Coup de coeur 💓
Titre : Lady Susan
Auteur : Jane AUSTEN
Traduction : Pierre GOUBERT
Parution : en anglais en 1871,
en français en 2000 chez Folio
Pages : 128
Présentation de l'éditeur :
Une veuve spirituelle et jolie, mais sans un sou, trouve refuge chez son
beau-frère, un riche banquier. Est-elle sans scrupules, prête à tout
pour faire un beau mariage, ou juste une coquette qui veut s'amuser ? Le
jeune Reginald risque de payer cher la réponse à cette question...
Grande dame du roman anglais, Jane Austen trace le portrait très
spirituel d'une aventurière, dans la lignée des personnages d'Orgueil et
préjugé et de Raison et sentiments.
Un mot sur l'auteur :
Jane Austen (1775-1817) est une femme de lettres anglaise. Ses romans, parmi lesquels Raison et Sentiments (1811), Orgueil et Préjugés (1813), Mansfield Park (1814), Emma (1815), Northanger Abbey (1818) et Persuasion (1818), sont devenus de grands classiques de la littératures anglo-saxonne et romantique. En Angleterre, le succès de Jane Austen est tel qu'en 2017 elle est la deuxième femme, après la reine d'Angleterre, à figurer sur les billets de banque.Avis :
A trente-cinq ans, la séduisante Lady Susan se retrouve veuve et désargentée. Précédée d’un parfum de scandale alors que sa coquetterie manipulatrice aurait brisé plus d’un ménage, elle s’invite chez son riche beau-frère pour y poursuivre ce que toutes les autres femmes décèlent de ses manigances sans scrupules, mais qui charme tant les hommes que bon nombre se laisseraient volontiers mener jusqu’au mariage.
Aussi intelligente qu’égoïste et amorale, Lady Susan semble partagée entre le plaisir de séduction que lui permet son indépendance, et l’ambition qui la rend prête à tout pour se remarier avantageusement. En tous les cas, elle s’en donne à coeur joie pour manipuler son entourage sans vergogne, mentant et trompant avec le plus grand cynisme, et allant jusqu’à maltraiter cruellement sa fille de seize ans, qui, bien que tenue éloignée, commence à lui faire de l’ombre alors qu’il lui faut songer à la caser elle aussi.
Cette femme dont l’intelligence et la beauté désarmante dissimulent une personnalité narcissique, froide et calculatrice, usant de tous les ressorts de l’hypocrisie et de la manipulation pour jouer avec les sentiments d’autrui sans jamais se départir d’une insensibilité cruelle, a quelque chose de Madame de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. L’air de famille s’impose d’autant plus que, tout comme pour la marquise, c’est un échange épistolaire qui nous dévoile peu à peu le vrai visage de Lady Susan, au travers notamment de ses lettres à son amie et complice, et de la correspondance de l’épouse de son beau-frère avec sa mère, qui toutes deux la détestent.
On se laisse prendre avec délice à cette peinture finement satirique de la bonne société anglaise du XVIIIe siècle, ridiculisée par une aventurière bien décidée à user de ses armes et du mariage, puisque c’est le seul moyen alors pour les femmes de s’assurer statut social et aisance financière. Et si son audace cyniquement opportuniste scandalise tant les épouses tout en séduisant si systématiquement les hommes, n’est-ce pas aussi parce qu’elle s’emploie à mettre en œuvre, ouvertement et librement, ce que chacune a vécu et fera vivre à ses filles dans le strict respect des conventions et des apparences : un mariage arrangé avec un bon parti, entendons par là un homme riche à défaut de tout autre affinité, auprès de qui elles trouveront ennui mais sécurité matérielle, et qui leur fera peut-être la grâce de ne pas les encombrer trop longtemps si, comme souvent, il les devance quelque peu en âge ?
Porté par la plume déjà remarquable d’une Jane Austen alors âgée de dix-huit ans, ce court roman d’une extraordinaire finesse psychologique est une lecture étonnamment réjouissante, tant il brocarde avec esprit la bien-pensante société de son époque. (5/5)
Aussi intelligente qu’égoïste et amorale, Lady Susan semble partagée entre le plaisir de séduction que lui permet son indépendance, et l’ambition qui la rend prête à tout pour se remarier avantageusement. En tous les cas, elle s’en donne à coeur joie pour manipuler son entourage sans vergogne, mentant et trompant avec le plus grand cynisme, et allant jusqu’à maltraiter cruellement sa fille de seize ans, qui, bien que tenue éloignée, commence à lui faire de l’ombre alors qu’il lui faut songer à la caser elle aussi.
Cette femme dont l’intelligence et la beauté désarmante dissimulent une personnalité narcissique, froide et calculatrice, usant de tous les ressorts de l’hypocrisie et de la manipulation pour jouer avec les sentiments d’autrui sans jamais se départir d’une insensibilité cruelle, a quelque chose de Madame de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. L’air de famille s’impose d’autant plus que, tout comme pour la marquise, c’est un échange épistolaire qui nous dévoile peu à peu le vrai visage de Lady Susan, au travers notamment de ses lettres à son amie et complice, et de la correspondance de l’épouse de son beau-frère avec sa mère, qui toutes deux la détestent.
