J'ai beaucoup aimé
Titre : L'Histoire de la Standard Oil
Company
(The History of the Standard Oil
Company)
Auteur : Ida TARBELL
Traduction : Lars KEMPER
Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1904,
en français en 2022 (Séguier)
Pages : 512
Présentation de l'éditeur :
À l’aube du XXe siècle, une ressource d’un genre nouveau, tapie dans les entrailles de la terre, déchaîne tous les appétits : c’est l’or noir. Aux États-Unis, cœur battant de la révolution industrielle, des milliers de barils du précieux liquide sont écoulés chaque jour – et la demande ne fait que croître. Mais à force de manœuvres, une entreprise, la Standard Oil Company, est parvenue à faire main basse sur la quasi-totalité de son commerce, et abuse de ce monopole pour imposer à tous la loi de ses seuls profits. Rien ne semble pouvoir arrêter son expansion ni l’influence de son fondateur, John D. Rockefeller…
Une femme va cependant se dresser contre cet ogre économique : Ida Tarbell, considérée comme l’une des pionnières du journalisme d’investigation moderne. Entre 1902 et 1904, elle publie dans une revue indépendante, le McClure’s Magazine, une série d’articles révélant les pratiques déloyales, sinon illicites, employées par la Standard Oil pour neutraliser ses rivales. Son enquête choc provoquera une déflagration dans l’opinion publique qui conduira la justice américaine, en 1911, à reconnaître l’entreprise coupable de violation du droit de la concurrence et à ordonner son démantèlement. C’en sera fini du plus grand trust de l’histoire des États-Unis.
Ici traduit en français pour la première fois, le livre de Tarbell est un monument de la littérature américaine qui brasse tous les éléments de sa mythologie – une plongée dans l’enfance terrible du capitalisme, lorsque tout était encore permis.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Figure historique du journalisme américain, Ida Tarbell (1857-1944) est aussi l’auteure de biographies de référence consacrées à de grandes personnalités politiques, notamment Napoléon et Abraham Lincoln.Avis :
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’on ne connaît le pétrole que par les affleurements qu’il forme lorsqu’il abonde en sous-sol. Il n’a alors guère d’utilité, si ce n’est pharmaceutique, puisqu’on lui prête des vertus de panacée. Mais voilà qu’il pourrait servir de lubrifiant pour l’industrie et de combustible pour l’éclairage. Lorsque - les lecteurs de l’album de Lucky Luke A l’ombre des derricks s’en souviennent - le colonel Drake fore le premier puits artésien, faisant jaillir le liquide noir en geyser dans l’ouest de la Pennsylvanie, c’est la ruée vers l’or noir et le début chaotique du développement d’une nouvelle industrie très vite éminemment stratégique. En quelques années, une société s’impose, tuant méthodiquement la concurrence pour s’ériger en position dominante et imposer sa loi sur le secteur. Rien se semble plus devoir limiter l’essor de la Standard Oil Company et le pouvoir de son fondateur, John D. Rockefeller, premier milliardaire recensé au monde, dans les esprits mi-dieu, mi diable, tant il fascine en même temps qu’il suscite crainte et détestation.C’est sans compter une femme, Ida Tarbell, fille d’un producteur et raffineur de pétrole indépendant, ruiné par les tactiques déloyales de la Standard Oil. En 1899, ses articles sur les grandes figures féminines de la Révolution française, puis ses biographies de Napoléon et d’Abraham Lincoln, publiées en épisodes dans le McClure’s Magazine, en ont fait un grand nom du journalisme américain. Lorsqu’elle est promue rédactrice en chef de la revue, elle décide de se consacrer à un projet qui lui tient depuis longtemps à coeur : raconter toute la vérité sur l’histoire et les méthodes de la Standard Oil Company.
