le noir pendant toutes ces années, à vivre une vie qui n’était pas la [s]ienne, à jouer le rôle d’un personnage qu[‘elle] croyai[t] être [elle]. » Comment « faire maintenant pour ne pas douter du monde entier », alors que « désormais [s]a pire angoisse dans toute relation », c’est « d’évoluer dans une dimension parallèle créée par un mensonge » et que l’obsède « la crainte de penser vivre quelque chose et de [s]e rendre compte un jour que tout ce temps, la réalité était autre » ?

Efficace et précise dans le moindre de ses mots, la prose de ce premier roman procède d’une empathie et d’une profondeur psychologique telles qu’elles laissent subodorer, d’une manière ou d’une autre, un fond de vérité autobiographique. A cette justesse parfaite se conjuguent un ton direct et incisif, une lucidité sans complaisance, qu’il s’agisse des sentiments des personnages ou des actes de torture au fond des geôles uruguayennes, qui vous empoignent dès l’incipit pour ne jamais baisser de régime. Au fond, derrière l’acrimonie d’une Lucie blessée au plus profond de son identité transparaît en réalité l’envie d’aimer et d’être aimée de ce géniteur qui ne sera jamais le Papa qui l’a élevée, mais à qui, au travers des mentions à Daniel Viglietti, le chanteur uruguayen persécuté pour ses chansons contestataires pendant la dictature, ou des vers de Pablo Neruda en exergue de chaque chapitre, elle adresse un hommage de victime collatérale pleine de sympathie.

Un très beau coup de coeur que ce premier roman réussi et prometteur, aussi efficace que fin psychologue, où l’amour est partout, même dans ses mensonges et ses non-dits. (5/5).

 

Citations :

D’autant plus que la vérité, je la connais. C’est vrai que je ne suis pas une menteuse. C’est bien pire. Je suis un mensonge.
 

Luis connaît la prudence de sa femme. Il soupçonne autant qu’elle les autorités de lire le courrier destiné à l’étranger. Toutes les enveloppes ne sont peut-être pas ouvertes - ce serait impossible puisque d'après les chiffres qui circulent sous le manteau, ils sont près de cinq cent mille Uruguayens à avoir, comme lui, fui le pays -, mais les gardiens du régime sont suffisamment astucieux pour faire peser le doute. C'est la force des dictatures que de faire germer dans les esprits, même les plus libres, la graine de l'autocensure. Contrôler ou interdire les journaux, les syndicats, les partis, la justice et jusqu'au Parlement ne leur a pas suffi. Maintenant ce sont les mots qu'ils embastillent.
 

Comment peut-il traverser les journées ? Travailler, manger, discuter ? Comment peut-il même respirer alors que son pays s’enfonce dans les ténèbres ? Il est libre et en sécurité. Ils ont une cagoule sur la tête. Dans son exil, il ne s’est pas affranchi des griffes de la dictature. De leur main invisible, ses bourreaux le tiennent toujours par le col. Luis, comme tous les réfugiés, charrie les cauchemars auxquels il tente d’échapper. 
 

Je ne suis pas à toi non plus, nous le savons tous les deux. Nous devons nous aimer sans nous posséder. Nous aimer pour la beauté du geste, sans projections, sans construction, sans promesses. Un amour débarrassé des conventions sociales, du devoir, de la routine, dénué de jalousie et d'obligations. Toi et moi, c'est l'Amour dans son essence la plus pure. 
 

Luis vit avec « la valise derrière la porte », un pied dans son pays d’accueil, l’autre déjà sur le chemin du retour.
 

Il ne voudrait rien tant que s’autoriser le bonheur et lui offrir la légèreté qu’elle attend de lui. Pourquoi ne pas succomber à la tentation de l’amnésie Ça pourrait être si facile de ne pas penser, en la regardant l’aimer, au fait que de l’autre côté de l’océan l’attend sa famille. Comme il serait doux d’oublier, ou de prétendre oublier, que là même où jouent ses propres enfants, on exécute, on torture, on viole. Ça pourrait être si facile de ne pas voir que Mathilde s’est jetée dans leur histoire comme on plonge d’un rocher un peu trop haut en plein été, aveuglée par son envie d’échapper à une vie trop petite pour ses rêves, au risque de se fracasser en contrebas. Il s’en veut d’aimer Mathilde et il s’en veut de ne pas être à la hauteur de cet amour. Mais il a accepté l’idée qu’ils ne pourraient s’aimer que dans l’inconfort de la culpabilité, ce poison sans répit, ce tigre indomptable qui vous croque à pleines dents à l’instant même où vous pensez l’avoir apprivoisé. S’aimer dans l’imperfection est leur seule option. Il a appris à s’en accommoder mais le pourra-t-elle un jour ?
 
 
Puisque je savais, je ne pouvais me taire sans perpétuer la comédie. Alors j’ai envisagé de tout raconter, à ma famille au moins, et j’ai eu cette pensée affreuse : « Heureusement que Papa est mort », reconnaissante, l’espace d’un instant, envers la maladie de lui avoir épargné le profond chagrin de la vérité. Aussitôt j’ai eu honte. Honte pour ma mère aussi. Quelle vilaine graine avait-elle plantée dans mon esprit ? Comment peut-on pousser un enfant à se réjouir de la mort de son père ? S’il avait découvert le pot aux roses de son vivant, ça lui aurait rongé les sangs, brisé le coeur, coupé le souffle. C’est ça qui l’aurait tué, pauvre Papa, il serait mort à cause de moi.


Mais Sophie, elle, était bien vivante. Après des mois de tergiversations et malgré les réticences maternelles, j’ai décidé que je ne pouvais pas l’exclure plus longtemps de ce retournement de paternité. Impossible de la laisser seule dans un monde qui n’existait pas, comme j’avais été maintenue dans le noir pendant toutes ces années, à vivre une vie qui n’était pas la mienne, à jouer le rôle d’un personnage que je croyais être moi. C’était désormais ma pire angoisse dans toute relation, d’évoluer dans une dimension parallèle créée par un mensonge. Je ne pouvais pas lui infliger ça. Aujourd’hui encore, je patauge dans la crainte de penser vivre quelque chose et de me rendre compte un jour que tout ce temps, la réalité était autre.


J’ai pensé naïvement qu’en lui disant la vérité, j’allais briser ce putain de secret. Je ne me suis pas rendu compte qu’en ouvrant ma sœur au mensonge, j’allais au contraire l’enfermer dedans avec moi.


Tu te rends compte que ta propre mère, la personne que tu aimes le plus au monde, celle en qui tu as le plus confiance, t’a menti toute ta vie ? Elle était censée être ton roc, tes fondations, ton modèle… Qui pourras-tu croire désormais, à qui pourras-tu te fier, sachant qu’elle a eu le mauvais goût de n’être pas celle qu’elle prétendait ? C’est elle qui nous a enseigné notre socle de valeurs, qui nous a appris à distinguer le bien du mal, et elle t’annonce, la bouche en coeur, qu’elle a manigancé depuis toujours ! Comment va-t-on faire maintenant pour ne pas douter du monde entier ?


La grande révélation a coupé mes racines artificielles d’un coup sec et tranchant. Il me faut tenir debout autrement, couler de nouvelles fondations, redéfinir l’essence même de mon identité.


 

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