J'ai beaucoup aimé
Titre : Dehors les chiens
Auteur : Michaël MENTION
Editeur : 10/18
Parution : 2021
Pages : 312
Présentation de l'éditeur :
Californie, juin 1866. Crimson Dyke, agent des
services secrets, sillonne l’Ouest et traque les faux-monnayeurs pour
les livrer à la justice. Tandis qu’il est de passage dans une ville, un
cadavre atrocement mutilé est découvert. Crimson intervient et se heurte
aux autorités locales. Mais lorsque d’autres crimes sont commis, ce
sont les superstitions et les haines qui se réveillent. Crimson décide
alors d’enquêter, traqué à son tour par les shérifs véreux et les
chasseurs de primes.
Sueur, misère et violence : Dehors les chiens réinvente le western avec réalisme, sans mythe ni pitié.
Sueur, misère et violence : Dehors les chiens réinvente le western avec réalisme, sans mythe ni pitié.
Un mot sur l'auteur :
Michaël Mention est un romancier et scénariste français né en 1979.Il publie son premier roman Le rhume du pingouin en 2008 et s'affirme bientôt dans l'univers du polar avec Sale temps pour le pays (Grand Prix du roman noir français au Festival de Beaune en 2013) et Et Justice pour tous (Prix Transfuge du meilleur espoir polar en 2015). Il est aussi connu pour son documentaire Fils de Sam (2014) et pour Jeudi noir (2014), un roman sur le match de football France-Allemagne de 1982. Ses romans suivants ont remporté plusieurs prix littéraires.
Avis :
L’agent des services secrets Crimson Dyke sillonne la Californie de 1866 pour arrêter les faux-monnayeurs. Son parcours d’itinérant lui fait incidemment remarquer les similitudes entre plusieurs meurtres atrocement commis dans différentes villes. Mais son intervention est très mal accueillie par les autorités locales, bien décidées à étouffer ces affaires. Pendant que la vindicte des populations se tourne une fois de plus contre les Amérindiens, Crimson se retrouve seul à mener une enquête digne de ce nom, s’attirant d’impitoyables représailles. Le voilà à son tour devenu gibier...
Michaël Mention revisite le western en le débarrassant de ses clichés, et nous sert une histoire noire et désabusée que l’on ressent volontiers assez représentative de la réalité historique. Les protagonistes, pour la plupart misérables, ne s’obstinent dans ces terres hostiles qu’avec l’obsession désespérée d’y trouver enfin un terme à leur indigence. Les appétits sont féroces et la gâchette facile, dans cet environnement sauvage où chacun n’a que la hâte de se servir à tout prix, n’en déplaise aux quelques représentants de l’ordre incapables d’omniprésence. D’ailleurs, encore faudrait-il que ces derniers, du haut de leur maigre traitement, résistent à la corruption et aux intimidations de plus puissants, pressés de s’assurer la main mise sur le pays, au travers de ses mines d’or ou de ses compagnies de chemin de fer.
Efficace et brutale, la narration a tôt fait de nous plonger dans une intrigue pleine de rebondissements et de clins d’oeil intelligents. L’imperturbable « poor and lonesone » Crimson, bien décidé à rester ferme sur sa fidèle monture et sur son droit chemin, se retrouve confronté à une société d’hommes aussi frustes, sales et puants, qu’avides et dépourvus de scrupules, en tous les cas tout aussi capables de cette barbarie qu’ils attribuent aux Amérindiens. Ceux-ci ne sont pas les seuls à en faire les frais. Il faut y ajouter les Mexicains, les Noirs – le Ku Klux Klan vient d’être créé –, et les femmes, puisque, à cette époque, « dans l’Ouest, neuf femmes sur dix auraient été violées au moins une fois ».
Frappé au coin d’une discrète ironie, ce polar-western-roman noir s’avère aussi divertissant que réaliste et solidement documenté. Séduit par son style corrosif, son rythme prenant et l’abondance de ses références, ses lecteurs peuvent se réjouir qu’il soit le premier d’une série à venir, consacrée à l’agent Crimson. (4/5)
Michaël Mention revisite le western en le débarrassant de ses clichés, et nous sert une histoire noire et désabusée que l’on ressent volontiers assez représentative de la réalité historique. Les protagonistes, pour la plupart misérables, ne s’obstinent dans ces terres hostiles qu’avec l’obsession désespérée d’y trouver enfin un terme à leur indigence. Les appétits sont féroces et la gâchette facile, dans cet environnement sauvage où chacun n’a que la hâte de se servir à tout prix, n’en déplaise aux quelques représentants de l’ordre incapables d’omniprésence. D’ailleurs, encore faudrait-il que ces derniers, du haut de leur maigre traitement, résistent à la corruption et aux intimidations de plus puissants, pressés de s’assurer la main mise sur le pays, au travers de ses mines d’or ou de ses compagnies de chemin de fer.
