vendredi 14 juillet 2023

[Incardona, Joseph] Les corps solides

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les corps solides

Auteur : Joseph INCARDONA

Parution : 2022 (Finitude)

Pages : 272

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Mettez l’humanité dans un alambic, il en sortira l’essence de ce que nous sommes devenus : le jus incolore d’un grand jeu télévisé.

Anna vend des poulets rôtis sur les marchés pour assurer ­l’essentiel, pour que son fils Léo ne manque de rien. Ou de pas grand-chose. Anna aspire seulement à un peu de tranquillité dans leur mobile-home au bord de l’Atlantique, et Léo à surfer de belles vagues. À vivre libre, tout simplement. Mais quand elle perd son camion-rôtissoire dans un accident, le fragile équilibre est menacé, les dettes et les ennuis s’accumulent. Il faut trouver de l’argent. Il y aurait bien ce « Jeu » dont on parle partout, à la télé, à la radio, auquel Léo incite sa mère à s’inscrire. Gagner les 50.000 euros signifierait la fin de leurs soucis. Pourtant Anna refuse, elle n’est pas prête à vendre son âme dans ce jeu absurde dont la seule règle consiste à toucher une voiture et à ne plus la lâcher. Mais rattrapée par un monde régi par la cupidité et le voyeurisme médiatique, a-t-elle vraiment le choix ?

Épopée moderne, histoire d’amour filial et maternel, Les corps solides est surtout un roman sur la dignité d’une femme face au cynisme d’une époque où tout s’achète, même les consciences.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Joseph Incardona a 50 ans, il est Suisse d’origine italienne, auteur d’une douzaine romans, scénariste de BD et de films, dramaturge et réalisateur (un long métrage en 2013 et plusieurs courts métrages).
Ses derniers livres, Derrière les panneaux, il y a des hommes (Finitude 2015), Grand Prix de littérature policière, et Chaleur (Finitude 2017), Prix du polar romand, ont connu un beau succès, tant critique que public.

 

Avis :

Seule avec Léo, son fils adolescent passionné de surf, Anna habite un mobile-home et subsiste modestement de la vente de poulets rôtis sur les marchés de la côte Atlantique. Un accident qui la prive de sa camionnette vient mettre à mal sa situation financière déjà fragile. Les déboires s’enchaînant, elle finit par accepter, à contre-coeur et en désespoir de cause, de participer au jeu de télé-réalité auquel son fils l’a inscrite. Pour gagner un pick-up d’une valeur de 50 000 euros, il faut être le dernier à garder la main posée sur le véhicule. Commencent, pour les vingt candidats sélectionnés, des jours et des nuits d’épreuve absurde, filmée sans relâche par d’indiscrètes caméras...

Se prêter aux humiliations d’un jeu télévisé pour tenter d’échapper à la pauvreté : pour sa plus grande honte, voilà ce à quoi en est réduite la vaillante Anna, défaite par une précarité que quelques aléas et la kafkaïenne indifférence d’une bureaucratie déshumanisée ont suffi à transformer en insurmontable insolvabilité. L’ancienne surfeuse idéaliste et rebelle se retrouve ainsi partie prenante d’un pathétique championnat de la médiocrité, complice de l’avidité commerciale de puissants sponsors, de la mégalomanie d’un présentateur narcissique et de la folle détermination de joueurs prêts à tout pour une once de notoriété. Encore faut-il ajouter au tableau le voyeurisme d’une foule manipulable et versatile, accourue en masse au spectacle avec l’envie du sang comme autrefois aux jeux du cirque. Le public ne sera pas déçu, fatigue et ridicule ne tardant pas à ôter toute dignité aux concurrents, corps défaits et âmes vendues à une fin matérielle justifiant tous les moyens. C’est désormais au rythme des éliminations que progresse le récit, tendu vers une victoire aux couleurs de l’avilissement et du dégoût.

