lundi 6 septembre 2021

[Labruffe, Alexandre] Un hiver à Wuhan

 




 

J'ai aimé

Titre : Un hiver à Wuhan

Auteur : Alexandre LABRUFFE

Parution : 2020 (Gallimard)

Pages : 128






 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

«Poussé par un prof de chinois, j’ai tout quitté, du jour au lendemain, pour aller contrôler, fleur au fusil, la qualité des produits français fabriqués en Chine. Être l’œil de l’Occident, son chien de garde, le garant du Made in China : comme un aboutissement prématuré de ma vie.»

Ce récit fragmenté concilie un regard documentaire affuté et l’humour désespéré d’un conte voltairien. Alexandre Labruffe y alterne les souvenirs de ses séjours sur place : de 1996, comme contrôleur stagiaire dans des usines locales, à l’automne 2019, en tant qu’attaché culturel à Wuhan. Il recense les micro-apocalypses qui fondent le miracle économique de la République populaire depuis deux décennies et devient le témoin halluciné d’une crise sanitaire révélant sa nature libérale-totalitaire.

 

Un mot sur l'auteur :

Né en 1974, Alexandre Labruffe a étudié le chinois et est titulaire d'un DEA en Communication appliquée à la culture. Après des postes dans des Alliances françaises en Chine puis en Corée du Sud, il est, depuis 2015, de retour à Paris, où il collabore à divers projets artistiques, théâtraux ou cinématographiques, tout en poursuivant sa thèse en Arts et Cinéma à l’Université Paris-3. Il a publié son premier roman en 2019 : Chroniques d’une station-service.

 

Avis :

Depuis 1996 où un stage l’a emmené faire du contrôle qualité dans des usines chinoises, et 2019 où il a été nommé attaché culturel à Wuhan, les séjours d’Alexandre Labruffe au « Pays du Milieu » lui ont permis d’y constater l’ampleur des mutations survenues ce dernier quart de siècle : un miracle économique jalonné de catastrophes écologiques et sanitaires, sous un vernis pseudo-libéral masquant mal une réalité demeurée profondément totalitaire. Dans ce contexte, l’épidémie de Covid-19 n’a même presque plus rien pour surprendre...

Le tableau a de quoi effrayer. Usines consacrées au seul dieu du rendement à tout crin et à tout prix, villes asphyxiées par la pollution, fleuves dépotoirs, sol-air-eau contaminés, crises sanitaires à répétition gérées à l’économie ou simplement ignorées : les micro-apocalypses pavent le quotidien d’une population chinoise par ailleurs surveillée dans ses moindres faits et gestes, alimentant un récit halluciné aux allures de dystopie, dont l’humour grinçant achève de souligner l’infernale noirceur.
 
Alors, quand fin 2019, éclate à Wuhan une nouvelle crise à propos d’un terrible virus dont on ne sait rien encore, aucun étonnement ne traverse l’auteur alors sur place. Rentré à Paris avant le confinement de la ville chinoise, il n’aura rien à nous apprendre que l’on se sache déjà sur la suite des événements, juste l’envie de partager son sombre constat que tout cela nous pendait bien au nez.

Si le vécu, l’humour et la plume d’Alexandre Labruffe rendent à la fois intéressante et agréable la lecture de ce très court livre, je l’ai malgré tout achevée sur un petit arrière-goût de frustration. Cette mise en perspective de la naissance en Chine de la pandémie actuelle aurait mérité plus d'analyse et moins d'émotion, sous peine de - opportunisme oblige ? -,  risquer de paraître trop forcer le trait pour mieux faire sensation. (3/5)


Citations :

Hôtel HORIZON, à Changsha, 300 km de Wuhan, où je suis en mission. Je mate la télé, les informations, qui annoncent la résurgence d’une épidémie de peste porcine. Depuis les années 2000, le pays carbure au rythme des airpocalypses et des crises sanitaires à répétition : peste porcine, grippe aviaire, lait à la mélanine ou au mercure, soda au chlore, faux œufs, choux au formol, pastèques explosives, vaccins antirabiques trafiqués, etc. C’est un inventaire post-moderne à la Prévert. Un abécédaire de la catastrophe. Le pire : toujours à venir.
Une image à l’écran : sur un fleuve, dérivant et flottant, des milliers de porcs défunts.
Suicide collectif ?
Non. La présentatrice révèle que c’est le moyen le plus économique de se débarrasser des cadavres des colonies décimées. Certains éleveurs n’ont pas eu ce « scrupule », ont dézingué les porcs contaminés à l’arsenic (ce qui les rend plus soyeux) et les ont mis sur le marché. À l’écran : des boucs émissaires arrêtés, menottés, vilipendés.
Nourris aux antibiotiques, contaminés par la peste, tués à l’arsenic.
Paix à l’âme des porcs, au triptyque de leur tragédie.
Je décrète sur-le-champ mon devenir végétarien.

SINCERITY & ETERNITY,
l’enseigne d’un diamantaire
qui vend le mariage, l’amour, enrobé dans une pierre,
Une fièvre souvent solitaire.

Une explosion dans une usine pétrochimique, en périphérie de la ville où je vis, Hangzhou, a eu lieu la veille. Elle est à l’origine d’une pollution du fleuve Qiantang, où navigue désormais, non sans grâce, une nappe de solvant toxique que j’observe de loin. On est en 2009. Le fleuve est la principale source d’approvisionnement en eau de la ville. La nappe aurait infiltré et contaminé les stations d’épuration. L’information cachée par les autorités a fuité via des canaux non officiels. La version change. Un ami chinois m’assure maintenant que ce n’est pas une explosion mais un accident de la route : d’un pont, un 35 tonnes transportant des produits chimiques serait tombé dans la rivière, y déversant tout son contenu.
Seule certitude dans cet océan d’effroi, l’eau potable est contaminée.
Des SMS d’alerte saturent mon vieux Nokia. Une salve d’injonctions. Avant la pénurie qui s’annonce, faire le plein d’eau minérale et pétillante, de nourriture, de nouilles lyophilisées. Ne plus sortir. Ne plus se laver les mains, ni cuisiner avec l’eau du robinet. Se doucher à l’eau minérale.


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