dimanche 16 juillet 2023

[Guelfenbein, Carla] La saison des femmes

 



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Titre : La saison des femmes
           (La estación de las mujeres
)

Auteur : Carla GUELFENBEIN

Traduction : Claude BLETON

Parution : en espagnol (Chili) en 2019,
                  en français en
2023 (Actes Sud)

Pages : 128

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

En un patchwork littéraire aux trames entrecroisées, Carla Guelfenbein fond passé et présent, fiction et réalité, création et citation, pour faire converger toutes les voix vers la problématique éternellement actuelle de la condition féminine. Des femmes de premier plan mais qui, dans l’ombre, enchaînées à l’attente, parviennent à dynamiter le carcan qui pèse sur elles avec une extrême douceur.

« Je pense à toutes les femmes qui attendent tranquillement dans la pénombre. Attendre est une façon de disparaître ».

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Carla Guelfenbein est née en 1959 à Santiago du Chili. Exilée en Angleterre après le coup d’État de Pinochet, elle y étudie la biologie, puis le design à Central Saint Martins. De retour au Chili, elle travaille dans des agences de publicité.

 

 

Avis :

Depuis qu’elle soupçonne son mari, professeur au Barnard College de New York, de la tromper avec de jeunes et fraîches étudiantes, Margarita se poste régulièrement sur un banc, dans le parc du campus, pour l’épier à distance et en silence. Soixante-cinq plus tôt, en 1948, trois autres femmes, elles aussi fictives sauf une, se croisaient sur le même campus : Elizabeth, atterrie à Harlem après avoir rompu avec sa riche famille, y suivait des cours de littérature et se laissait mourir d’amour pour un professeur adjoint de l’université ; Juliana, treize ans, interrompait sa scolarité pour y seconder sa mère, membre du personnel de ménage ; Doris Dana hésitait à mettre fin à sa relation étouffante avec l’enseignante et poétesse chilienne Gabriela Mistral, récemment couronnée du prix Nobel de littérature.

Comme en une savante et d’abord illisible juxtaposition de tesselles finissant, avec du recul, par dévoiler le complexe dessin d’une mosaïque, les brefs chapitres de ce court récit s’assemblent peu à peu pour dévoiler la trame commune tissée à leur insu par ces femmes aux prises chacune avec leur trajectoire personnelle. Entre amours vacillantes – bafouées, impossibles ou toxiques – ou scolarité brisée par la pauvreté, toutes se retrouvent indécises, incapables de trancher les fils de leur vie pour les reprendre en main, figées dans une passivité teintée de résignation masochiste qui fait dire à Carla Guelfenbein qu’ « attendre, c'est une façon de disparaître. » La narration fait résonner tous ces instants d’irrésolution de multiples échos, complétant les références à Sylvia Plath, Alejandra Pizarnik, Alfonsina Storni, Virgina Woolf, Violeta Parra et d’autres encore – toutes écrivains ou artistes s’étant plus ou moins heurtées aux parois de verre de la condition féminine avant de faire le choix du suicide –, d’extraits d’un livre intitulé « Comment disparaître en Amérique sans laisser de traces ».

Alors, que décidera notre contemporaine Margarita ? Se résignera-t-elle aux mensonges de son mari, hypothéquant sa vie et son bonheur pour se fondre en une sorte de morte vivante ? Ou refusera-t-elle la soumission pour renaître à une nouvelle existence ? Carla Guelfenbein ouvre les portes et tend les perches à ses lecteurs, leur laissant imaginer ce que pourrait devenir son personnage si elle osait enfin, mais aussi, par extension, toutes les femmes prisonnières des murs de verre qu’elles acceptent que l’on érige autour d’elles. (3,5/5)

 

 

Citations :

Je pense à toutes les femmes qui attendent tranquillement dans la pénombre. Attendre, c’est une façon de disparaître, surtout quand ce qu’on espère, avec un mélange de masochisme et de perversion, c’est de surprendre son mari avec une fille accrochée à son bras.

Comme Sylvia Plath qui ouvrit le gaz et mit la tête dans son four, comme Alejandra Pizarnik qui fit une overdose de barbituriques, comme Alfonsina Storni qui s’enfonça dans l’Atlantique, comme Anne Sexton qui démarra le moteur de sa voiture dans le garage, s’assit et attendit la mort, comme Alina Reyes qui se coupa les veines dans une baignoire, comme Antonieta Rivas Mercado qui se tira une balle dans le cœur avec le pistolet de Vasconcelos à Notre-Dame de Paris, comme Virginia Woolf qui se noya dans l’Ouse en remplissant ses poches de pierres, comme Francesca Woodman qui sauta par la fenêtre d’un loft du Lower East Side de Manhattan, comme la fille sans nom qui ingurgita du cyanure dans les toilettes d’un centre commercial de Santiago. Comme Violeta Parra qui se tira une balle dans la tête.

C’est peut-être le bon moment. Elle l’ignore, comme elle ignore ce que contiennent les instants avant qu’ils soient passés, auquel cas c’est trop tard pour les saisir. Elle a l’impression que la vie lui échappe ainsi, furtivement.

Si tu fuis celui qui te violente, il te rattrapera. C’est la loi du tortionnaire, il a besoin de sa proie pour être sûr de sa propre valeur.

Les personnes disparaissent peut-être pour que quelqu’un finisse par les voir ?


 

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