Efficace et brutale, la narration a tôt fait de nous plonger dans une intrigue pleine de rebondissements et de clins d’oeil intelligents. L’imperturbable « poor and lonesone » Crimson, bien décidé à rester ferme sur sa fidèle monture et sur son droit chemin, se retrouve confronté à une société d’hommes aussi frustes, sales et puants, qu’avides et dépourvus de scrupules, en tous les cas tout aussi capables de cette barbarie qu’ils attribuent aux Amérindiens. Ceux-ci ne sont pas les seuls à en faire les frais. Il faut y ajouter les Mexicains, les Noirs – le Ku Klux Klan vient d’être créé –, et les femmes, puisque, à cette époque, « dans l’Ouest, neuf femmes sur dix auraient été violées au moins une fois ».
Frappé au coin d’une discrète ironie, ce polar-western-roman noir s’avère aussi divertissant que réaliste et solidement documenté. Séduit par son style corrosif, son rythme prenant et l’abondance de ses références, ses lecteurs peuvent se réjouir qu’il soit le premier d’une série à venir, consacrée à l’agent Crimson. (4/5)
Citations :
Ils étaient là depuis des siècles. Des millions d’Amérindiens répartis à travers le continent en d’innombrables tribus. Chacune avait sa propre culture, ses croyances, et toutes vivaient en harmonie avec la nature, tuant les animaux uniquement pour se nourrir. La guerre, ils ne la menaient qu’entre eux, pour des enjeux territoriaux.
Puis, un jour d’octobre 1492, Colomb et ses épées sont venus les civiliser au nom de Dieu. Le Sud a été ensanglanté, pillé jusqu’au siècle suivant, où d’autres Européens ont envahi le Nord. Tortures, tueries, l’expansion s’est durcie au gré des empires coloniaux, exploitant les guerres entre tribus, lorsqu’on découvrit de l’or en Caroline en 1799. Dès lors, les Blancs sont arrivés en masse et le déclin des Indiens s’est accentué, de tractations biaisées en traités violés, d’expulsions en massacres.
En 1830, l’Indian Removal Act a enfoncé le clou. Cent mille déportés, quatre mille morts d’épuisement. Ceux ayant échappé à la « piste des larmes » n’ont connu qu’un court répit. Un peu de syphilis, beaucoup de variole, et les Indiens du Nord sont passés de sept millions à quatre cent mille.
— Dans le coin, t’as croisé un individu suspect ?
— « Suspect » comment ? Noir ?
Puis, un jour d’octobre 1492, Colomb et ses épées sont venus les civiliser au nom de Dieu. Le Sud a été ensanglanté, pillé jusqu’au siècle suivant, où d’autres Européens ont envahi le Nord. Tortures, tueries, l’expansion s’est durcie au gré des empires coloniaux, exploitant les guerres entre tribus, lorsqu’on découvrit de l’or en Caroline en 1799. Dès lors, les Blancs sont arrivés en masse et le déclin des Indiens s’est accentué, de tractations biaisées en traités violés, d’expulsions en massacres.
En 1830, l’Indian Removal Act a enfoncé le clou. Cent mille déportés, quatre mille morts d’épuisement. Ceux ayant échappé à la « piste des larmes » n’ont connu qu’un court répit. Un peu de syphilis, beaucoup de variole, et les Indiens du Nord sont passés de sept millions à quatre cent mille.
— Dans le coin, t’as croisé un individu suspect ?
— « Suspect » comment ? Noir ?
— J’ignorais qu’il y avait des bisons par ici, dit l’homme.
— Il y en a là où il y a des Indiens.
— Et nos régiments.
Kowalski, intrigué, regarde de nouveau à l’extérieur. Tous ces yeux vitreux, ces crânes éclatés, ces flancs ensanglantés sans aucune lance, ni la moindre flèche. L’armée de l’Union et sa stratégie rodée depuis des années : décimer les troupeaux pour affamer les Indiens. Il fallait y penser, d’autant que ces abattages en masse profitent à l’économie. Heureux les dépeceurs, tanneurs et vendeurs de peaux.
