vendredi 18 octobre 2019

[Adam, Olivier] Une partie de badminton






 

J'ai beaucoup aimé

Titre : Une partie de badminton

Auteur : Olivier ADAM

Année de parution : 2019

Editeur : Flammarion

Pages : 384






 

 

Présentation de l'éditeur :

Après une parenthèse parisienne qui n’a pas tenu ses promesses, Paul Lerner, dont les derniers livres se sont peu vendus, revient piteusement en Bretagne où il accepte un poste de journaliste pour l’hebdomadaire local. Mais les ennuis ne tardent pas à le rattraper. Tandis que ce littoral qu’il croyait bien connaître se révèle moins paisible qu’il n’en a l’air, Paul voit sa vie conjugale et familiale brutalement mise à l’épreuve. Il était pourtant prévenu : un jour ou l’autre on doit négocier avec la loi de l’emmerdement maximum. Reste à disputer la partie le plus élégamment possible.

Comme dans Falaises, Des vents contraires ou Les Lisières, Olivier Adam convoque un de ses doubles et brouille savoureusement les pistes entre fiction et réalité dans ce grand livre d’une vitalité romanesque et d’une autodérision très anglo-saxonnes.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Olivier Adam est né en 1974. Il est l'auteur de nombreux livres dont Je vais bien, ne t'en fais pas (Le Dilettante, 2000), Passer l'hiver (L’Olivier, Goncourt de la nouvelle 2004), Falaises (L’Olivier, 2005), À l'abri de rien (L’Olivier, prix France Télévisions 2007 et prix Jean-Amila-Meckert 2008), Des vents contraires (L’Olivier, Prix RTL/Lire 2009), Le Cœur régulier (L’Olivier, 2010), Les Lisières, Peine perdue, La Renverse et Chanson de la ville silencieuse (Flammarion, 2012, 2014, 2016 et 2018).


Avis :

Cette partie de badminton aurait pu s'intituler La vie n'est pas un long fleuve tranquille : après quelques années à Paris, Paul, écrivain quadragénaire déserté par le succès, se résout à revenir en Bretagne Nord et à y accepter un poste de journaliste pour un hebdomadaire local. Les soucis et les difficultés de tout ordre s'accumulent bientôt, lui faisant perdre le contrôle d'une existence jusqu'alors suffisamment confortable pour en masquer les fêlures. Dans ces moments difficiles, artifices et faux-semblants se dissipent, les relations professionnelles, familiales et amicales apparaissent sous un nouveau jour, et Paul se retrouve bien seul face aux coups durs.

Avant que son récit ne s'emballe et ne prenne des allures de thriller, l'auteur prend tout son temps pour nous imprégner du mal-être de Paul, nous suggérant les lézardes personnelles cachées sous les apparences d'une vie jusqu'ici brillante et sans histoire, amplifiées par un désarroi croissant face à une société en mutation peinte en contrepoint. C'est véritablement une perte totale de repères, professionnels, familiaux, amicaux, qui vient déboussoler cet homme et le confronter à ses propres contradictions, dans un contexte sociétal morose où il peine de plus en plus à se retrouver.

Difficile de ne pas y voir quelques projections autobiographiques pleines d'autodérision, notamment quant aux interrogations soulevées sur le rapport entre le talent et le succès commercial, ou sur le microcosme intellectuel parisien. Mais nombreuses sont les questions évoquées dans ce livre, qui nous concernent et nous dépassent tous : préservation de l'environnement, migrants, emploi, perte de repères politiques, violences diverses...

Sans doute un peu exagérée pour les besoins de l'intrigue et de la dérision, comportant certes quelques longueurs et répétitions, cette chronique sociale ne manque ni de sel ni d'intérêt. Chacun sourira d'y retrouver un écho personnel, à propos de l'un ou de l'autre - espérons pas de tous - , des multiples ennuis de Paul. (4/5)


Citations :

L’adolescence était un cimetière. Les dépouilles d’enfants joyeux y reposaient comme la peau d’une mue.

L’enfance avait la peau dure. Enchantée ou douloureuse, on ne s’en remettait jamais vraiment.