Pourtant, en filigrane de la satire cruellement cynique, transparaît aussi le conte moralement positif. Pendant que les puissants - industriels, politiciens et technocrates - virevoltent dans la seule obsession de leur cote de popularité et de leur bancabilité, une Présidente de la République continue malgré tout de s’attacher à ses valeurs humanistes et citoyennes. Marginale, elle ressemble un peu à quelque divinité dépassée par les errements inconséquents de ses créatures, mais ne désespérant pas qu’il s’en trouve bien une un jour pour racheter toutes les autres. Anna et Léo seront-ils ces exceptions capables de sauver la foi en l’humain ? Face à l’abjection, tous deux ont une échappatoire : le surf, son sens du sublime et ses idéaux de liberté, de beauté et d’harmonie avec le cosmos. S’aimeront-ils assez pour, ensemble, faire triompher leurs valeurs ?

Observateur sans illusions de la société et de ses puissants tropismes mercantiles et narcissiques, Joseph Incardona nous livre une fable féroce, sardonique, mais qui, aux frontières de l’absurde, laisse finalement le coeur l’emporter sur le cynisme. (4/5)

 

 

Citations : 

Sur un paysage de zone d’activités en bordure de rocade, il pleut un crachin d’automne au printemps. Enseignes, hangars, parkings, ronds-points. Des panneaux indicateurs comme autant de destinations commerciales. (…) Édifices de tôle où le préfabriqué est l’écrin des désirs à renouveler.
 
 
« Si je laisse passer ça, c’est moi qui prends. Et je prends cher. Je ne peux pas, je ne peux vraiment pas, ce n’est pas moi qui décide, vous savez ? »                        
On en est arrivé là ?
On en est arrivé là.                        
Quand est-ce que ça a commencé exactement ? À partir de quand le monde s’est-il complexifié au détriment des individus ? Depuis quand la procédure et la bureaucratie ont pris le dessus sur le bon sens ?                        
Personne n’est responsable, personne n’y peut rien.


En voulant le ranger, Léo brise le petit miroir que sa mère a laissé sur la table. Elle commence comme ça, la perte de l’innocence. Quand, par accident, on découvre que le monde n’a plus une seule et même vérité. Quand le miroir brisé nous renvoie l’image de notre visage morcelé et que l’on devient multiple. Peut-être faudrait-il accepter toutes les facettes qui nous constituent, même les plus laides. Surtout, les plus laides. 


Anna ne sait pas quoi faire ni comment se comporter. Cette vie est un laboratoire, un point d’interrogation : hurler, punir, chercher à comprendre ? Elle a l’impression d’être un de ces bateaux brise-glace traçant sa route au fur et à mesure, l’expérience se déploie sans aucune autre possibilité d’apprendre qu’en faisant. Et faire, dans son cas, c’est souvent se tromper.

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

6 commentaires:

  1. Il faudra que je le lise, celui-ci! J'en ai lu pas mal d'autres du même auteur, toujours avec délices, notamment la série des "Pastrella" qui relate, à différents âges, les tribulations d'un Italien de deuxième génération en Suisse.
    Bonne fin de semaine à toi!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'en ai lu que deux, avec une préférence pour ce dernier. La série des Pastrella est autobiographique, il faudra que je m'y intéresse.
      Bonne fin de semaine également.

      Supprimer
  2. J'ai découvert Joseph Incardona grâce à ce roman. On s'attache tant aux personnages qu'on s'agace de ce malheur qui leur colle à la peau. La tentation de la compromission est forte mais ce sont des êtres libres qui finalement ne lâcheront rien.

    RépondreSupprimer
  3. Je ne l'ai pas encore lu, j'attends la sortie poche, et La soustraction des possibles m'attend déjà sur mes étagères. J'avais beaucoup aimé Derrière les panneaux il y a des hommes de cet auteur.

    RépondreSupprimer
  4. Alors tu devrais aimer ces deux dernières publications de l'auteur, Ingannmic. Je suis curieuse de lire ton prochain avis.

    RépondreSupprimer