mercredi 22 septembre 2021

[Solo, Bob] La fée lumière

 






J'ai aimé

 

Titre : La fée lumière

Auteur : Bob SOLO

Editeur : Editions du Yéti

Parution : 2021

Pages : 145

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :    

La fée lumière s’est éteinte et son compagnon se débat pour échapper à l’obscurité. En publiant ce récit de Bob Solo, nous savons, nous éditeurs, que nous livrons plus qu’un livre aux lecteurs : outre un hommage admirable rendu à un amour disparu, La Fée lumière raconte la lutte douloureuse d’un être humain pour accomplir un deuil, un acte lumineux de vie qui, finalement, peut concerner chacun d’entre nous au plus profond de son intimité.

Si maintenant que cette histoire est racontée elle procure de l’émotion, si elle fait rêver, si elle fait aimer Sophie, c’est une bonne chose. Si elle venait à faire naître un peu d’espoir ici ou là, ce serait encore plus beau.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Autodidacte en tout, café-théâtre, chanson française (auteur-compositeur-interprète), sculpture, photo, écriture, et même agriculture, en rupture de ban avec “le système”, Bob Solo se cantonne désormais à produire de la pensée et de l’émotion.

 

Avis :

Sophie était la compagne de l’auteur. Une tumeur l’a brutalement emportée quand s’achevait l’année 2019. Alors qu’il se débat dans son douloureux travail de deuil, Bob Solo raconte cette femme, la sienne, si merveilleuse, et le manque qui ne cesse de le hanter.

Jamais le mot mort n’est prononcé, dans un ultime refus de cet insupportable : Sophie n’est plus, ne sera plus jamais, à sa place n’en finissent pas de résonner l’absence, le vide, le néant. A la sidération amplifiée par la soudaineté brutale de cette disparition, ont maintenant succédé la douleur lancinante d’une amputation et l’irrésistible force de gravité de la dépression. Sophie n’est plus, mais est partout. Elle emplit les pages de ce récit fiévreux, qui en la faisant entrer dans l’existence de ses lecteurs, semble vouloir la perpétuer en la gardant dans la lumière. Plus son évocation rayonne, plus se dessine en contraste l’ombre du narrateur, aux prises avec un chagrin d’autant plus incommensurable, qu’il semble rouvrir d’anciennes blessures dans une personnalité que l'on pressent préalablement meurtrie.

Profondément sincère, le récit ne peut que bouleverser, mais aussi, peut-être, laisser poindre une sensation de malaise diffus. D’abord parce que, si l’on conçoit sans peine ce travail d’écriture comme une étape essentielle sur le long et délicat chemin du deuil, il est à ce point intime et personnel que l'on en vient presque à se demander s'il était réellement approprié de le rendre public. Mais aussi parce qu'au fil de sa lecture s’immisce une incertitude inquiète : ce vide laissé par la disparition de Sophie, serait-il absolument aussi abyssal, s’il ne replaçait le narrateur face à ce que l’on croit deviner d’un mal-être ancien et profond, celui que l’amour de sa compagne avait exorcisé de son vivant ?

Dans tous les cas, ce livre empli d'un aussi grand amour que d'une profonde affliction se lit avec émotion. Après cette lecture, vos êtres chers ne vous auront jamais semblé aussi précieux. (3/5)

 

 

Citations :

Ironie du sort, alors que j’ai harcelé mon entourage ces dernières années avec mes tentatives d’alerter, sans aucun résultat, sur cet effondrement global qui nous menace, c’est ma propre existence qui vient de s’effondrer. Radicalement. Pas le temps de s’y préparer, pas le temps d’anticiper quoi que ce soit, ni réaliser ce qui était en train de se passer. Entre la première alerte, le premier souci de santé de mon amour et sa disparition, il ne s’est écoulé que six semaines. Le temps d’un claquement de doigt, d’un battement de cils. Là aussi, des similitudes vous apparaissent ensuite : comme pour ce risque  d’effondrement, vous vous refusez à imaginer le pire. Le pire. Pas pour s’y résigner, mais pour l’accepter comme une probabilité et à partir de là, mettre tout en œuvre afin de l’éviter, même si pour cela il vous faut déplacer des montagnes. Non. Vous vous accrochez au moindre signe, vous vous rassurez, vous bricolez de l’espoir avec tout ce qui vous tombe sous la main. Vous vous dites que ça ne peut pas arriver, ça ne peut pas arriver, ça ne peut pas arriver... Vous croyez sincèrement ainsi ne pas baisser les bras, mais en fait, vous êtes dans le déni. Ne prenant pas la juste mesure du danger potentiel, vous ne vous donnez pas les moyens à la hauteur des enjeux. Le fait même de nier la possibilité que le pire scénario se produise augmente les risques qu’il se réalise.
 