Il avait une gueule banale, entretenait malgré lui avec chacun une forme de distance à peine polie, n’avait pas la réputation d’être un type particulièrement sympathique ni communicatif, son pouvoir de séduction lui avait toujours paru celui d’une endive sous vide.

Manon en conclut que la vie était un sacré sac de nœuds, un putain de sport de rue et Paul acquiesça.
— Sûr, c’est pas du badminton.
Elle sourit. Sa réplique était tirée d’une chanson du dernier Alain Chamfort (Exister quel sport de rue/Sûr c’est pas du badminton/Exister si j’avais su/Aurais-je décliné la donne) que Manon aimait dans leurs rares moments de connivence pasticher en hurlant « Exister, ça pue du cul ». Ils arrivèrent à la maison en chantonnant ces paroles légèrement vulgaires mais tout à fait réjouissantes.

— Oh… Qu’elle s’inquiète si ça l’amuse. Ça l’occupe. Tu sais, la vérité, c’est qu’elle s’emmerde dans la vie. Elle soupire dès qu’il se passe quelque chose mais en réalité elle n’espère que ça. Elle se plaint des ennuis que je lui crée. Mais elle fait partie des gens qui aiment ça. Se lamenter à cause du souci qu’on leur donne. Alors qu’ils en jouissent. Enfin quelque chose leur arrive. Enfin ils peuvent se plaindre d’un truc concret. Elle fait partie de ces gens, quand leur gosse se casse le bras, c’est pas lui qu’il faut plaindre, mais eux. Pareil pour moi. Le problème, c’est pas ma prétendue fragilité psychologique. C’est pas pour moi qu’il faut s’inquiéter. Non, c’est pour elle. Elle voudrait qu’on la plaigne d’avoir une sœur comme ça. Comme si c’était plus dur à vivre pour elle que pour moi. Mais c’est comme ça. Il y a des gens comme ça. Tu en connais sûrement.
Bien sûr qu’il en connaissait. Par pelletées. C’était même le cas de la majorité des gens. On pouvait observer ça dans tous les domaines et à tous les échelons. Pauvres gouvernements qui devaient dépenser un pognon de dingue pour s’occuper des plus vulnérables, des plus précaires, rognant des crédits qu’ils auraient tellement préféré réserver à l’enrichissement des premiers de cordée. Pauvres États prospères qui devaient accueillir des crève-la-faim, des gens fuyant la guerre, la misère ou la catastrophe climatique. Pauvres villes bourgeoises obligées d’abriter des ghettos pullulant de chômage et de délinquance et de s’occuper un minimum de leurs habitants qui ne rapportaient rien et coûtaient beaucoup. Pauvres établissements scolaires forcés d’abriter en leur sein des élèves défavorisés, récalcitrants, délaissés, largués, inadaptés, turbulents, malheureux. Pauvres parents affublés d’enfants fragiles, difficiles, remuants, apathiques, hyperactifs, angoissés, casse-cou, ingérables, maladifs, ingrats. Pauvres enfants accablés de parents vieillissants, diminués, séniles, isolés, mourants, chiants comme la pluie. Pauvres individus forcés de prendre soin des leurs. Que d’ennuis. Que de soucis. On ne pouvait jamais être tranquille, profiter bien égoïstement de son petit bonheur individuel, de sa petite maison de son petit jardin de sa petite auto, on ne pouvait pas produire et consommer, se planter devant son ordinateur et partir en vacances sans que quelqu’un vienne nous emmerder.


Elle croyait le connaître parce qu’elle avait lu ses foutus romans ? Elle se fourrait le doigt dans l’œil. Tout ce qu’il avait toujours écrit n’était qu’un amas de mensonges. Ces milliers de pages ne disaient rien de lui. C’était même le contraire, elles le planquaient, le camouflaient, faisaient office d’armure ou de masque. Et qu’y avait-il derrière ? Rien. Ou si peu. Un type absent à lui-même. Incapable de vivre. Effrayé par les autres. Le genre qui aurait préféré ne pas naître s’il avait su. Le genre qui aurait décliné l’offre s’il avait pu.

Comme tous les gens qui s’estimaient structurés par des valeurs, des règles, il vivait dans une réalité fabriquée de toutes pièces que tout élément perturbateur menaçait de faire s’écrouler.


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