Pendant quatre ans, malgré les pressions et les menaces, elle mène minutieusement ses investigations, consultant des milliers de documents et rassemblant des centaines de témoignages, comme celui, plein de haine, du propre frère du milliardaire, ou cet autre, essentiel, d’un membre du comité de direction du groupe, soucieux d’alléger ses responsabilités à l’heure où la Standard Oil approche d’une tourmente judiciaire. Publiés en série de 1902 à 1904, ses vingt-quatre articles soigneusement étayés, qui dénoncent le chantage, les intimidations et la corruption accompagnant les restrictions au commerce et les discriminations tarifaires pratiquées par le trust, font grand bruit. Ils relancent la machine judiciaire qui, malgré l’action des quelques derniers producteurs indépendants de pétrole et le vote en 1890 du Sherman Antitrust Act resté en réalité lettre morte, n’a jamais, jusqu’ici, réussi à inquiéter l’imperturbable maître du pétrole américain : à cette époque, le trust contrôle plus de 90 % du pétrole raffiné aux Etats-Unis et en fixe seul les prix. Cette fois, la bagarre judiciaire aura raison du géant : la Cour suprême en ordonnera la dissolution en 1911.
S’en tenant strictement aux faits avec une extrême précision, l’auteur ne prend position qu’en toute fin de son livre, s’insurgeant contre l'absence d'éthique du capitalisme sauvage né avec l’industrialisation fulgurante du XIXe siècle, le tout entretenu à grands coups de corruption du monde politique, à la faveur d’une opinion publique majoritairement convaincue que pour gagner des dollars, il vaut bien de casser quelques œufs. Pour la première fois traduit en français, dans une version allégée de quand même plus de cinq cents pages, ce document n’est pas seulement d’une rigueur exemplaire et d’une incomparable richesse historique : captivant de bout en bout, il se lit comme une épopée fascinante, dominée par la figure mystérieuse, aussi austère et taciturne, que déterminée et calculatrice, d’un homme d’une incroyable intelligence prédatrice. (4/5)
Citations :
Il est des hommes qui sont incapables de comprendre certaines choses qui, pour d’autres, semblent être les principes les plus évidents de la justice : c’est le cas pour beaucoup d’hommes qui sont par ailleurs considérés comme des hommes bons. M. Rockefeller était un homme « bon ». Il n’y avait pas de baptiste plus fidèle que lui à Cleveland. Depuis sa jeunesse, il soutenait généreusement toutes les initiatives de cette église. Il donnait à ses pauvres. Il visitait ses malades. Il pleurait avec ses souffrants. De plus, il donnait sans ostentation à de nombreuses œuvres de charité d’autres villes dont il était convaincu du mérite. Il était simple et frugal dans ses habitudes. Il n’allait jamais au théâtre, ne buvait jamais de vin. Il consacrait beaucoup de temps à l’éducation de ses enfants, cherchant à leur inculquer ses propres principes d’économie et de charité. Pourtant, il était prêt à déployer tous ses efforts pour obtenir des compagnies ferroviaires des privilèges injustes qui allaient ruiner tous les hommes de l’industrie pétrolière qui n’en bénéficieraient pas. Il était prêt à prendre position contre les convictions de toute une industrie, à s’opposer à un mouvement populaire visant à réparer une injustice, aussi révoltante pour le sens de l’équité que les discriminations auxquelles se livraient les compagnies ferroviaires. L’émotion religieuse et les sentiments de charité, de bienséance et d’abnégation semblent avoir remplacé chez lui les notions de justice et de respect des droits d’autrui.
Pour M. Rockefeller, ce sentiment était une faiblesse. Préférer l’indépendance au profit était pour lui aussi incompréhensible que de refuser un rabais parce que ce n’était pas bien ! Quand le raffineur ne se laissait pas persuader, il était donc nécessaire, selon lui, d’exercer une pression – une pression suffisante pour démontrer à ces individus aveugles ou récalcitrants qu’il leur serait impossible de continuer à travailler de façon indépendante. Les pressions exercées différaient selon les régions. Le plus souvent, cela consistait à casser les prix pour s’approprier le marché. La technique de la « concurrence prédatrice » n’était pas une invention de la Standard Oil Company. Elle existait dans le secteur pétrolier depuis le début : c’était d’ailleurs l’un des maux que M. Rockefeller prétendait guérir grâce à sa coalition. Toutefois, jusqu’à présent, elle n’avait été employée que de manière sporadique. Or M. Rockefeller ne faisait jamais rien de manière sporadique. Il se mit donc à vendre à perte pour détruire le marché de ses rivaux avec le même soin et la même détermination qui caractérisaient tous ses efforts, et à la longue, il gagnait toujours. Il y avait bien sûr d’autres formes de pression. Parfois, les indépendants se trouvaient dans l’impossibilité d’obtenir du pétrole ; une autre fois, ils étaient obligés d’attendre des jours pour que leurs wagons soient expédiés. Les méthodes pour compliquer les affaires des hommes et les décourager jusqu’à ce qu’ils vendent ou louent semblaient infinies, et toujours les acheteurs rôdaient, pour ne jamais manquer le moment opportun où le raffineur se résignerait à vendre.
