J'ai beaucoup aimé
Titre : Le sang des innocents
(All the Sinners Bleed)
Auteur : S.A. COSBY
Traduction : Pierre SZCZECINER
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2023,
en français en 2024 (Sonatine)
Pages : 400
Présentation de l'éditeur :
Le Sud n’a pas changé. Ce constat, Titus Crown y
est confronté au quotidien. Ancien agent du FBI, il est le premier
shérif noir à avoir été élu à Charon, la terre de son enfance. Si son
élection a fait la fierté de son père, elle a surtout provoqué la colère
des Blancs, qui ne supportent pas de le voir endosser l’uniforme, et la
défiance des Noirs, qui le croient à la solde de l’oppresseur. Bravant
les critiques, Titus tente de faire régner la loi dans un comté rural
frappé par la crise des opioïdes et les tensions raciales. Jusqu’au jour
où Latrell, un jeune Noir, tire sur M. Spearman, le prof préféré du
lycée, avant de se faire abattre par la police. Fanatisme terroriste,
crient les uns. Énième bavure policière, ripostent les autres. À mesure
que les dissensions s’exacerbent, Titus se retrouve lancé dans une
course contre la montre pour découvrir la vérité.
Chez Sonatine, on ne dira jamais qu’on a un favori, et que son nom est S. A. Cosby. En trois romans, l’auteur s’est imposé comme une voix incontournable et un maître incontestable du thriller américain. Après Les Routes oubliées (prix Nouvelles voix du polar) et La Colère, Le Sang des innocents vient confirmer son talent pour les intrigues denses et sous pression, les personnages déchirés, et son regard remarquablement lucide sur l’Amérique et les dépossédés qu’elle coule dans son sillage.
Chez Sonatine, on ne dira jamais qu’on a un favori, et que son nom est S. A. Cosby. En trois romans, l’auteur s’est imposé comme une voix incontournable et un maître incontestable du thriller américain. Après Les Routes oubliées (prix Nouvelles voix du polar) et La Colère, Le Sang des innocents vient confirmer son talent pour les intrigues denses et sous pression, les personnages déchirés, et son regard remarquablement lucide sur l’Amérique et les dépossédés qu’elle coule dans son sillage.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
S. A. Cosby est né dans le sud-est de la Virginie, où sa
famille est installée depuis plusieurs générations. Il a été comparé à
Dashiell Hammett, Sam Peckinpah et Attica Locke. Après Les Routes oubliées et La Colère, Le Sang des innocents est son troisième roman à paraître chez Sonatine Éditions.
Avis :
Déjà remarqué pour ses précédents romans noirs, S.A. Cosby fait encore une fois un tabac avec ce nouveau polar social, campé comme à son habitude sur la gangrène raciste du Sud rural américain.Tout commence par ce qui finit par paraître presque banal aux Etats-Unis : une fusillade dans une école. Après avoir tiré sur un professeur (blanc), un lycéen (noir) est à son tour abattu par les adjoints (blancs aussi) du shérif (noir) Titus Crown. L’affaire, simple a priori, s’avère en réalité rapidement délicate. D’abord parce que, premier Noir élu au poste de shérif dans ce d’ordinaire paisible – du moins en apparence – comté de Charon, en Virginie, Titus sait qu’on ne lui pardonnera aucune erreur. Ensuite, parce que cet enseignant qui passait jusqu’ici pour modèle pourrait bien avoir caché de terriblement sinistres et barbares penchants, n’en déplaise à l’opinion publique qui a déjà fait son procès entre peaux blanches et peaux noires.
C’est donc en marchant sur des œufs que Titus, marqué par une vilaine affaire qui a jadis conduit à sa démission du FBI et bien décidé, coûte que coûte, à faire triompher une vraie justice, s’engage dans une enquête réellement nauséabonde. Coincé entre Blancs qui ne le respectent pas et Noirs qui le prennent pour un traître, confronté au racisme systémique des autorités, parviendra-t-il à établir la vérité et, surtout, à la faire admettre à ces concitoyens, quand une étincelle suffirait à transformer en brasier ce Sud rural à ce point hanté par le passé qu’il en est encore à se disputer autour de mémoriaux confédérés ? « Fondé dans le sang et l’obscurité, au sens propre comme au figuré », le comté de Charon cache en son coeur « une plaie purulente », une « gangrène [qui a] gagné les pierres pavant son sol et [a] déjà commencé à les disloquer », déplore-t-il, comme l’auteur d’autant plus lucide et critique que tous deux aiment viscéralement cette terre où ils sont nés.
