dimanche 12 septembre 2021

[Biasini, Sarah] La beauté du ciel

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La beauté du ciel

Auteur : Sarah BIASINI

Parution : 2021 (Stock)

Pages : 144

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Un matin de mai, le téléphone sonne, je réponds, "Bonjour, gendarmerie de Mantes-la-Jolie, la tombe de votre mère a été profanée dans la nuit."  »

Une femme écrit à sa fille qui vient de naître. Elle lui parle de ses joies, ses peines, ses angoisses, et surtout d’une absence, celle de sa propre mère, Romy Schneider.  Car cette mère n’est pas n’importe quelle femme. Il s’agit d’une grande star de cinéma, inoubliable pour tous ceux qui croisent le chemin de sa fille.

Dans un récit fulgurant, hanté par le manque, Sarah Biasini se livre et explore son rapport à sa mère, à la mort, à l’amour. Un texte poétique, rythmé comme le ressac, où reviennent sans cesse ces questions :  comment grandir quand on a perdu sa mère à quatre ans ? Comment vivre lorsqu’on est habitée par la mort et qu’elle a emporté tant de proches ? Comment faire le deuil d’une mère que le monde entier idolâtre ?  Comment devenir à son tour mère ?

La réponse, l’auteure la porte en elle-même, dans son héritage familial, dans l’amour qu’elle voue à ses proches, à ses amis, à ces figures féminines qui l’ont élevée comment autant d’autres mères. Le livre de la vie, envers et contre tout. 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Tout en continuant de jouer au théâtre, Sarah Biasini, fille de Romy Schneider et de Daniel Biasini, change de mode d’expression et choisit l’écriture.

 

 

Avis :

A quarante-trois ans, l’âge de Romy Schneider à sa mort, Sarah Biasini s’adresse à sa toute petite fille, encore en bas-âge, lui exprimant toute sa joie, mais aussi ses angoisses de jeune maman, elle dont la vie s’est construite sur l’absence et le manque.

C’est en quelque sorte d’un « vol » aggravé qu'est victime l’auteur, au plus profond de son être. Car non seulement la vie lui a ravi sa mère à l’âge le plus tendre, mais c’est une seconde dépossession qu’elle lui fait régulièrement subir, lorsqu’au vide laissé chez elle par la perte, répond un trop-plein médiatique destiné à abreuver des inconnus. Alors, lorsque lui naît une fille, dans cette vie où elle s’évertue à jeter une passerelle sur la béance de l’absence, une tempête se déchaîne dans la tête de la nouvelle maman. Saura-t-elle être la mère de sa fille, elle la fille qui a dû grandir sans mère ? Cessera-t-elle un jour de redouter des répliques au séisme qui lui a déjà tant pris ?

Nommée une fois seulement, l’ombre de la mère absente hante chaque page d’un récit par ailleurs placé sous l’égide des femmes et d’un amour maternel unissant indéfectiblement quatre générations féminines. Au désarroi et au manque de l’orpheline répond l’émouvante affection d’une grand-mère qui reste le principal point d’ancrage de la femme d’aujourd’hui. 
 
Sarah Biasini s’exprime avec une sincérité simple et touchante. Et c’est avec émotion et sympathie que l’on accompagne son cheminement de jeune mère, saisie de l’urgence d’écrire à sa fille pour contrecarrer l’éphémérité et la fragilité de la vie. (4/5)

 

Citations :

Combien de fois ai-je répondu « non » quand, dans la rue, des gens que je ne connaissais pas me demandaient si j’étais sa fille. Je voulais la paix. Éviter les questions, la gêne, les regards appuyés, disproportionnés, trop proches. Je ne sais pas gérer ces situations. À l’impudeur des inconnus, j’oppose une froideur. Je stoppe net, non ce n’est pas moi. Que répondre à leurs « Je l’aimais tellement ». Je n’arrive pas à partager leur amour pour elle, leur manque d’elle. Mon amour et mon vide me semblent mille fois supérieurs. Je ne suis pas la bonne interlocutrice pour eux. J’en suis désolée.

Je prends conscience de l’importance de l’impression sur papier, de la fixation du souvenir, garder une trace, voir nos têtes vieillir. Capturer la joie, la beauté, l’encadrer, l’exposer, chez nous.
Je vois l’amour de ma mère sur ces photos. Je me revois fixer ses yeux sur la pellicule, ses yeux qui fixent l’objectif, qui me fixent moi.
Je la regarde de longues secondes. Je pourrais dire que je nous invente des conversations mais ce n’est pas vrai. C’est moi qui parle. Je secoue légèrement ma tête de droite à gauche, un air de lui dire « Vraiment… ». Vraiment ce que tu es belle, vraiment ce que tu m’agaces de n’être plus là, vraiment !… Je l’engueule pour mieux la chérir. Je la délaisse pour la garder près de moi. Je la démystifie pour l’humaniser. L’humaniser pour la ressusciter.

Je ne retrouve pas les cassettes VHS, nos films amateurs faits entre nous, en famille. Trop de déménagements.
Le cinéma me donne le son de la voix de ma mère et son visage en mouvement, ses expressions, ses surprises. Des interviews filmées et archivées.
Mais l’actrice ne m’intéresse toujours pas. De l’autre côté de l’écran, les mots qu’elle prononce ne me sont pas adressés et sont encore moins les siens.
Elle parle à tout le monde et tout le monde croit l’entendre. L’enfant s’amuse de voir sa mère importante. Suffisamment importante pour être dans un film. Le plus souvent un film où tout le monde l’aime et l’admire. Je comprends très bien qu’elle joue un personnage, j’admire juste la beauté et je cherche ce qui me lie à cette femme qui m’a faite à moitié.
 