On se laisse prendre avec délice à cette peinture finement satirique de la bonne société anglaise du XVIIIe siècle, ridiculisée par une aventurière bien décidée à user de ses armes et du mariage, puisque c’est le seul moyen alors pour les femmes de s’assurer statut social et aisance financière. Et si son audace cyniquement opportuniste scandalise tant les épouses tout en séduisant si systématiquement les hommes, n’est-ce pas aussi parce qu’elle s’emploie à mettre en œuvre, ouvertement et librement, ce que chacune a vécu et fera vivre à ses filles dans le strict respect des conventions et des apparences : un mariage arrangé avec un bon parti, entendons par là un homme riche à défaut de tout autre affinité, auprès de qui elles trouveront ennui mais sécurité matérielle, et qui leur fera peut-être la grâce de ne pas les encombrer trop longtemps si, comme souvent, il les devance quelque peu en âge ?
Porté par la plume déjà remarquable d’une Jane Austen alors âgée de dix-huit ans, ce court roman d’une extraordinaire finesse psychologique est une lecture étonnamment réjouissante, tant il brocarde avec esprit la bien-pensante société de son époque. (5/5)
Citations :
Pour ma part, j'ai été si gâtée dans ma petite enfance qu'on ne m'a jamais obligée à m'appliquer à quelque étude que ce soit, et il s'ensuit que je n'ai pas ces talents de société qui sont considérés comme nécessaires aujourd'hui pour parfaire une jolie femme. Ce n'est pas que je me fasse le défenseur de la mode qui prévaut d'acquérir une connaissance sans défaut de tout ce qui est langues, beaux-arts et sciences. C'est du temps perdu. Posséder le français, l'italien, l'allemand, la musique, le chant, le dessin, etc. vaudra quelques applaudissements à une femme mais n'ajoutera pas un seul prétendant à sa liste. La grâce et les manières, après tout, sont ce qui compte le plus.
J’ai beaucoup de choses à accomplir. Il me faut punir Frederica, et assez sévèrement, pour s’être adressée à Reginald. Il me faut le punir lui aussi pour avoir accueilli la requête de ma fille aussi favorablement, ainsi que pour le reste de sa conduite. Je dois tourmenter ma belle-sœur pour le triomphe insolent que font paraître son air et son attitude depuis le renvoi de Sir James — car, en me réconciliant avec Reginald, je n’ai pu sauver cet infortuné jeune homme. Enfin, je me dois un dédommagement pour les humiliations auxquelles je me suis abaissée ces jours derniers.
Il m’est impossible de dire quand je pourrai vous voir. Ma réclusion risque d’être longue. C’est me jouer un tour tellement abominable de tomber malade ici, au lieu que ce soit à Bath, que c’est à peine si j’arrive à garder un peu de maîtrise de moi. À Bath, ses vieilles tantes auraient pris soin de lui mais ici tout m’incombe — et il supporte son mal avec tant de sérénité que je n’ai pas même l’excuse que l’on a d’ordinaire pour perdre son sang-froid.
Ma chère Alicia, quelle erreur n’avez-vous pas commise en épousant un homme de son âge — juste assez vieux pour être formaliste, pour qu’on ne puisse avoir prise sur lui et pour avoir la goutte —, trop sénile pour être aimable et trop jeune pour mourir.
J’ai beaucoup de choses à accomplir. Il me faut punir Frederica, et assez sévèrement, pour s’être adressée à Reginald. Il me faut le punir lui aussi pour avoir accueilli la requête de ma fille aussi favorablement, ainsi que pour le reste de sa conduite. Je dois tourmenter ma belle-sœur pour le triomphe insolent que font paraître son air et son attitude depuis le renvoi de Sir James — car, en me réconciliant avec Reginald, je n’ai pu sauver cet infortuné jeune homme. Enfin, je me dois un dédommagement pour les humiliations auxquelles je me suis abaissée ces jours derniers.
Il m’est impossible de dire quand je pourrai vous voir. Ma réclusion risque d’être longue. C’est me jouer un tour tellement abominable de tomber malade ici, au lieu que ce soit à Bath, que c’est à peine si j’arrive à garder un peu de maîtrise de moi. À Bath, ses vieilles tantes auraient pris soin de lui mais ici tout m’incombe — et il supporte son mal avec tant de sérénité que je n’ai pas même l’excuse que l’on a d’ordinaire pour perdre son sang-froid.
Ma chère Alicia, quelle erreur n’avez-vous pas commise en épousant un homme de son âge — juste assez vieux pour être formaliste, pour qu’on ne puisse avoir prise sur lui et pour avoir la goutte —, trop sénile pour être aimable et trop jeune pour mourir.
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