mardi 4 juillet 2023

[Chainas, Antoine] Bois-aux-Renards

 



 

J'ai aimé

 

Titre : Bois-aux-Renards

Auteur : Antoine CHAINAS

Parution : 2023 (Gallimard,
                  Collection La Noire)

Pages : 528

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Un accident de voiture au beau milieu de nulle part laisse une fillette orpheline et estropiée, Chloé, sauvée in extremis par trois hommes et une guérisseuse. Trente-cinq ans plus tard, Yves et Bernadette, un couple de tueurs en série, sillonnent les routes dans un camping-car Transporter T3 Joker Westfalia en quête d’auto-stoppeuses. Anna, une gamine témoin de leur premier meurtre de l’été, réussit à leur échapper et se réfugie au cœur d’un bois où une étrange femme boiteuse, entourée de renards, prend soin d’elle. Dans ce bois vit une communauté coupée du monde moderne, au plus près de la nature et des mythologies du lieu tout en veillant à préserver quoi qu’il en coûte sa tranquillité et sa pérennité.

Quatre trajectoires, quatre histoires singulières qui se croisent, se heurtent, s’entremêlent, comme des fils qui se resserrent, comme une forêt qui avale ses visiteurs.

 

Un mot sur l'auteur :

Né en 1971, Antoine Chainas est connu pour ses romans policiers, édités dans la Collection Noire de Gallimard. Pur a été récompensé du Grand Prix de la Littérature Policière 2014.

 

Avis :  

Quelque part au sud des Alpes, l’ancienne et peu fréquentée Voie des cols traverse un massif forestier escarpé et mal balisé. Appelée Bois-aux-Renards, cette zone de nature sauvage enserre en ses replis secrets quelques hameaux perdus, depuis longtemps oubliés et abandonnés à la ruine. C’est là, qu’étrangement, vient s’achever ou se perdre la route de voyageurs amenés à la traverser. Ainsi, en 1951, cette famille tuée par la chute accidentelle de sa voiture au fond d’un ravin et dont un corps manque à l’appel, celui d’une fillette prénommée Chloé. Ou, à l’époque de la narration dans les années 80, cette autre enfant, Anna, enfoncée dans cette forêt pour échapper à ses poursuivants, un couple de tueurs en série qu’elle a surpris en pleine action dans leur combi Volkswagen et qui, lancé sur ses talons, y tombe, complètement égaré, sur une communauté coupée du monde, qui se déplace clandestinement de hameau en hameau pour en squatter les restes d’infrastructures, sans jamais s’éloigner d’une vieille tour protégeant sur sa colline un puits de sinistre réputation.

Avant de venir se perdre dans la touffeur vénéneuse de leur huis clos sylvestre, l’on ne peut pas dire que les personnages nagent dans le bonheur. Laissés pour compte par une société de consommation gouvernée par une cupidité qui les dresse les uns contre les autres et les aliène dans l’oubli de leur nature profonde, ils se détruisent ou s’emploient à détruire autrui. Soudainement confrontés à eux-mêmes et aux instincts les plus profonds hérités du fond des âges lorsqu’ils se retrouvent, sans plus leurs repères habituels, dans l’univers primal, peuplé de mythes et de croyances couvrant tout le spectre entre merveilleux et horrifique, d’une forêt inextricable qui n’est peut-être que la projection de leur dédale intérieur, ils s’effondrent ou se révèlent. C’est ainsi que d’un récit rationnel commencé comme un thriller opposant quelques personnages pervertis à leurs victimes choisies parmi les plus fragiles, l’on arrive bientôt à une plongée dans ce qui ressemble à un histoire fantastique, nourrie de « contes, légendes et mythes » comme annoncé par le sous-titre du livre, et qui s’avère en fin de compte une allégorie aux résonances ésotériques, que l’auteur explique inspirées de l’univers du Livre des morts tibétains.

Truffé de références mythologiques et d’un vocabulaire rare, cet étrange roman nous promène avec intelligence entre désarroi et envoûtement, avec le risque que ce soit au final une pointe de lassitude qui l’emporte devant tant d’obscures et longues circonvolutions. (3/5)

 

Citations : 

« Imaginez un système de pensée, un système de vie aussi compact, aussi plein et aussi rond qu'un  œuf. Autour de ce système il y aurait la logique, dure comme une coquille. En dessous, la physique, presque liquide. Et au milieu, l'essence divine, jaune et chaude comme l'astre solaire. Il suffit d'examiner cet ovale de près pour comprendre le destin de l'homme. De la même façon que l'orientation des fils de collagène détermine la synthèse du calcium, la partie interne façonne l'extérieur, et non l'inverse. » Soudain les doigts du vieillard rompirent la cuticule, le blanc glaireux s'écoula entre ses phalanges, mais pas le jaune. Quand il ouvrit la main, la sphère molle reposait, intacte, au creux de sa paume. « Brisez la logique, laissez s'écouler les principes physiques, conformément à leur nature, et conservez la parcelle de divinité qui demeure en chacun de nous. »
 

Comprendre l'existence, dit-il joyeusement, c'est moins comprendre ce qu'il faut faire que comprendre ce qu'elle fait.
 

Un animal trop mal en point pour achever sa proie se hâtait de gagner un abri, soit pour se soigner, soit pour y crever. Dans le monde civilisé, la médecine et l'industrie pharmaceutique avaient gauchi ce paradigme élémentaire, sur lequel reposait au fond toute l'idée de nature : ou la douleur était d'intensité modérée et on en guérissait, ou elle s'avérait trop forte et elle ne durait pas. Les hôpitaux avaient créé une troisième voie, un univers spécial qui achevait de couper l'homme de ses origines : au sein des unités de soins palliatifs, les patients pouvaient subsister pour un temps indéfini dans un état intermédiaire qui n'était ni la rémission ni le trépas, mais plutôt une condition proche du cauchemar éternel. Qui pouvait consentir à pareille aberration ? Quel être doué de raison pouvait accepter de donner sa contribution, même involontaire, à cette effarante invention du progrès ? Oui, qui, sinon l'homme moderne ?


 

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