Walter étouffe un bâillement dans sa paume, espionne les fidèles. Toutes ces nuques, tous ces yeux qu’il ne voit pas, mais devine émerveillés. Une seconde, il se dit que la véritable autorité de la ville, ce n’est pas lui, mais le révérend. Une seconde seulement, après quoi il reprend son observation. Parents, enfants, vieillards… tous captivés, unis au-delà des âges et des statuts. La messe, ce ciment d’âmes.
Ça fait plaisir à voir, et tant pis si Masterson dit beaucoup de conneries. L’harmonie a parfois besoin de mensonges, qui ont aussi leur vertu. Il le faut, car tous ces crimes ont réveillé ce que chacun croyait enfoui depuis la fin de la guerre : la Bête, barbare et sans limites, en chacun de nous. Walter le sait, le sang appelle le sang. Et la haine, la vengeance, tout cela serait destructeur pour une ville aussi fragile que Fancy City.
Aujourd’hui, la halte se fait à Anton Gulch, dans le comté d’Amador. À chaque ville, sa spécificité. Certaines ont une confiserie ou un Sheriff honnête, Anton Gulch possède une bibliothèque, ce qui attire de nombreux visiteurs. Toutes les semaines, des familles entières viennent ici pour apprendre à lire, à écrire, découvrir l’histoire du pays. En effet, malgré son espace réduit, cette bibliothèque propose un large choix. On y trouve la Bible, des romans, la Bible, des magazines, la Bible, des almanachs, la Bible, des biographies et des recueils de poésie, sans oublier la Bible.
Il savait avant d’arriver, tous les journaux de Californie l’y avaient préparé. Il savait que le corps était fièrement exhibé, ligoté à la pompe éolienne, mais personne ne peut se préparer à une telle image, même un homme aussi aguerri que lui. Savoir. Voir. Une syllabe en moins, et l’abstrait devient concret, traumatique, à jamais ancré dans la mémoire.
— Il y en a là où il y a des Indiens.
— Et nos régiments.
Kowalski, intrigué, regarde de nouveau à l’extérieur. Tous ces yeux vitreux, ces crânes éclatés, ces flancs ensanglantés sans aucune lance, ni la moindre flèche. L’armée de l’Union et sa stratégie rodée depuis des années : décimer les troupeaux pour affamer les Indiens. Il fallait y penser, d’autant que ces abattages en masse profitent à l’économie. Heureux les dépeceurs, tanneurs et vendeurs de peaux.
Walter étouffe un bâillement dans sa paume, espionne les fidèles. Toutes ces nuques, tous ces yeux qu’il ne voit pas, mais devine émerveillés. Une seconde, il se dit que la véritable autorité de la ville, ce n’est pas lui, mais le révérend. Une seconde seulement, après quoi il reprend son observation. Parents, enfants, vieillards… tous captivés, unis au-delà des âges et des statuts. La messe, ce ciment d’âmes.
Ça fait plaisir à voir, et tant pis si Masterson dit beaucoup de conneries. L’harmonie a parfois besoin de mensonges, qui ont aussi leur vertu. Il le faut, car tous ces crimes ont réveillé ce que chacun croyait enfoui depuis la fin de la guerre : la Bête, barbare et sans limites, en chacun de nous. Walter le sait, le sang appelle le sang. Et la haine, la vengeance, tout cela serait destructeur pour une ville aussi fragile que Fancy City.
Aujourd’hui, la halte se fait à Anton Gulch, dans le comté d’Amador. À chaque ville, sa spécificité. Certaines ont une confiserie ou un Sheriff honnête, Anton Gulch possède une bibliothèque, ce qui attire de nombreux visiteurs. Toutes les semaines, des familles entières viennent ici pour apprendre à lire, à écrire, découvrir l’histoire du pays. En effet, malgré son espace réduit, cette bibliothèque propose un large choix. On y trouve la Bible, des romans, la Bible, des magazines, la Bible, des almanachs, la Bible, des biographies et des recueils de poésie, sans oublier la Bible.
Il savait avant d’arriver, tous les journaux de Californie l’y avaient préparé. Il savait que le corps était fièrement exhibé, ligoté à la pompe éolienne, mais personne ne peut se préparer à une telle image, même un homme aussi aguerri que lui. Savoir. Voir. Une syllabe en moins, et l’abstrait devient concret, traumatique, à jamais ancré dans la mémoire.
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