Menée sur un rythme soutenu autour d’un personnage creusé en profondeur, dans toute la complexité de ses tiraillements, la narration tire sa saveur de sa peinture sans concession des réalités d’une petite ville tout à fait représentative du sud profond américain. Adossés aux séquelles d’une Histoire marquée par l’esclavage et par la guerre de Sécession, racisme et discriminations y font feu de tout bois sur fond de misère et de violence, alors que prolifèrent armes, stupéfiants et prédicateurs religieux de tout poil – le comté de Sharon ne compte pas moins de vingt-et-un lieux de culte. L’on y découvre une atmosphère si bien empoisonnée par les rancoeurs bâties autour des fantômes du passé, qu’à tout instant un rien pourrait suffire à mettre le feu aux poudres.
S’inspirant de ses discussions avec des policiers afro-Américains pour incarner en profondeur son personnage principal, S.A Cosby use du polar comme d’un miroir de ce Sud qui est le sien et dont il fait ici une ardente critique sociale. Un récit aussi intense que saisissant. (4/5)
Citations :
Le Sud ne change pas. On a beau essayer d’oublier le passé, il finit toujours par se rappeler à nous de la pire des manières.
Si on prend une hache, on va abattre un arbre. Si on prend une arme à feu, qu’on porte un badge en forme d’étoile ou pas, on va tôt ou tard finir par abattre un homme.
Les deux églises méthodistes et le temple New Wave de Jamal Addison ne représentaient que trois des vingt et un lieux de culte que comptait le comté de Charon. À l’époque où Titus était enfant, il y en avait déjà dix-neuf. Même sa mère (qui s’était pourtant occupée de l’éveil religieux à l’église pentecôtiste Emmanuel jusqu’à ce que la maladie la contraigne à démissionner, puis à garder le lit, puis à s’immobiliser à jamais) était de l’avis que c’était beaucoup trop.
« Dieu peut être partout à la fois s’il le souhaite, mais je doute que certains de ces établissements aient jamais connu sa présence. Il ne suffit pas de monter dans une chaire pour être un pasteur, tout comme il ne suffit pas de se rouler dans la boue pour être un cochon », avait-elle déclaré un jour avant d’éclater de rire.
Le jeune homme qui l’avait insulté s’appelait Ervin Jameson, mais tout le monde le surnommait « Top Cat ». Six mois auparavant, il était encore un des principaux fournisseurs de médicaments à usage récréatif du comté. Mais comme il avait aussi une fâcheuse tendance à goûter sa propre marchandise, il avait fini par faire une overdose. En se réveillant à l’hôpital après une semaine de coma, il avait annoncé avoir trouvé le salut. Il avait eu un aperçu de ce qui l’attendait de l’autre côté et il avait décidé de raccrocher pour de bon. Quelques jours plus tard, il rejoignait la paroisse d’Addison. Titus était bien placé pour savoir qu’une rencontre avec la Faucheuse peut transformer un homme, et il ne doutait pas une seconde de la sincérité d’Ervin. Ce qui l’agaçait, c’était l’arrogance suffisante qu’affichait désormais l’ancien dealer, un trait de caractère pourtant assez commun chez les néoconvertis, surtout ceux ayant souffert d’un problème d’accoutumance avant d’embrasser la foi. À croire que ces gens se contentaient de troquer leur addiction profane contre une addiction sacrée.
Rappelons-nous des paroles d’Edmund Burke : “Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien.”
Flannery O’Connor a écrit que le Sud était hanté par le Christ. Oui, il est hanté, mais par l’hypocrisie du christianisme. Toutes ces églises, toutes ces bibles, et pourtant, les pauvres sont ostracisés, les femmes se font traiter de salopes quand elles portent plainte pour viol, et moi, je ne peux pas aller boire un verre à l’Oasis sans me demander si le barman a craché dans mon verre. Les gens prétendent que ce genre de choses n’arrive pas à Charon mais, Darlene, ce genre de choses est l’essence même des petites villes comme Charon.
Un été, en stage de catéchisme, Mme Jojo avait raconté au groupe de Titus un épisode particulièrement sombre de l’histoire de Charon : Hollis Cunningham, revenu de la guerre blessé et plein de haine, avait enfermé les esclaves qui lui restaient dans une grange, avant d’y mettre le feu.
« L’armée de l’Union approchait, et il a préféré brûler ses esclaves plutôt que les libérer », avait expliqué Mme Jojo d’une voix tranchante comme un rasoir.
(…) le Sud était certainement l’endroit le plus contrarié par son passé et le plus terrifié par son avenir.
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