J'ai beaucoup aimé
Titre : Mécano
Auteur : Mattia FILICE
Parution : 2023 (P.O.L.)
Pages : 368
Présentation de l'éditeur :
« J’ai, d’une certaine manière, tenté de dresser le portrait d’un héros
d’une mythologie qu’il nous reste encore à écrire », explique l’auteur
de ce premier roman, rédigé à la fois en prose et en vers. Le narrateur
pénètre, presque par hasard, dans un monde qu’il méconnaît, le monde
ferroviaire. Nous le suivons dans un véritable parcours initiatique :
une formation pour devenir « mécano », conducteur de train. Il fait la
découverte du train progressivement, de l’intérieur, dans les entrailles
de la machine jusqu’à la tête, la cabine de pilotage. C’est un monde
technique et poétique, avec ses lois et ses codes, sa langue, ses
épreuves et ses prouesses souvent anonymes, ses compagnons et ses
traîtres, ses dangers. On roule à deux cents kilomètres à l’heure, avec
la peur de commettre une erreur, mais aussi avec un sentiment d’évasion,
de légèreté, sous l’emprise de centaines de tonnes. Le roman de Mattia
Filice épouse le rythme et le paysage ferroviaires, transmute l’univers
industriel du train, des machines et des gares en prouesse romanesque,
dans une écriture détournée, qui emprunte autant à la langue technique
qu’à la poésie épique. Mais c’est aussi un apprentissage social, la
découverte du monde du travail, et parfois la rencontre de vies brisées.
Un étonnant roman de formation, intime et collectif, où les plans de
chemin de fer, les faisceaux des voies, décident de nos mouvements comme
de nos destins, où se distinguent et se croisent vers et prose.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Mattia Filice, comme le héros de son livre, devient un peu par hasard en
2004 conducteur de train. Il est depuis, toujours sur les rails, au
départ de la gare Saint-Lazare, à Paris. Mécano est son premier roman.
Avis :
Mattia Filice conduit des trains depuis dix-huit ans. Cet ancien projectionniste de cinéma s’est retrouvé mécano au hasard d’une reconversion, après un licenciement. Avec un irrésistible sens de l’humour et de la poésie, ce peu ordinaire premier roman transcrit son parcours en véritable épopée, virtuose bouquet de prose et de vers libres sur fond de grisaille industrielle.
« L’apprentissage du chevalier sans armure ni épée ni cheval », « Le lyrisme du chevalier acheminé jusqu’au butoir », « Le chevalier posté au croisement bon » : avec autant d’humour que de passion pour son métier, c’est en véritable chevalier du rail que s’érige l’auteur. Adoubé après une formation aux allures de rude parcours initiatique, le voilà à chevaucher des monstres d’acier d’une puissance colossale que seuls les membres de sa confrérie savent mener au doigt et à l’oeil, forts d’un savoir technique au jargon si obscur qu’il en devient étonnamment poétique, constamment sur le pied de guerre pour battre en brèche incidents et accidents - toujours possiblement dramatiques, en tout cas nécessitant chaque fois de livrer sans faillir la bataille qui assurera la sécurité et la continuité du service -, « lonesome cow-boys » convoyant contre vents et marées leurs cargaisons d’âmes ou de fret, dans une vie nomade semée de bivouacs en foyers perdus entre dépôts et gares de triage.
« L’apprentissage du chevalier sans armure ni épée ni cheval », « Le lyrisme du chevalier acheminé jusqu’au butoir », « Le chevalier posté au croisement bon » : avec autant d’humour que de passion pour son métier, c’est en véritable chevalier du rail que s’érige l’auteur. Adoubé après une formation aux allures de rude parcours initiatique, le voilà à chevaucher des monstres d’acier d’une puissance colossale que seuls les membres de sa confrérie savent mener au doigt et à l’oeil, forts d’un savoir technique au jargon si obscur qu’il en devient étonnamment poétique, constamment sur le pied de guerre pour battre en brèche incidents et accidents - toujours possiblement dramatiques, en tout cas nécessitant chaque fois de livrer sans faillir la bataille qui assurera la sécurité et la continuité du service -, « lonesome cow-boys » convoyant contre vents et marées leurs cargaisons d’âmes ou de fret, dans une vie nomade semée de bivouacs en foyers perdus entre dépôts et gares de triage.
