J'ai beaucoup aimé
Titre : Trust
Auteur : Hernan DIAZ
Traduction : Nicolas RICHARD
Parution : 2022 en anglais (Etats-Unis),
2023 en français
(Editions de l'Olivier)
Pages : 400
Présentation de l'éditeur :
« New York enflait de l’optimisme tapageur de ceux qui croient avoir pris de vitesse le futur. »
Wall Street traverse l’une des pires crises de son histoire. Nous sommes dans les années 1930, la Grande Dépression frappe l’Amérique de plein fouet. Un homme, néanmoins, a su faire fortune là où tous se sont effondrés. Héritier d’une famille d’industriels devenu magnat de la finance, il est l’époux aimant d’une fille d’aristocrates. Ils forment un couple que la haute société new-yorkaise rêve de côtoyer, mais préfèrent vivre à l’écart et se consacrer, lui à ses affaires, elle à sa maison et à ses oeuvres de bienfaisance.
Tout semble si parfait chez les heureux du monde… Pourtant, le vernis s’écaille, et le lecteur est pris dans un jeu de piste. Et si cette illustre figure n’était qu’une fiction ? Et si derrière les légendes américaines se cachaient d’autres destinées plus sombres et plus mystérieuses ?
Wall Street traverse l’une des pires crises de son histoire. Nous sommes dans les années 1930, la Grande Dépression frappe l’Amérique de plein fouet. Un homme, néanmoins, a su faire fortune là où tous se sont effondrés. Héritier d’une famille d’industriels devenu magnat de la finance, il est l’époux aimant d’une fille d’aristocrates. Ils forment un couple que la haute société new-yorkaise rêve de côtoyer, mais préfèrent vivre à l’écart et se consacrer, lui à ses affaires, elle à sa maison et à ses oeuvres de bienfaisance.
Tout semble si parfait chez les heureux du monde… Pourtant, le vernis s’écaille, et le lecteur est pris dans un jeu de piste. Et si cette illustre figure n’était qu’une fiction ? Et si derrière les légendes américaines se cachaient d’autres destinées plus sombres et plus mystérieuses ?
Un mot sur l'auteur :
Né à Buenos Aires en 1973, Hernan Diaz est titulaire d’un doctorat de l’Université de New York et a
édité une revue universitaire à l’Université de Colombie. Il est l'auteur d'un essai, Borges, between History and Eternity (2012) et deux romans à succès : Au loin (In the Distance, 2017), finaliste du prix Pulitzer et du Pen/Faulkner Award, lauréat du prix Page/America ; Trust (2022), prix Pulitzer de la fiction.
Avis :
« L’argent est fiction ». Pas seulement en tant que convention basée sur la confiance, mais aussi parce qu’il donne à ceux qui le détiennent le pouvoir de « tordre la réalité autour [d’eux] ». Dans ce second roman virtuosement construit qui lui a valu le prestigieux prix Pulitzer, l’auteur américano-argentin Hernan Diaz se joue des mirages de l’argent, dénonçant ses mensonges hypnotiques – « Trust » : aie confiance, susurrait le serpent Kaa à Mowgli – et la mystification du Rêve américain.Nous sommes à Wall Street dans les années 1920, avec pour toile de fond la croissance et l’insouciance des Années folles, leur folie spéculative et, finalement, le krach boursier de 1929. Méprisant l’industrie et le négoce pour leur préférer la finance, la magie des chiffres et la fascination de l’argent, Benjamin Rask investit en bourse l’intégralité de l’immense fortune bâtie dans le tabac par les précédentes générations de sa famille. Son habileté est telle qu’il réussit même à profiter du krach pour s’enrichir encore, laissant son épouse Helen jouer les bonnes fées à travers ses oeuvres de bienfaisance et son mécénat pour la musique. Mais, gravement malade, Helen meurt dans un établissement de soins en Suisse.
Cette histoire, Hernan Diaz va nous la raconter quatre fois, en quatre parties au style très différent présentant chacune la version de quatre personnages. La première prend la forme d’un roman à clés écrit peu après la mort d’Helen et dans la tradition de l’époque par un certain Harold Vanner. L’écrivain a-t-il, à des fins romanesques, pris des libertés avec la réalité ? Toujours est-il que son ouvrage diverge sensiblement de la version présentée ensuite, un manuscrit encore en chantier intitulé « Ma vie » et rédigé à la première personne, non sans froide infatuation, par le grand financier lui-même, de son vrai nom Andrew Bevel. Il faut attendre la troisième partie pour comprendre que cette ébauche de texte a en réalité été écrite sur commande par Ida Bartenza, alors une jeune femme, qui revient de nos jours sur la genèse de cette biographie et sur ses questionnements quant au vrai visage des Bevel. Devenue écrivain à succès, elle mène l’enquête. Sa découverte du journal oublié et quasi illisible de Mildred Bevel nous livre un ultime point de vue, elliptique et frappé au coin de la maladie, mais qui renverse pourtant l’échafaudage du récit en le faisant apparaître sous un prisme totalement nouveau.