Le regroupement des entreprises par la persuasion, l’intimidation ou la force se poursuivait dans tous les centres de raffinage du pays. Dès qu’une raffinerie était intégrée, on lui assignait une tâche. S’il s’agissait d’une usine ancienne et mal équipée, elle était généralement démantelée ou fermée. Si elle était mal placée, c’est-à-dire si elle n’était pas économiquement bien placée par rapport à un pipeline ou à une voie ferrée, elle était démantelée même si elle était en excellent état. Si c’était une grande usine bien équipée et avantageusement située, on lui attribuait un certain quota de fabrication, et elle ne faisait rien d’autre que fabriquer. L’achat du brut, la négociation des tarifs de fret, la vente de la production restaient entre les mains de M. Rockefeller. Les contrats en vertu desquels toutes les raffineries mises en service étaient exploitées étaient des plus détaillés et des plus rigides, et ils étaient exécutés avec un degré de confidentialité qui dépasse l’entendement.
Alors que l’absorption de l’industrie pétrolière se poursuivait de manière régulière et continue, il était de plus en plus rare de voir des hommes résister aux propositions de location ou de vente qui émanaient d’entreprises travaillant en collaboration avec la Standard Oil Company ou soupçonnées de le faire. C’était particulièrement vrai à Cleveland. La population considérait qu’une proposition de M. Rockefeller équivalait peu ou prou à un ordre de « se rendre et d’abandonner ses biens ». « Le commerce du pétrole raffiné nous appartient », avait dit M. Rockefeller à M. Morehouse. « Nous avons les installations nécessaires : il doit donc nous revenir. Nous avons mis suffisamment d’argent de côté pour anéantir toute entreprise concurrente qui s’opposerait à nous » – et les gens le croyaient !
Le 29 avril 1879, le Grand Jury du comté de Clarion dressa un acte d’accusation contre John D. Rockefeller, William Rockefeller, Jabez A. Bostwick, Daniel O’Day, William G. Warden, Charles Lockhart, Henry M. Flagler, Jacob J. Vandergrift et George W. Girty (Girty était le trésorier de la Standard Oil Company). L’acte d’accusation comportait huit chefs d’accusation. En bref : conspiration dans le but de s’assurer le monopole de l’achat et de la vente de pétrole brut, et d’empêcher d’autres personnes qu’eux-mêmes d’acheter et de vendre du pétrole et d’en tirer un profit légitime ; formation d’une entente visant à opprimer et à pénaliser les producteurs de pétrole ; conspiration dans le ut d’empêcher d’autres personnes qu’eux-mêmes de s’engager dans le raffinage du pétrole, et visant à s’assurer le monopole de cette activité ; formation d’une entente visant à nuire au commerce de transport des compagnies ferroviaires de l’Allegheny Valley et de Pennsylvanie en les empêchant de recevoir le trafic de pétrole local, à détourner le trafic appartenant naturellement aux transporteurs de la Pennsylvanie vers ceux d’autres États par des moyens illégaux, à extorquer aux compagnies ferroviaires des rabais et des commissions déraisonnables et à contrôler les prix du marché du pétrole brut et raffiné par des moyens et des dispositifs frauduleux, afin de réaliser des gains illégaux.
LOCKHART, TEXAS, 30 novembre 1894.