Quoi qu’il en soit, il faut renoncer. Et à tout ce à quoi vous devez renoncer s’ajoute tout ce qui est déjà perdu, tout ce qui vous a été repris, tout ce qui a disparu. Alors, qu’est-ce qu’il reste quand il n’y a plus rien ? Quand ce genre d’événement dramatique, irréversible, vous arrache soudain cette enveloppe qui était vous, détruit cette vie qui était la vôtre, quand vous êtes comme jeté hors de vous-même, jeté hors du monde. Qu’est-ce qu’il peut bien rester ensuite ? Que peut-il y avoir d’assez solide, d’assez vrai ? Y a-t-il encore quoi que ce soit où s’appuyer pour, un jour prochain, se relever ? Parce que vous le savez, depuis longtemps peut-être ou bien l’avez-vous appris brutalement à l’occasion de cette tragédie : vous n’êtes que vous-même. Vous n’êtes pas votre compte en banque, vous n’êtes pas votre costume, ni votre voiture, ni votre travail, ni vos amis, ni vos loisirs, vous n’êtes rien de ce que vous possédez même si vous possédez beaucoup. Vous n’êtes pas non plus vos croyances ou vos songes, vos certitudes ou vos valeurs. Tout ceci a volé en éclats. Rien n’a résisté à la tempête. Le manteau qui vous couvrait et que vous appeliez “moi” par habitude est en lambeaux. Il ne vous protège plus de rien. Vous n’êtes plus non plus votre couple, ni même la moitié restante de ce qu’il fut. Vous n’êtes que le bras arraché du corps qu’il formait, désormais disparu cœur et âme. Alors ce morceau de chair sanglante que vous êtes à présent est certes en vie, mais rien ne vous dit que ça suffit à “être vivant”. Les larmes s’évaporent toujours et les cris se perdent tôt ou tard dans l’espace, votre douleur aussi un jour prendra fin. Mais alors, qu’est-ce qu’il reste ? Si tout ceci disparaît mais que vous êtes encore là, c’est bien que vous n’étiez pas ça. Alors qu’est-ce qui vit encore ? Qu’est-ce qui bat réellement seconde après seconde, si tout a été emporté ? Qu’est-ce que vous pouvez encore appeler “moi” dans tout ce vide glacé et ce chaos brûlant ? Il y a pourtant bien quelque chose qui vibre toujours sur cette terre désolée que vous êtes devenu. Qu’est-ce que ça peut être ? L’être ? Votre être ? Mais comment le définir à présent qu’il a été dépouillé de tout ? Vous sentez que vous êtes quelqu’un d’autre, inconnu.
 
 
C’était mon existence entière finalement que j’avais mise entre ses mains. Et évidemment, je n’étais pas préparé au cataclysme que sa disparition a provoqué. Je ne pouvais que pleurer mon amour perdu et je me réveillais en sueur et le sommeil me fuyait et ma tête lourde disait non non non non et je l’appelais et je l’imaginais avec moi parce c’est là qu’elle devrait être et je tendais les mains vers son image et mes bras se refermaient sur le vide et je restais seul et j’avais froid et la douleur me transperçait et me tordait et me brisait et à chaque minute je réalisais et je refusais et j’acceptais et je luttais et les flots des sanglots m’étouffaient, m’épuisaient et c’était l’enfer l’enfer l’enfer. Et s’il y a des étapes dans le deuil, elles se suivent dans un désordre total. On a l’impression d’avoir avancé, un peu, juste un peu, puis on revient loin en arrière. Parfois, c’est à nouveau la colère, le refus.