Ces quatre narrations à la fiabilité d’évidence discutable laissent entrevoir les processus de mystification à l’oeuvre, non pas seulement dans la constitution des mémoires individuelles, pleines d’approximations et de partis pris, mais aussi à l’échelle de la mémoire collective, celle qui enregistre le sens de l’Histoire. Critique de l’histoire des Etats-Unis, d’une finance déconnectée de la réalité économique, d’un dieu argent qui a trouvé « sa ville sainte » à Manhattan et sa religion dans le Rêve américain, cet ouvrage protéiforme qui multiplie les narrateurs et les points de vue, métamorphosant chaque fois son style, est riche de plus d’un niveau de lecture. C’est aussi un roman féministe, qui restitue aux femmes ce que l’histoire et la littérature leur a volé en ne les représentant longtemps que dans leurs rôles assignés : épouses, secrétaires, victimes, mais surtout pas magnats de la finance. Enfin, l’on pourra encore y voir une formidable réflexion sur la puissance de la fiction : « Rendez-vous compte. Les événements imaginaires de cette fiction ont une présence plus forte dans la réalité que les faits avérés de ma vie », s’exclame un des personnages.
Audacieux dans sa construction sans jamais perdre en limpidité, remarquable dans sa capacité à métamorphoser son style au gré des narrateurs, Trust est un roman aussi riche que passionnant, en tous les cas une formidable invitation à la réflexion et à l’esprit critique - dispositions plus que jamais vitales dans un monde où fiction et virtuel n’ont pas fini de jouer à paraître plus vrais que la réalité. (4/5)
Citations :
Si on lui avait posé la question, Benjamin aurait sans doute eu du mal à expliquer ce qui l’attirait dans le monde de la finance. Sa complexité, oui, mais aussi le fait qu’il voyait le capital comme un être antiseptiquement vivant. Il bouge, mange, croît, se reproduit, tombe malade et peut mourir. Mais il est propre. Avec le temps, cette idée s’imposa à lui avec davantage de clarté. Plus l’opération était de grande envergure, plus il se tenait à distance de ses détails concrets. Il n’avait nul besoin de toucher un seul billet de banque ni d’entrer en contact avec les choses et les gens impliqués dans sa transaction. Tout ce qu’il avait à faire c’était réfléchir, parler et, peut-être, écrire. Alors la créature vivante se mettait en branle, dessinant de magnifiques schémas en s’acheminant vers des royaumes de plus en plus abstraits, suivant parfois des appétits qui lui étaient propres et que Benjamin n’aurait jamais pu anticiper – et le fait que la créature cherchât à exercer son libre arbitre lui procurait un plaisir supplémentaire.
La plupart d’entre nous préfèrent croire que nous sommes les sujets actifs de nos victoires mais seulement les objets passifs de nos défaites. Nous triomphons, mais ce n’est pas vraiment nous qui échouons – nous sommes ruinés par des forces qui nous dépassent.
Le futur fait irruption à tout moment, désireux de se réaliser dans la moindre de nos décisions ; il essaie, de toutes ses forces, de devenir le passé. C’est ce qui le distingue de la pure imagination. Le futur se produit. Le Seigneur n’envoie personne en enfer ; les esprits se jettent à terre, selon Swedenborg. Les esprits s’envoient eux-mêmes en enfer, c’est leur propre choix. Et qu’est-ce que le choix sinon une branche de l’avenir se greffant sur la tige du présent ?
On dit que l’éducation d’un enfant commence plusieurs générations avant sa naissance.