De traits d'humour en clins d’oeil cinématographiques, Mattia Filice réussit si bien à faire des petites anecdotes journalières de véritables épopées, que, chaque page comportant son lot d’épreuves à traverser, le récit nous tient au rythme de ses rebondissements comme un facétieux roman d’aventures. Formant une riche et disparate galerie de portraits, les acteurs anonymes du quotidien y deviennent des héros, liés par un esprit de corps prompt à se manifester par l’entraide, mais aussi par la grève. Le livre se fait alors également social et politique, au gré d’observations de la relation au travail, des rapports hiérarchiques et de la manière dont les dirigeants considèrent les employés.
Mais, plus que tout le reste, ce sont véritablement ses qualités littéraires qui achèvent de rendre génial ce livre sans pareil. Et l’on s’incline chapeau bas devant le prodige de tant de poésie jaillie du mystérieux jargon des techniciens du rail et de l’austère ambiance industrielle des gares, des dépôts et des locaux techniques ferroviaires. (4/5)
Mais, plus que tout le reste, ce sont véritablement ses qualités littéraires qui achèvent de rendre génial ce livre sans pareil. Et l’on s’incline chapeau bas devant le prodige de tant de poésie jaillie du mystérieux jargon des techniciens du rail et de l’austère ambiance industrielle des gares, des dépôts et des locaux techniques ferroviaires. (4/5)
Citations :
Au royaume du hasard
Je suis le maître du temps
Transporte des milliers de cœurs
Des millions de battements
Il me suffit de cravater quelques commutateurs
Et j’avancerai l’heure de chacun d’entre eux
Je ne sonne pas le tocsin, ni ne détiens de pouvoir divin
Je conduis le train
Période d’essai
je me sens comme un pantalon en cabine d’essayage
espérons que la taille soit la bonne
que je passerai en caisse
et non jeté tout froissé dans le panier destiné
immanquablement
à retourner au rayon de ceux qui attendent
je me sens comme un pantalon en cabine d’essayage
espérons que la taille soit la bonne
que je passerai en caisse
et non jeté tout froissé dans le panier destiné
immanquablement
à retourner au rayon de ceux qui attendent
Nonna, je ne comprends pas pourquoi, enfant, alors que tu sentais que nous avions soif de sensations, tu nous faisais le récit de naufrages, d’incendies et autres
séismes où le cannibalisme devenait un moyen de survie, alors qu’il aurait suffi que tu nous contes une simple journée de travail.
La gare est comme un océan
marée basse et marée haute
des vagues humaines peuvent nous traîner loin
surtout lors des grandes marées
au moment de la pleine rentrée
lorsque scolarité et travail sont dans l’alignement
il nous faut vérifier le coefficient
pour celui d’entre nous
qui doit longer plusieurs voies
avant de retrouver son train
il faut anticiper les vagues
des vagues amenées par des trains
des vagues qui emportent tout sur leur passage
panneau d’affichage kiosque à journaux
vendeur ambulant
quand la masse humaine s’engouffre
dans le goulot qu’est Saint-Laz
L’onde mécanique se propage à une vitesse
qui surprend celui qui a travaillé pendant la marée basse aux heures creuses où les voyageurs sortent pour flâner le marnage
la différence avec les heures de pointe est telle
que le Mécano non averti finit contre un rocher
Ou une vitrine de prêt-à-porter
(…)
Les anciens reconnaissent les algues, celles qui restent sur la plateforme, qui se déplacent de distributeur en poubelle en quête de pièce oubliée, de restes à manger, telle cette algue dont les cheveux en broussaille et la démarche détendue nous rappelle Pablo.