M. Keenan, qui est avec les gens de Waters-Pierce à Galveston, nous a rendu plusieurs visites et nous a fait des propositions de toutes sortes pour que nous nous retirions des affaires. Il a notamment offert de nous verser un salaire mensuel si nous abandonnions la vente de pétrole et si nous leur laissons le contrôle total du commerce, et il a insisté pour que nous indiquions un chiffre que nous accepterions pour nous retirer des affaires, et il a également prévenu que si nous n’acceptions pas sa proposition, ils baisseraient les prix en dessous de ce que le pétrole nous coûte et nous forceraient à nous retirer des affaires. Nous lui avons demandé s’ils continueraient à vendre le pétrole à un prix aussi bas que le nôtre, si nous acceptions sa proposition, et il a répondu de manière très claire qu’ils augmenteraient le prix immédiatement s’ils réussissaient à éliminer la concurrence.
J. S. LEWIS AND COMPANY
Si j’envoie un homme sur le terrain pour vendre des marchandises pour moi, dit M. Shull, et qu’il prend des commandes de 200 à 300 barils par semaine, avant même que je sois en mesure d’expédier ces marchandises, la Standard Oil Company s’est déjà rendue sur place et a contraint ces gens à annuler ces commandes en les menaçant de faire baisser le prix du pétrole à un niveau tel qu’ils ne pourront pas se permettre de revendre les marchandises.
Je suis désolé de vous dire qu’un homme de la Standard Oil de votre ville a suivi le wagon de pétrole et le pétrole jusqu’à chez moi et m’a dit qu’il ne me laisserait pas gagner un dollar sur ce pétrole. Il m’a harcelé pendant deux jours pour avoir acheté ce pétrole et a proféré toutes sortes de menaces, a parlé à mes employés de maison pendant que j’étais sorti et m’a finalement persuadé de le rendre, alors que j’hésitais sur la conduite à tenir, mais j’ai cédé et je le regrette beaucoup depuis. Je voulais éviter que les prix s’effondrent, et c’est pourquoi je l’ai fait – c’est la seule raison. Le pétrole était bon. Je vois maintenant l’erreur – c’est d’avoir fait venir une ou deux cargaisons par semaine ici, c’est plus que ce que l’autre société n’était disposée à tolérer.
Un homme qui se montre traître, menteur, voleur, même pour le « bien de l’industrie pétrolière », ne reste jamais longtemps au service de la Standard Oil Company. Il est notoire dans les Régions Pétrolifères que les personnes qui « se vendent » à la Standard Oil ne reçoivent jamais de postes à responsabilité. Ils peuvent être mutés ici et là pour faire le « sale boulot », comme on dit dans les Régions Pétrolifères, mais ils sont des parias au sein du groupe. M. Rockeeller sait mieux que quiconque la nécessité vitale de l’honnêteté dans une organisation, et les Buckley et les Noirs qui lui apportent des renseignements secrets ne reçoivent jamais que de l’argent et du mépris pour leur peine.
Chaque producteur de pétrole mécontent, chaque raffineur ruiné racontait les récits de conflits désastreux sur les marchés. On parlait d’hommes infirmes qui vendaient du pétrole indépendant avec leur charrette à bras, dont le commerce avait été anéanti par des charrettes de la Standard Oil qui les suivaient jour après jour, en donnant le pétrole pour presque rien. On racontait que des épiciers avaient fait faillite en essayant de soutenir un raffineur indépendant. On racontait des histoires sans fin, probablement toutes exagérées, peut-être certaines fausses, mais toutes crues, à cause de faits tels que ceux qui ont été relatés ci-dessus. La population en vint à estimer que la « Standard était prête à tout ». Cet état de fait promettait des ennuis sans fin à M. Rockefeller et à ses collègues. Cela entraînait méfiance populaire, hostilités mesquines, mauvaises interprétations, mépris, abus. Beaucoup étaient même prêts à nier les talents de M. Rockefeller. Dans l’esprit des gens, le fait que la Standard Oil soit impliquée dans une affaire était suffisant pour la condamner. Tout ce que la Standard voulait était mal, tout ce qu’elle contestait était bien. Un verdict en sa faveur démontrait la corruption du juge et du jury ; contre elle, leur droiture. En effet, M. Rockefeller avait chaque année plus d’occasions de vérifier que la mise en place d’un monopole n’entraînait pas seulement des profits, mais aussi des épreuves.