Tout le monde jouait à la finance avec de l’argent factice. Même les femmes se mirent à boursicoter ! Les journaux à sensation donnaient des « astuces » et des « tuyaux » pour investir, au milieu des patrons de couture, des recettes de cuisine et des potins sur les dernières coqueluches de Hollywood. Le Ladies’ Home Journal publiait des éditoriaux rédigés par des financiers. Veuves et femmes de ménage, garçonnes et mères de famille, toutes « jouaient en Bourse ». Si la plupart des maisons de courtage adhéraient à une politique stricte interdisant la clientèle féminine, des salles de marché pour femmes fleurirent dans tout New York, et dans les plus petites villes les ménagères ayant du « flair » négligeaient leurs tâches domestiques pour suivre le marché chez le courtier du coin et passer leurs ordres par téléphone en fin de journée. Les femmes ne représentaient que 1,5 pour cent des spéculateurs dilettantes au début de la décennie. À la fin, elles approchaient les 40 pour cent. Pouvait-il exister un indicateur plus clair du désastre à venir ? La dégringolade de l’illusion collective jusqu’à l’hystérie n’était plus qu’une question de temps.
« Je n’aime pas les marxistes, tu sais ça. Leur État, leur dictature. Leur façon de parler, avec ces briques de sens, réduisant le monde à une explication unique. Comme une religion. Non, je n’aime pas les marxistes. Mais Marx… » À nouveau il avait cette expression, comme si une vision d’une beauté excessive le torturait. « Il avait raison là-dessus. L’argent est une marchandise imaginaire. On ne peut pas manger ou s’habiller avec l’argent, mais il représente toute la nourriture et tous les vêtements du monde. Voilà pourquoi c’est une fiction. Et c’est ce qui en fait la mesure avec laquelle on évalue toutes les autres marchandises. Qu’est-ce que ça signifie ? Ça signifie que l’argent devient la marchandise universelle. Mais n’oublie pas : l’argent est une fiction ; des marchandises sous une forme purement imaginaire, oui ? Et c’est doublement vrai pour le capital financier. Les actions, titres, obligations. Tu crois que le moindre de ces machins que ces bandits de l’autre côté du fleuve achètent et vendent représente la moindre réelle valeur concrète ? Non. Les actions, les titres et toutes ces cochonneries ce ne sont que des revendications d’une valeur future. Donc si l’argent est fiction, le capital financier est la fiction d’une fiction. C’est de ça qu’ils font commerce, tous ces criminels : des fictions. »
– La fiction, inoffensive ? Regarde la religion. La fiction, inoffensive ? Regarde les masses opprimées qui s’accommodent de leur sort parce qu’elles acceptent les mensonges qu’on leur fait avaler. L’histoire elle-même n’est qu’une fiction – une fiction avec une armée. Et la réalité ? La réalité est une fiction avec un budget illimité. Voilà ce que c’est. Et avec quoi la réalité est-elle financée ? Avec une fiction de plus : l’argent. L’argent est au cœur de tout cela. Une illusion qu’on s’accorde tous à soutenir. Unanimement. On peut diverger sur d’autres sujets, comme la religion ou les convictions politiques, mais on s’entend tous sur la fiction de l’argent et le fait que cette abstraction représente des marchandises concrètes. N’importe quelle marchandise. Renseigne-toi. Tout ça c’est dans Marx. L’argent, dit-il, n’est pas une seule chose. C’est, potentiellement, toutes les choses. Et, pour cette raison, il n’est lié à aucune chose.
– Attends. Il faudrait savoir. L’argent est toutes les choses ou aucune ? Parce que si… – Voilà exactement pourquoi l’argent ne dit rien des gens qui le possèdent, me hurlait-il à moitié dessus. Rien. L’argent ne dit rien de son propriétaire. Par opposition au fait d’avoir, je ne sais pas, du talent, ce qui définit une personne. La relation de l’argent à l’individu est complètement accidentelle.
– Comme l’argent est toutes les choses (ou qu’il peut être toutes les choses), il arrive quelque chose d’étrange à la personne qui le possède. Comme dit Marx, c’est comme quelqu’un qui découvre, complètement par hasard, la pierre philosophale. Tu connais la pierre philosophale ?
– Oui, je sais ce qu’est la pierre philosophale.
– La pierre philosophale te donne toute la connaissance. La totalité. Toute la connaissance de toutes les sciences. Imagine que quelqu’un tombe comme ça sur cette pierre. Par hasard. Soudain il aurait toute cette connaissance, indépendamment de son individualité. Même si c’est un parfait idiot. La totalité. Toute la connaissance.
– Oui, oui, je comprends.
– Avoir de l’argent te place dans la même position, par rapport à la richesse sociale, que celle dans laquelle la pierre place cette personne par rapport à la connaissance. Tu sais pourquoi ?
– Oui, je sais ce qu’est la pierre philosophale.