marée basse et marée haute
des vagues humaines peuvent nous traîner loin
surtout lors des grandes marées
au moment de la pleine rentrée
lorsque scolarité et travail sont dans l’alignement
il nous faut vérifier le coefficient
pour celui d’entre nous
qui doit longer plusieurs voies
avant de retrouver son train
il faut anticiper les vagues
des vagues amenées par des trains
des vagues qui emportent tout sur leur passage
panneau d’affichage kiosque à journaux
vendeur ambulant
quand la masse humaine s’engouffre
dans le goulot qu’est Saint-Laz
L’onde mécanique se propage à une vitesse
qui surprend celui qui a travaillé pendant la marée basse aux heures creuses où les voyageurs sortent pour flâner le marnage
la différence avec les heures de pointe est telle
que le Mécano non averti finit contre un rocher
Ou une vitrine de prêt-à-porter
(…)
Les anciens reconnaissent les algues, celles qui restent sur la plateforme, qui se déplacent de distributeur en poubelle en quête de pièce oubliée, de restes à manger, telle cette algue dont les cheveux en broussaille et la démarche détendue nous rappelle Pablo.
Le fil de contact commence à vibrer lentement, un son s’étend et s’empare de l’environnement, une cascabelle munie d’anneaux en cascade, le train annonce son approche tel un serpent géant. La caténaire est un instrument de musique à une corde et le train son archet. Son timbre se répand et transperce l’air quand, sous les stries dessinées par les fils tendus, apparaissent au tournant l’engin moteur et ses voitures ; une chevauchée sonore envahit le territoire, des roues sur les rails, du panto sur le cuivre, de l’air purgé par le compresseur, des frottements et des essieux, des moteurs et des bogies. Sur le quai, les ondes qui se dégagent ressemblent à celles d’un éclair.
Puis le train s’éloigne et la voix s’éteint lentement, la caténaire oscille encore légèrement puis s’immobilise, jusqu’à ce qu’un autre archet vienne se frotter à elle.
On va faire le tête-à-queue
Tu vas refouler puis appuyer pour la coupe
puis je vais te faire évoluer jusqu’au Cv17 à revers
de type bas
et à l’ouverture tu pourras directement appuyer
Tu vas refouler puis appuyer pour la coupe
puis je vais te faire évoluer jusqu’au Cv17 à revers
de type bas
et à l’ouverture tu pourras directement appuyer
Je suis comme aspiré, aimanté par l’inavouable renoncement, comme un wagon dans un triage à butte poussé sur la bosse, entraîné par la gravité.
Un micro s’approche d’un homme avec sa mallette sagement posée sur ses genoux, comme un comptable qui rêve secrètement de devenir dresseur de lions. Il prend le temps d’observer son seau à mots. Il les pèse, les soupèse, les écale soigneusement et les prononce avec la même rigueur, sans hausser le ton et sans être flottant non plus, il manie les mots comme un transporteur d’objets antiques sur un chemin caillouteux et, après avoir décrit son parcours du combattant pour rejoindre l’autre rive, répond à la question fatidique du
que pensez-vous de cette grève ?
Paradoxalement, je pense qu’ils ont raison
Je ne sais pas alors, lui non plus d’ailleurs, que, de direction en direction, ce poète atteindra la place de numéro un, et ne manquera pas alors, de lancer, sans ironie, le programme dit Humain, contenant des mots qui, s’ils devenaient des êtres, porteraient plainte pour usurpation d’identité.
Pour que je comprenne au mieux, il fait le parallèle avec les portables. Quand un directeur change de poste, c’est suite à la sortie du dernier modèle : Manager D8. Il dispose des mêmes fonctionnalités que le précédent, exigence de robustesse, de restructuration permanente, mais avec de nouvelles applis, avec une plus grande autonomie, une capacité à tenir dans le temps un envahissement de réunion malgré l’heure du déjeuner amplement dépassée, de nouvelles fonctions comme la capacité de compatir, d’approuver même, tout en finissant par conclure qu’il n’a pas le pouvoir pour changer la donne. Selon les années, le modèle est plus ou moins grand, svelte ou compact, mais ce n’est alors que d’ordre esthétique, qu’une question de goût. Les directeurs sont remplacés quand les fins de série sont bradées, en période de soldes ou quand le modèle est obsolète. Je suis d’autant plus convaincu par l’exposé d’Adama qu’en voyant les mains du directeur trembloter je repense à l’écran de mon portable dont l’image vacillait : batteries en fin de Vie.
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