mardi 28 octobre 2025

[Incardona, Joseph] Le monde est fatigué

 





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le monde est fatigué

Auteur : Joseph INCARDONA

Parution :  2025 (Finitude)

Pages : 224

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Êve est une sirène professionnelle qui nage dans les plus grands aquariums du monde. Mais personne n’imagine la femme brisée, fracassée, que cache sa queue en silicone. Quelqu’un lui a fait du mal, tellement de mal, et il faudra un jour rééquilibrer les comptes.
En attendant, de Genève à Tokyo, de Brisbane à Dubaï, elle sillonne la planète, icône glamour et artificielle d’un monde fatigué par le trop-plein des désirs.
À travers un destin singulier, Joseph Incardona revisite le mythe de la sirène et nous donne à voir une humanité en passe de perdre son âme.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Joseph Incardona (né en 1969) est Suisse d’origine italienne. Il est l’auteur d’une quinzaine de romans ou de recueils de nouvelles. Il est aussi scénariste pour la BD, le cinéma ou la télévision, dramaturge et réalisateur (un long métrage en 2013 et plusieurs courts métrages).

 

 

Avis :

Joseph Incardona, dont l’œuvre s’est construite autour de récits noirs et satiriques à forte tension sociale, poursuit son exploration d’un univers rongé par les simulacres et les faux-semblants. Fidèle à son goût pour les personnages cabossés et les marges, il revisite ici le mythe de la sirène dans une tonalité très stylisée, presque onirique, pour mieux dénoncer la violence absurde du monde contemporain.

Êve est sirène professionnelle. Chaque soir, au gré des caprices de ses clients fortunés, elle se glisse dans les bassins chlorés d’un parc aquatique différent, quelque part sur le globe. Mais derrière les paillettes se cachent un corps reconstruit et une soif de justice inextinguible. Laissée pour morte par un chauffard qui l’a privée de ses jambes et de l’enfant qu’elle portait, elle propulse le récit dans une odyssée vengeresse à travers un monde standardisé et saccagé, faisant des aquariums, vitrines d’un divertissement aseptisé, les théâtres d’une revanche aussi muette qu’implacable. 

Entre reflets et silences liquides des bassins, l’esthétique aquatique du roman enveloppe le récit d’un halo étrange, à la fois sensuel et menaçant. Cette atmosphère dense et moite devient le réceptacle sensoriel des violences physiques et psychologiques du réel, qu’elle absorbe et répercute comme une chambre d’écho. Êve, créature bionique aux jambes de titane, incarne une figure hybride, à la fois icône glamour et spectre de la souffrance. Son corps reconstruit témoigne d’un monde qui confond le visible avec le vrai et substitue l’image à la substance.

La dictature des apparences ne façonne pas seulement des corps factices : elle gangrène le réel. Ricanant jaune, le conte poursuit son tableau grinçant d'une planète prisonnière de gestes hypocrites et de postures vertueuses, où le simulacre l’emporte sur l’action. À l’instar des grands sommets climatiques, devenus scènes d’un théâtre diplomatique exhibant plus de bonnes intentions que de véritables remèdes, le monde maquille ses blessures au lieu de les soigner. 

Aussi noire et implacable qu’esthétiquement stylisée, cette fable aquatique fidèle aux obsessions de l’auteur sonde les profondeurs d’un monde qui préfère prendre des vessies pour des lanternes plutôt que d’affronter la réalité. Une manière autant rageuse que jubilatoire de mettre le doigt sur les fissures que la surface miroitante des bassins dissimule avec soin. (4/5)

 

 

Citations :

Tout ça me désole, fait Matt. Toute cette ineptie. Cette machinerie virtuelle qui étouffe le bon sens. L’autre jour, j’étais dans un resto, le serveur était là, mais j’ai dû passer par une application pour commander mon repas. C’est même lui qui m’a montré comment faire sur mon téléphone alors que j’aurais pu lui dire ce que je voulais. L’humanité croit s’alléger, en réalité on s’alourdit.


Qui es-tu, Êve ? Une passagère déterminée par sa destination ou une voyageuse traçant la route du hasard ? 
On nous fait croire que le monde est devenu binaire, zéro et un, que le jeu est à somme nulle, que les bips d’un code-barres sont la voie du réel. 
Mais il y a toujours une troisième voie. 
Au minimum. 
(Songer à la théorie des cordes).

 

 

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