– La pierre philosophale te donne toute la connaissance. La totalité. Toute la connaissance de toutes les sciences. Imagine que quelqu’un tombe comme ça sur cette pierre. Par hasard. Soudain il aurait toute cette connaissance, indépendamment de son individualité. Même si c’est un parfait idiot. La totalité. Toute la connaissance.
– Oui, oui, je comprends.
– Avoir de l’argent te place dans la même position, par rapport à la richesse sociale, que celle dans laquelle la pierre place cette personne par rapport à la connaissance. Tu sais pourquoi ?
– Ce n’est pas un peu tiré par les cheveux ? Je veux dire, si…
– Je vais te dire pourquoi. Et je cite Marx, là. Parce que l’argent représente l’existence divine des marchandises. Les marchandises réelles, concrètes (ces chaussures, cette miche de pain) sont simplement la manifestation terrestre de l’idée divine (toutes les chaussures possibles, le pain qui n’a pas encore été fait). L’argent est, comme dit Marx, le dieu parmi les marchandises. Et ça », sa paume tournée vers le ciel dessinait un arc englobant le sud de Manhattan, « c’est sa ville sainte. »
– Je vais te dire pourquoi. Et je cite Marx, là. Parce que l’argent représente l’existence divine des marchandises. Les marchandises réelles, concrètes (ces chaussures, cette miche de pain) sont simplement la manifestation terrestre de l’idée divine (toutes les chaussures possibles, le pain qui n’a pas encore été fait). L’argent est, comme dit Marx, le dieu parmi les marchandises. Et ça », sa paume tournée vers le ciel dessinait un arc englobant le sud de Manhattan, « c’est sa ville sainte. »
Mon père n’avait jamais fait la moindre corvée domestique, sauf lorsqu’il cuisinait ses « plats spéciaux » qui généraient une quantité extraordinaire de travail pour tout son entourage. Sa presse se trouvait au milieu de notre appartement aux pièces en enfilade, et bientôt les frontières entre son travail et notre vie de famille, entre la salle de bains et la cuisine, entre la nourriture et les poubelles, entre le propre et le sale se sont estompées puis ont disparu. C’est à moi qu’incombait la tâche de faire fonctionner notre foyer. Âgée de huit ans et entièrement responsable de la maison. Si je ne faisais pas la lessive, il n’y avait pas de linge propre ; si je négligeais de passer le balai, nos traces de pieds devenaient visibles dans la poussière ; si je laissais les assiettes dans l’évier, elles restaient dans l’évier ; si je sortais sans ranger les outils et fournitures de mon père, des points gluants d’encre contagieuse se multipliaient partout sur les murs, les lits et les habits.
Après la mort de ma mère, ce nouveau rôle, que j’exécutais sans compétence et de manière improvisée, m’a paru naturel. J’étais devenue la femme de la maison. Mon père, l’anarchiste, trouvait tout aussi naturel le fait que le travail infantile soit requis afin de conserver intact le statu quo entre les sexes.
Au cours des épreuves et des entretiens que j’ai passés chez Bevel Investments, j’ai appris une chose que j’ai eu l’occasion de corroborer maintes fois au cours de mon existence : plus on est près d’une source de pouvoir, plus l’ambiance devient calme. L’autorité et l’argent s’entourent de silence, et on peut mesurer l’influence de quelqu’un à l’épaisseur du silence qui l’enveloppe.
Je pense à mon père. Il disait toujours que chaque billet d’un dollar avait été imprimé sur du papier arraché du contrat de vente d’un esclave. Je l’entends encore aujourd’hui. « Elle vient d’où, toute cette richesse ? De l’accumulation primitive. Du vol originel de terres, de moyens de production et de vies humaines. À travers toute l’histoire, l’origine du capital a été l’esclavage. Regarde ce pays et le monde moderne. Sans esclaves, pas de coton ; sans coton, pas d’industrie ; sans industrie, pas de capital financier. Le péché originel, innommable. »
Telle était l’étendue de son pouvoir. Sa fortune tordait la réalité autour d’elle.
Tout s’est effondré en 1926. À l’époque, j’ai cru que c’était la fin de notre mariage. Avec le temps, j’ai compris que c’est à ce moment-là qu’il a véritablement commencé. Car j’en suis venue à croire qu’on n’est réellement marié que lorsqu’on respecte davantage ses propres vœux que la personne pour qui ils ont été prononcés.
Le prêtre est venu avec de molles offrandes de réconfort. Dieu est la réponse la plus inintéressante aux questions les plus intéressantes.
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