Quand la mort empêche de connaître quelqu’un, on ne cherche pas pour autant ce qu’on ignore. On le laisse en blanc.
On tourne autour du sujet, de ce que l’on en sait. Si peu soit-il.
Je ne vois pas tous les films. Je ne veux pas tout savoir.
Ce que je n’ai pas pu apprendre du mort, les vivants me le diront à leur manière.
Ce ne sera pas toujours suffisant. Alors il faudra tout miser sur la mémoire cellulaire.
J’entends dire qu’on ne doit pas, qu’il n’est pas utile, de tout savoir sur la vie de ses parents. Cela m’arrange bien, ce n’est donc pas un handicap, je peux continuer dans ma vie. Je me rassure comme je peux.
Sauf que l’on finit toujours par avoir besoin de savoir. Ou par souffrir de ne pas savoir. Le manque de connaissance deviendrait un problème. Dans mon cas, le monde extérieur m’abreuve de détails, de théories, d’hypothèses, au point de me pousser à la fuite. Des informations m’arrivent de toutes parts. Je ne veux plus rien entendre.

Moi, la chair de sa chair, j’ai intégré sa notoriété depuis belle lurette mais je voudrais toujours qu’elle soit à moi seule. Que personne d’autre ne la regarde, ne la nomme, ne prétende la connaître, n’écrive sur elle ou, pire encore, ne porte le même prénom. Je voudrais m’asseoir sur la pile de magazines qui la représente pour la cacher aux yeux du reste du monde.

Toujours Monique, l’autre jour en parlant de toi : « Je ne voulais pas m’y attacher mais… », elle soupire sans te quitter des yeux, impossible. « Aura-t-elle des souvenirs de ses arrière-grands-parents ? » De quoi sera faite ta mémoire, je me le demande. Son cœur est lourd de ne pas te voir grandir pour longtemps. « Tu lui diras bien que ses arrière-grands-parents l’ont adorée. » Aujourd’hui, tu marches, tu parles, tu joues avec elle toute la journée. « Tu vois, Mamie, tu es toujours là ! » « Eh oui », elle me répond en riant doucement de ne pas savoir combien de temps cela durera.

Je marche constamment sur ce fil qui nous lie, tendu mais incassable. La vie que tu m’as donnée, qui me reste. Une vie interrompue il y a trente-huit ans, une autre qui commence aujourd’hui. Au milieu, je suis là. Au milieu, je reste.

Si j’osais, je serais comme Amma, en Inde. Celle qui prend dans ses bras le monde entier et quiconque perdrait un parent, un frère, un fils. Amma et son pouvoir réconfortant. J’ai été réconfortée, je saurais le faire à mon tour. Viens dans mes bras, moi aussi je suis passée par là. Ordre bien présomptueux. Un chagrin est unique pour celui qui l’éprouve.
 
Pourquoi je t’écris ? Pourquoi cela devient-il un travail, un besoin, une nécessité absolue ? Je ne vais pas mourir. Pas tout de suite, pas dans un an, pas à quarante-quatre ans comme ma mère. Mais si jamais, je dois te laisser quelque chose de moi. J’ai si peu de ma mère, j’aurais voulu qu’elle aussi m’écrive, mais comment pouvait-elle imaginer ce qui allait suivre ?

Certains jours, il y a des endroits où je ne peux aller, des zones à ne pas franchir. Je peux vivre normalement et même extrêmement gaiement, dans une totale légèreté. Je peux aussi être très froide quand je pense à eux. Sans affect. Sans ressenti. Sans émotions. Ou alors je pleure carrément. Il n’y a aucun entre-deux, aucune tiédeur. Eux sont les morts-vivants parmi nous. Nous sommes les vivants-morts avec eux. Ce n’est pas grave, c’est comme ça.

Je confonds mes besoins et les tiens, ma fille. Tu vas garder ta mère, ton frère (et si ça ne se passe pas ainsi, tu y arriveras quand même). Je m’occupe de toi comme si tu étais moi, parce que j’ai tant l’impression de savoir ce dont tu as besoin. Comme si tu allais me perdre. Comment puis-je être à ce point submergée ? Je veux rendre tout ce que j’ai reçu et qui m’a permis d’arriver jusqu’à toi.

Toi qui joues simplement avec le cordon de la capuche de mon sweat, tu sais déjà quel genre de mère je suis, je le vois bien. À ma façon de t’embrasser, de te regarder, de t’attraper, tu sens déjà que j’en fais trop, tu as compris. Tu me repousses. Je t’obéis, j’essaie de me calmer. Je t’embrasse non seulement par plaisir mais aussi par peur que cela ne s’arrête, brusquement. Comme si c’était la dernière fois. Ça fait mal d’aimer à ce point. C’est un amour craintif. Il faudrait arrêter d’avoir peur. Cet amour-là est juste un peu plus fort que les autres. C’est tout.

« Romy Schneider était vraie. Plus vraie que ses rôles parfois. Par le mystère du talent mais aussi par l’obstination à ne jamais mentir, à ne jamais tricher. Une star est un mirage. Elle est une star mais un jour, ayant connu des tours de valse, des coups de cœur, des bonheurs lumineux comme son sourire, des rencontres fulgurantes et des chagrins insupportables, un jour, Romy cessa d’être un mirage pour devenir un miroir, celui où se reflètent les joies et les peines du plus grand nombre. Mieux qu’une star. » (Michel Piccoli)


 

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