mercredi 29 décembre 2021

[Appanah, Nathacha] Rien ne t'appartient

 






Coup de coeur 💓💓

 

Titre : Rien ne t'appartient

Auteur : Nathacha APPANAH

Editeur : Gallimard

Année de parution : 2021

Pages : 160

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Elle ne se contente plus d’habiter mes rêves, cette fille. Elle pousse en moi, contre mes flancs, elle veut sortir et je sens que, bientôt, je n’aurai plus la force de la retenir tant elle me hante, tant elle est puissante. C’est elle qui envoie le garçon, c’est elle qui me fait oublier les mots, les événements, c’est elle qui me fait danser nue.
Il n’y a pas que le chagrin et la solitude qui viennent tourmenter Tara depuis la mort de son mari. En elle, quelque chose se lève et gronde comme une vague. C’est la résurgence d’une histoire qu’elle croyait étouffée, c’est la réapparition de celle qu’elle avait été, avant. Une fille avec un autre prénom, qui aimait rire et danser, qui croyait en l’éternelle enfance jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par les démons de son pays.
À travers le destin de Tara, Nathacha Appanah nous offre une immersion sensuelle et implacable dans un monde où il faut aller au bout de soi-même pour préserver son intégrité.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Mauricienne née en 1973, Nathacha Appanah a passé sa petite enfance à l'Ile Maurice, avant de venir s'installer en France où elle a suivi une formation dans le journalisme et l'édition. Ses romans ont été couronnés de nombreux prix littéraires.

 

 

Avis :

Depuis la mort de son mari, Tara n’est pas seulement envahie par le chagrin et la solitude. C’est tout le passé, qui, longtemps refoulé, s’invite au crépuscule de sa vie. Un passé dans un autre pays, où elle portait un autre nom, et au cours duquel, après avoir tout perdu, il lui a fallu trouver la force de survivre et de rebondir.

Quoi de plus bouleversant que d’entamer le récit d’une vie par son terme. Tara est une vieille femme dont le récent veuvage semble faire vaciller la raison. L’on ne tarde pas à réaliser qu’il ne fait que rompre les digues du passé. Avec son mari disparaît ce qui l’amarrait au présent et à son existence en France, nul n’ayant jamais su ce qu’elle avait vraiment vécu avant, tant elle s’est toujours instinctivement attachée à l’enfouir au plus secret d’elle-même. Longtemps contenus, les souvenirs n’en ressurgissent qu’avec plus de force, et la femme âgée s’efface peu à peu pour laisser revivre l’enfant et la jeune femme, intactes dans une mémoire où se mélangent désormais les époques.

En remontant le temps, la narration nous transporte quelque part en Asie, en Thaïlande peut-être, mais peu importe finalement. Elle raconte la violence et la dictature, l'humiliation et la privation de liberté, la condition des filles, qui plus est, des orphelines et des « filles gâchées », la lutte pour la survie dans un maelström de circonstances où les hasards et la chance comptent autant que la force de résilience. Tout en retenue et suggestivité, le récit laisse peu à peu crever la gangue de silence dont s’était entourée Tara, comme souvent les survivants de l’indicible. Et le lecteur découvre avec émotion la fragilité d’une reconstruction, permise par l’amour d’un homme qui n'en aura d’ailleurs jamais pleinement pris conscience, sans que jamais elle ne parvienne à cicatriser vraiment les blessures d’une jeunesse saccagée.

Ses personnages justes et attachants, sa narration sobre et sa tonalité douce-amère, entre ombre et lumière, confèrent émotion et profondeur à cette histoire irrémédiablement douloureuse, malgré la résilience. Jamais ne se comble l’abîme d’une enfance massacrée… Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

(…) je me rends compte qu’Amma est une très vieille femme. Son visage est strié de dizaines de rides, fines et longues. Ses traits se sont étalés sur sa face, comme s’ils avaient dégouliné avec le temps.

Elle pointe un doigt vers moi et dit, Rien ne t’appartient ici.
C’est une leçon qui me sera enseignée encore et encore, par tous les moyens possibles, jusqu’à ce que j’aie l’impression qu’elle est tatouée sur mon front.
Dans la cour passent des enfants habillés de blanc, les cheveux coupés court. À travers les carreaux de la fenêtre du bureau, ils avancent rapidement, en file indienne, tête baissée ou le regard droit devant, certains réarrangent leurs vêtements tout en marchant mais ils ne font aucun bruit et disparaissaient rapidement. Je me demande si j’ai imaginé cette nuée blanche mais je n’ose me lever pour vérifier. Je ne sais pas que, bientôt, je serai dans la file immaculée et que, de loin, moi aussi j’aurai l’air d’une enfant. Pour l’instant, ce rien ne t’appartient ici ne concerne que mon sac et ce qu’il contient. Je ne sais pas encore que ces mots englobent la robe que je porte, ma peau, mon corps, mes pensées, ma sueur, mon passé, mon présent, mon avenir, mes rêves et mon nom.

Autrefois, quelqu’un m’avait dit que les dieux et les temples étaient l’invention de ceux qui ne croyaient pas en la science mais qu’en savait-elle réellement, cette personne qui aimait ouvrir grande sa bouche et qui n’avait pas écouté quand on lui avait dit qu’elle mettait sa famille en danger ? Peut-être que ces endroits-là, où des hommes et des femmes viennent rendre grâce à des êtres imaginaires, offrent ce que la science ne peut pas donner – une matière impalpable, indicible, qui permet d’affronter le jour qui vient ?

 

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