mercredi 1 février 2023

[Mottley, Leila] Arpenter la nuit

 




Coup de coeur 💓

 

Titre : Arpenter la nuit (Nightcrawling)

Auteur : Leila MOTTLEY

Traduction : Pauline LOQUIN

Parution : 2022 en anglais (Etats-Unis)
                  et en français (Albin Michel)

Pages : 416

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Kiara, dix-sept ans, et son frère aîné Marcus vivotent dans un immeuble d’East Oakland. Livrés à eux-mêmes, ils ont vu leur famille fracturée par la mort et par la prison. Si Marcus rêve de faire carrière dans le rap, sa sœur se démène pour trouver du travail et payer le loyer. Mais les dettes s’accumulent et l’expulsion approche.

Un soir, ce qui commence comme un malentendu avec un inconnu devient aux yeux de Kiara le seul moyen de s’en sortir. Elle décide de vendre son corps, d’arpenter la nuit. Rien ne l’a pourtant préparée à la violence de cet univers, et surtout pas la banale arrestation va la précipiter dans un enfer qu’elle n’aurait jamais imaginé.

Un roman à la beauté brute, porté par la langue à fleur de peau de Leila Mottley. 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Leila Mottley est une autrice et poétesse américaine de dix-neuf ans, originaire d’Oakland en Californie. Désignée Oakland Youth Poet Laureate en 2018, elle a été reconnue en 2020 par le New York Times comme l’une des dix jeunes auteurs noirs américains les plus talentueux. Arpenter la nuit, qu’elle a écrit à l’âge de dix-sept ans, a suscité l’enthousiasme d’éditeurs du monde entier. Sa publication apparaît déjà comme un évènement et l’acte de naissance d’une formidable carrière d’écrivain.

 

Avis :

Depuis la mort de leur père et l’internement de leur mère, Kiara, dix-sept ans, et son frère aîné Marcus vivent d’expédients, seuls dans leur appartement miteux d’un quartier noir défavorisé d’East Oakland, sur la côte californienne. Pendant que Marcus, caressant le doux rêve de percer dans le rap, s’échine avec quelques comparses sur un projet d’album qui ne verra jamais le jour, la jeune fille cherche désespérément le moyen de payer leur loyer et d’éviter l’expulsion. Faute de trouver le moindre emploi, elle finit par se résoudre à arpenter la nuit et ses trottoirs, et se retrouve rapidement sous la coupe de policiers véreux qui l’exploitent sexuellement en échange d’une vague protection. De passes furtives en soirées gang bang, sa descente aux enfers la mène droit au coeur de la tourmente médiatique et judiciaire qui se déchaîne lorsque le scandale éclate.

Inspiré de faits réels survenus à Oakland en 2015, le récit se nourrit de la proximité de l’auteur avec son personnage, une fille noire du même âge et de la même ville en qui elle se projette avec une profondeur de ressenti et un réalisme impressionnants - lui prêtant beaucoup d’elle-même et jusqu’à une compagne calquée sur la sienne propre -, pour nous plonger dans une narration puissante, intelligente, sublimée par le naturel sobre et direct et par la poésie d’une plume si parfaitement mature et maîtrisée que l’on s’ébahit de ses même pas vingt ans et d’un talent déjà si éclatant.

Sans colère ni amertume, mais avec une lucidité désabusée qui en dit long sur la désespérance afro-américaine dans ces quartiers où la vie semble sans issue, Leila Mottley prête une voix et un visage à toutes ces femmes noires, en butte à des violences sexuelles en plus des persécutions policières habituelles, et qui, oubliées des mouvements comme Black Lives Matter – nés pour la défense de victimes jusqu’ici masculines -, demeurent désespérément invisibles. Loin de la représentation diabolisante et réductrice entretenue par les médias, son meilleur argument est l’empathie qu’elle suscite pour une poignée de personnages très jeunes et attachants, dont la profonde détresse ne vient jamais assombrir la lumineuse tendresse, pour un frère, pour un enfant, pour une amante.

Si, avec ce premier roman confondant de maturité, Leila Mottley n’a pas remporté le prestigieux Booker Prize dont elle était la plus jeune sélectionnée depuis que ce prix littéraire existe, gageons que ce n’est que partie remise et que cette magnifique nouvelle plume fera encore parler d’elle. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :   

Maman me disait toujours que le sang, y a rien de plus important, mais je crois qu’on finit tous par l’oublier, et quand on tombe et qu’on s’écorche les genoux, c’est à des inconnus qu’on demande de nous remettre sur pied. Je ne dis pas au revoir à Shauna et elle ne se retourne pas pour me regarder partir et ressortir sous un ciel qui s’est noyé dans un bleu bien profond au moment même où mon frère m’a demandé de faire la seule chose qu’il ne faut pas que je fasse, la seule chose qui inquiète assez Shauna pour qu’elle me mette en garde : creuser en moi pour tout donner à une personne qui n’en aura rien à foutre le jour où je serai complètement vide.


Je m’attendais à ce que sa voix soit plus aiguë, mais en réalité il a comme un puits au fond de la gorge et quand sa voix sort, on dirait qu’elle s’est fait tabasser par sa langue.


Dans la salle de bain, je regarde droit dans le miroir. Je suis de toutes les nuances de marron. Dans mes cheveux il y a des reflets roux qui remontent à la fois où j’ai essayé de les teindre en auburn, et je me maquille avec du mascara dilué et de l’eye-liner que je ne sais pas vraiment appliquer. Je finis par ressembler à une version adulte de moi-même, plus anguleuse. Mon visage est beaucoup plus tranchant qu’avant et mes épaules accentuent le côté déshabillé de la robe avec mon corps qui se voit au travers. Je ne suis pas si maigre que ça, mais visiblement mes épaules pensent que je le suis. Le reste de mon corps est un coussin doux qui garde mes organes à l’abri.


Trevor s’arrête dans l’encadrement de la porte et se retourne pour me regarder. Son visage enlace ses yeux tendrement comme s’ils étaient fragiles, sur le point de dégringoler.   
– S’il te plaît.


Je crois que 190 a une lune à la place du cœur ; elle croît et elle décroît, ne sachant jamais quand elle est pleine. 


Les gens ne croient pas en Dieu parce qu’ils ont des preuves, seulement parce qu’ils savent que rien ne peut prouver qu’ils se trompent.

 

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