Aussi étrange que cette remarque puisse paraître, il est incontestable qu’en 1884, les Régions Pétrolifères dans leur ensemble regardaient M. Rockefeller avec une crainte qui n’était pas dénuée de superstition. L’idée que les hommes du pétrole se faisaient de lui ressemblait beaucoup à celle que le peuple anglais se faisait de Napoléon dans la première partie du XIXe siècle, et à la vision que les paysans bretons ont encore aujourd’hui des Anglais – une puissance redoutable, cruelle, omnisciente, toujours à l’affût.
À ce moment critique, le salut vint de certains individus dispersés à travers le monde du pétrole, résolus à tester la validité de la prétention de M. Rockefeller selon laquelle les affaires du pétrole lui appartenaient. « Nous sommes en droit d’exercer une activité indépendante, disaient-ils, et nous avons la ferme intention de le faire. » Et ils commencèrent par attaquer le point faible de l’armure de M. Rockefeller. Les douze années écoulées leur avaient appris que la réalisation du grand dessein de M. Rockefeller avait été rendue possible par sa remarquable manipulation des compagnies ferroviaires. C’était la pratique des remises qui avait engendré le trust de la Standard Oil : des remises amplifiées, systématisées, glorifiées pour devenir une puissance jamais égalée auparavant ou depuis par aucune entreprise du pays. Les remises avaient engendré le trust, et, malgré dix ans d’ententes, d’associations pétrolières, d’unions de producteurs, de résolutions, de procès en équité, de procès en quo warranto, d’appels au Congrès, d’enquêtes législatives, elles constituaient toujours l’arme la plus efficace de M. Rockefeller. S’ils pouvaient la lui arracher des mains, ils pourraient faire des affaires. Ils avaient appris autre chose à cette époque : toute l’opinion publique et l’esprit de la loi étaient contre les remises, et les compagnies ferroviaires, le sachant, craignaient d’être accusées de discrimination et pouvaient être amenées à transiger plutôt que de voir leurs pratiques rendues publiques. Par conséquent, disaient ces personnes, nous proposons d’intenter des poursuites pour les remises et de faire s’accumuler les amendes jusqu’à ce que nous rendions la situation si pénible et si dangereuse pour les compagnies ferroviaires qu’elles fermeront leurs portes à M. Rockefeller.
La première enquête d’importance eut lieu en février 1888, dans la ville de New York, sous la direction du Sénat de l’État de New York. Une liste de plus d’une vingtaine de trusts était entre les mains du comité et, vu le peu de temps dont elle disposait, il était certain qu’elle ne pourrait en examiner plus d’une demi-douzaine. Il semble qu’il n’y ait eu aucune hésitation à inclure le trust de la Standard Oil. « C’est le trust originel, écrivit le comité. Son succès a encouragé la formation de tous les autres trusts ou coalitions. C’est le genre de système qui s’est répandu comme une maladie dans le système commercial de ce pays. »
Bien des choses ont été dites en faveur des objectifs du trust de la Standard Oil et de ce qu’il a accompli. Il est bien possible qu’il ait amélioré la qualité et réduit le coût du pétrole et de ses dérivés pour le consommateur. Mais ce n’est pas là la conséquence habituelle d’un monopole ; et le principe de la loi est de considérer, non pas ce qui peut arriver, mais ce qui arrive habituellement. L’expérience montre qu’il n’est pas sage de se fier à la cupidité humaine lorsqu’elle a l’occasion de s’enrichir aux dépens d’autres personnes. Prétendre avoir fait baisser le prix pour le consommateur, c’est le prétexte habituellement invoqué pour défendre les monopoles de ce genre.
