vendredi 22 avril 2022

[Jones, Cherie] Et d'un seul bras, la soeur balaie sa maison

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Et d'un seul bras, la soeur balaie
            sa maison
           (How the One-armed sweeps her
           house)

Auteur : Cherie JONES

Traduction : Jessica SHAPIRO

Parution : en anglais (La Barbade) et
                  en français (Calmann-Lévy) en 2021

Pages : 368

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Lala vit chichement dans un cabanon de plage de la Barbade avec Adan, un mari abusif. Quand un de ses cambriolages dans une villa luxueuse dérape, deux vies de femmes s’effondrent. Celle de la veuve du propriétaire blanc qu’il tue, une insulaire partie de rien. Et celle de Lala, victime collatérale de la violence croissante d’Adan qui craint de finir en prison. Comment ces deux femmes que tout oppose, mais que le drame relie, vont-elles pouvoir se reconstruire ?

Derrière des paysages caribéens idylliques, un intense et poignant portrait de femmes blessées depuis des générations. Renversant de grâce et d’émotions à vif, Et d’un seul bras, la soeur balaie sa maison est un premier roman déchirant qui prouve que l’héritage des traumatismes est tenace, mais pas toujours  irrémédiable.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Cherie Jones est née en 1974 à la Barbade. Elle a remporté plusieurs prix littéraires pour ses nouvelles, dont le Commonwealth Short Story Prize. Et d’un seul bras, la soeur balaie sa maison, son premier roman encensé, est l’une des nouvelles sensations de la scène littéraire anglophone. En parallèle de sa carrière de romancière, elle exerce depuis des années le métier d’avocat à la Barbade.

 

Avis :

La Barbade. Côté face, ses cocotiers sur ciel d’azur et sable d’or, ses villas luxueuses face à la mer, et ses touristes, riches et blancs, venus oublier les longs mois d’hiver de chez eux. Côté pile, dans une ombre encore obscurcie par un si éclatant mirage, insupportable d’inaccessible proximité, la pauvreté et la désespérance de jeunes Noirs du cru sans avenir.

Malgré les mises en garde de sa grand-mère qui, à grand renfort de contes édifiants comme celui du titre, l’a élevée en espérant la protéger des mille dangers qui guettent les filles pleines de rêves, Lala a succombé au charme trompeur d’Adan, un voyou qu’elle a épousé et dont elle attend un enfant. Le couple vivote dans un modeste cabanon en bord de plage, quand Adan commet l’irréparable. Au cours d’un cambriolage foireux qui tourne au drame, il tue le propriétaire des lieux, anéantissant du même coup deux existences : celle de Mira Whalen, la veuve de la victime, que son mariage avec un riche Anglais avait inespérément élevée au-dessus de sa modeste condition d’insulaire, et celle de Lala, qui, avec son nouveau-né, fait les frais de la violence déchaînée d’un Adan aux abois.

Pour les femmes de cette histoire, l’avenir ne se décide qu’au travers des hommes. Si certaines, comme Mira, en sont conscientes et en usent pour s’offrir une meilleure existence, d’autres investissent leur vie sans calcul, éblouies par une séduction éphémère qui ne les protégera pas longtemps des pires désillusions. Dans un cas comme dans l’autre, leur dépendance est totale : dans la famille de Lala, elles subissent sans recours violence conjugale et inceste, ivrognerie et dérives criminelles de leurs maris ; dans la situation de Mira, elles perdent tout en cas de séparation ou de veuvage.

D’une plume qui jamais ne juge, mais décortique avec subtilité la macération du désespoir et de la colère, qui, au fil de générations confrontées à un clivage social abyssal, engage bien des paradis insulaires dans un engrenage de violence de plus en plus incontrôlable, ce premier roman d’une grande maîtrise met en scène de bien crédibles et poignants personnages, transformés peu à peu, et malgré eux, en hommes et femmes au bord de l’explosion. Heureusement, l’amour et le sacrifice produisent parfois leurs fruits, et, peut-être, l’espoir est-il encore permis… (4/5)

 

 

Citations : 

Les gens mentent quand ils décrivent la première claque. Lala sait qu’on ne peut pas faire confiance à une femme qui vous dit d’où la première claque est venue, parce que la première fois qu’on vous bat, si vous êtes vraiment sous le choc, la seule chose dont vous vous souviendrez, c’est de la douleur. Vous ne pouvez pas vous souvenir d’où c’est venu parce que vous ne vous y attendiez pas. Un peu comme les histoires que racontent les hommes comme Adan, qui disent que vous pouvez vous faire tirer dessus sans même vous en rendre compte, car vos sens doivent essayer de déchiffrer les indices laissés par quelque chose que votre cerveau ne comprend toujours pas. Vos yeux voient du sang, vos oreilles entendent le coup de feu, votre nez sent la poudre à canon, vous sentez le goût de la bile, vous sentez un point rouge et humide. En gros, vous avez été touché. La première claque, vous n’en prenez conscience qu’une fois que vos sens ont suffisamment récupéré pour vous transmettre l’information. Une femme qui affirme le contraire est une sorcière qui s’attendait à recevoir une gifle et l’a très probablement cherchée. Une femme comme ça a donc les yeux trop grands ouverts pour être vraiment amoureuse.

Elle ne l’avait pas quitté, bien sûr. Quelle femme irait quitter un homme pour risquer de subir les mêmes choses des mains d’un autre ? La voisine de Wilma ne se réfugiait-elle pas chez elle presque tous les vendredis soir après que son mari était rentré à la maison ? N’avait-elle pas vu, sur des femmes de sa connaissance, les preuves de raclées pires encore que celles qu’elle-même essuyait ? Sa propre mère n’avait-elle pas toléré pareilles corrections ?

Que sont les secrets, si ce n’est des choses que l’on veut oublier ? Par conséquent, pourquoi voudrait-on rester ami avec ceux qui s’en souviennent ?


 

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