Désormais, il n’y a plus que des premières fois. Tout est différent, étranger, inconnu. Il y avait avant, avec toi, et il n’y a plus que maintenant, sans toi. Rien n’est plus pareil, rien ne le sera jamais plus. Sans toi, je n’ai aucune idée de ce que je dois faire ni de ce que je vais faire. Peu importe, je n’en suis pas encore à avoir envie de faire quoi que ce soit sans toi. Tout a été trop rapide. Je n’en suis qu’à remplir le vide de gestes de tous les jours qui n’ont pas repris leur signification, de mots que j’envoie vers toi sans la moindre certitude qu’ils puissent t’atteindre. Je te pleure encore, mon amour. J’essaie de tenir le coup, je pense que c’est ce que tu aurais voulu. Mais la vérité, c’est que je n’aime pas ma vie sans toi. Puisque ma vie, c’était toi. J’aurais dû te dire tous les jours que je te trouvais jolie, que je tenais à toi, que j’étais fier de toi, que notre histoire était belle et comptait pour moi. Et t’aimer plus et mieux. Tous les jours. Parce que décidément, on ne sait pas de quoi demain sera fait. On ne peut jamais rien en savoir. Quoi qu’on fasse pour se rassurer.


Voyez-vous, ce n’est pas “comme si c’était hier”, c’est finalement pire. Parce que plus les jours passent sans elle, plus elle me manque. On dit que le temps calme la douleur et soigne la blessure. Je l’espère. De toutes mes forces, je l’espère. Mais est-ce bien vrai ? Est-ce bien logique ? Quand vous aimez vraiment quelqu’un et qu’il s’absente, est-ce au bout de quelques jours seulement qu’il vous manque le plus, ou après des mois et des mois passés sans l’avoir revu ?
 
 
Et tout ceci ne fait que confirmer l’idée selon laquelle on ne peut rien seul. Croire qu’on le pourrait est un leurre. Une illusion sans doute nourrie par la fable de la liberté individuelle qu’on nous vend, mais qui, à bien y regarder, est une supercherie et sous-tend une idéologie malsaine, se résumant en une formule : chacun pour soi. Oh, bien sûr, je peux me croire libre et indépendant parce que j’ai de la lumière chaque fois que j’appuie sur un bouton et de l’eau potable dès que je tourne un robinet, en oubliant totalement la chaîne humaine qui s’active chaque jour pour que ce soit possible. Je peux me croire parfaitement autonome parce que je possède une carte de crédit et qu’il y a de l’essence à la pompe. Je peux croire que je n’ai besoin de personne, ni de mes voisins, ni d’un état, ni de qui que ce soit en fait, simplement parce que je suis persuadé que mon argent peut tout acheter, ma position tout régler et que je suis malin. Mais c’est faux. Aujourd’hui, aurais-je fortune et pouvoir, à quoi me servirait tout cela face au chagrin qui m’accable ? Mon fric pourrait-il m’acheter ce que mes proches m’offrent sans compter ? Je ne le crois pas une seconde. Parce que ça n’a pas de prix, ça ne se monnaye pas, ça ne se marchandise pas. C’est de l’humain, d’abord et avant tout, de l’humain et rien d’autre. Je n’ai de leçon à donner à personne, surtout pas dans la piteuse situation où je me trouve, mais désormais il me paraît nécessaire de cultiver cela bien plus que tout le reste.


Dédé a raison : on aide qui en a besoin. Et on n’a même pas à attendre que ça nous soit demandé. Je sais que la vie humaine elle-même n’a quasiment plus aucune valeur de nos jours, mais il faudra bien trouver le moyen de changer ça. Autrement, quoi ? On finira par ne plus oser se regarder en face. On aura encore plus besoin de posséder des choses, toutes sortes d’objets, des tas de gadgets idiots, pour compenser ce vide d’humanité en soi, pour se faire croire qu’on est quand même quelqu’un de bien. Quelqu’un tout court. Ce n’est plus possible, ce n’est pas une vie. J’enfonce une porte ouverte, mais il faut visiblement le redire : il est plus qu’urgent de faire autrement. Être venu au monde devrait constituer le seul critère qui nous fasse “mériter” d’être traité correctement et avoir une chance réelle de jouir d’une vie décente...  

 

 

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