Nous avons relaté la réussite de M. Rockefeller dans son objectif de mettre sous son contrôle les raffineurs du pays et les méthodes auxquelles il eut recours pour y parvenir. On se souviendra que pendant une brève période, en 1872 et 1873, il dirigea une association qui promettait de réduire la production de pétrole, mais qu’en juillet 1873, elle fut dissoute. On se souviendra que trois ans plus tard, en 1875, il mit en place une deuxième association qui, en un an, revendiqua le contrôle de 90 % de la puissance de raffinage du pays, et en moins de quatre ans, de 95 %. Ce pourcentage élevé, M. Rockefeller n’a pas été en mesure de le conserver, mais de 1879 à aujourd’hui, il n’y a pas eu de période où il ait contrôlé moins de 80 % de la production pétrolière du pays. Aujourd’hui, il en contrôle environ 83 %.
Pour de nombreuses personnes dans le monde, il importe sans doute peu que le pétrole se vende à 2,1 ou 3,2 cents le litre. Cependant, cela devient parfois une affaire tragique, comme en 1902-1903, lorsque, pendant la famine du charbon, les plus pauvres, privés de charbon, dépendaient du pétrole pour se chauffer. En janvier 1903, à New York, le pétrole était vendu aux revendeurs à partir de wagons-citernes à 2,9 cents le litre. Ce pétrole ne coûtait pas plus de 1,7 cent au raffineur indépendant, qui payait tous les frais de transport et de commercialisation au coût de 0,3 cent le litre. Il coûtait probablement 0,3 cent de moins à la Standard Oil Company. Dans un contexte de libre concurrence, il serait bien entendu impossible de maintenir un prix aussi élevé. Mais tout au long du rude hiver 1902-1903, le prix du pétrole raffiné augmenta encore. On prétendit que cela était dû à la hausse du prix du pétrole brut, mais dans tous les cas, le prix du pétrole raffiné augmenta nettement plus que celui du pétrole brut. En effet, une étude comparative minutieuse des prix du pétrole montre que la Standard Oil fait presque toujours progresser le marché du pétrole raffiné d’un bon nombre de points de plus que le marché du pétrole brut. […] Bien que cela ait été la règle, il y a bien sûr aussi des exceptions, comme lorsqu’une guerre des prix est en cours. Ainsi, au printemps 1904, la concurrence sévère, en Angleterre, de la Shell Transportation Company et du pétrole russe amena la Standard Oil à baisser le prix du pétrole raffiné à l’exportation beaucoup plus que celui du pétrole brut. Mais […] le prix du pétrole sur le marché intérieur fut maintenu à un niveau élevé.
Peu d’hommes, que ce soit dans la vie politique ou industrielle de ce pays, peuvent se prévaloir d’être parvenus à réaliser un projet plus conforme à sa conception initiale que John D. Rockefeller. En effet, tant dans ses objectifs que dans ses méthodes, la Standard Oil Company est, et a toujours été, une réplique de la South Improvement Company, par le biais de laquelle M. Rockefeller s’est fait connaître dans l’industrie pétrolière. Certes, le projet initial a subi de nombreuses modifications. Son aspect le plus choquant, les rétrocessions sur les expéditions d’autrui, a été supprimé. Néanmoins, aujourd’hui, comme au début, l’objectif de la Standard Oil Company reste celui de la South Improvement Company : réguler les prix du pétrole brut et raffiné en contrôlant la production ; et le principal moyen de soutenir cet objectif est toujours celui du plan original : contrôler le transport pour bénéficier d’avantages tarifaires.
Il va sans dire qu’il est absurde de laisser un tel pouvoir entre les mains d’un quelconque fabricant de produits de première nécessité. C’est exactement comme si une société destinée à fabriquer toute la farine du pays possédait tous les chemins de fer – sauf 10 % – collectant et transportant le blé. Elle pourrait et ferait évidemment en sorte qu’il soit difficile et coûteux pour tout concurrent potentiel d’obtenir du grain à moudre, et en période de pénurie, elle pourrait même l’en priver.
Coucou ! Chouette sujet, en vrai ! Ça me fait penser au roman Pétrole ! écrit par Upton Sinclair, un auteur très engagé !
RépondreSupprimerUn roman qui doit aussi être très intéressant. Il faut dire que le sujet est propre à enflammer l'imagination littéraire.
Supprimer