dimanche 6 juin 2021

[Levison, Iain] Un voisin trop discret

 




Coup de coeur 💓💓

 

Titre : Un voisin trop discret (Parallax)

Auteur : Iain LEVISON

Traductrice : Fanchita GONZALEZ BATTLE

Parution : 2021 en anglais (Etats-Unis)
                   et en français (Liana Levi)

Pages : 224

 

  

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Pour que Jim, chauffeur Uber de soixante ans, voie la vie du bon côté, que faudrait-il? Une petite cure d’antidépresseurs? Non, c’est plus grave, docteur. De l’argent? Jim en a suffisamment. Au fond, ce qu’il veut, c’est qu’on lui fiche la paix dans ce monde déglingué. Et avoir affaire le moins possible à son prochain, voire pas du tout. Alors, quand sa nouvelle voisine, flanquée d’un mari militaire et d’un fils de quatre ans, lui adresse la parole, un grain de sable se glisse dans les rouages bien huilés de sa vie solitaire et monotone. De quoi faire exploser son quota de relations sociales…
En entremêlant les destins de ses personnages dans un roman plein de surprises, Levison donne le meilleur de lui-même, et nous livre sa vision du monde, drôle et désabusée.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Iain Levison, né en Écosse en 1963, arrive aux États-Unis en 1971. À la fin de son parcours universitaire, il exerce différents métiers, sources d’inspiration de son premier livre, Tribulations d’un précaire. Il rencontre un succès immédiat en France dès la publication de son premier roman, Un petit boulot, et des suivants, critiques drôles et cinglantes de la société américaine. Trois sont déjà adaptés au cinéma (Un petit boulot, Arrêtez-moi là ! et Une canaille et demie).

 

 

Avis :

Cela fait trente ans que Jim, chauffeur Uber sexagénaire, cultive scrupuleusement sa tranquille solitude, loin de ce monde dont il n’attend plus rien sinon qu’il lui fiche définitivement la paix. Aussi, lorsque sa nouvelle voisine, épouse de militaire et mère d’un bambin de quatre ans, frappe à sa porte, c’est un courant d’air en passe de devenir bourrasque qui vient secouer son immuable routine, mettant fin à sa protectrice invisibilité…

Il ne faut pas longtemps pour se prendre d’une sympathie curieuse et amusée pour ce dur à cuire misanthrope au coeur tendre, appliqué à se faire oublier en même temps que son passé, et qui, malgré lui, se retrouve embarqué dans ce qu’il s’était juré qu’on ne l’y prendrait pas. Tandis que s’impose à l’esprit la silhouette et la voix de Clint Eastwood, se développe une intrigue pleine de surprises et de rebondissements imparables qui, du terrain où interviennent les forces spéciales américaines, aux bases où s’organise la vie des familles d’engagés, nous plonge avec réalisme dans le quotidien et les vicissitudes des militaires de carrière et de leurs proches. Comment Jim aurait-il pu s’attendre à ce qu’un objectif raté en Afghanistan l’oblige à sortir de sa prudente retraite et à se compromettre dans une histoire glissante qui pourrait lui coûter cher ?

Cet effet papillon croise les destins des personnages avec autant d’ironie que de suspense. Car, sans avoir l’air d’y toucher, et sans jamais se départir de sa bluffante justesse de ton et de psychologie, l’auteur multiplie avec humour les coups de griffe contre les travers du monde et en particulier de l’Amérique, comme l’inanité de ses interventions et de ses frappes anti-terroristes, son acharnement à masquer ses bavures militaires, le mépris de son armée pour ses traumatisés - ces « coquilles vides » qu’elle rend sans considération aucune à leurs familles -, la surenchère à la couverture santé avec laquelle elle motive ses engagés, ou encore l’éternelle et absolue incompatibilité entre carrière militaire et homosexualité.

Entre comédie de mœurs et polar, cette tragi-comédie, aiguisée par un regard joyeusement cynique, s’avère une lecture délicieuse, aussi juste qu’amusante et captivante. Elle se dévore d’une seule traite et s’achève sur une évidence : il faut courir découvrir l’entière bibliographie de cet auteur, au si irrésistible talent. Grand coup de coeur. (5/5)

 

Citations : 

Il paraît qu’on ne fait que créer un terroriste de plus. Tu en supprimes un, son gosse voit la cervelle de son papa explosée, et il prend sa place. Et s’il a un tas d’enfants, alors tu en as fabriqué encore plus.

C’est ça le monde dans lequel on vit de nos jours. Tout le monde peut donner son avis, même ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent. Autrefois, il fallait s’y connaître vraiment dans un domaine avant de s’autoriser à critiquer les autres. Maintenant vous pouvez protester contre la vue que vous avez de votre Airbnb, ou parce que quelqu’un a mis trop de pignons dans votre salade, ou discourir sur l’imprudence de votre chauffeur Uber, et être totalement ignorant n’est pas un problème. Toute cette technologie a fait de nous des consommateurs informés, se dit-il, des enfants gâtés geignards qui n’y connaissent rien et ne la bouclent jamais.

Jim est toujours frappé de voir que les repères de sa génération disparaissent si vite. Le 11 septembre a remplacé l’assassinat de Kennedy, l’Irak a remplacé le Vietnam. Hier il a pris un passager qui n’avait jamais entendu parler ni des Who ni des Grateful Dead. La pire des choses quand on devient vieux ce n’est pas de se rapprocher de la mort, c’est de voir sa vie effacée lentement. On cesse d’abord d’être insouciant, ensuite d’être important, et finalement on devient invisible.

Elle sait bien que Grolsch est de pire en pire. Mais le déclin a été progressif. Quand elle l’a retrouvé sur la base aérienne après sa toute première mission, elle a immédiatement remarqué qu’il était… différent. Pendant la conversation il détournait brusquement les yeux comme s’il pensait à autre chose. Elle lui massait la nuque et essayait de le ramener à la réalité, mais c’était comme si une part de lui manquait. La deuxième fois qu’il est revenu, une autre part avait disparu, celle qui l’empêchait de se mettre en colère. Il râlait à propos de tout et n’importe quoi. Puis la part qui lui permettait de dormir la nuit a disparu. Puis celle qui lui disait qu’il avait assez bu, et finalement cette dernière part, celle qui faisait de lui quelqu’un de bien. Elle se retrouve à présent avec cette coquille vide, une lamentable loque insomniaque, colérique et alcoolique qui ne cherche qu’à blesser. Elle sait que l’armée vous verse cent mille dollars si votre mari est tué en action, mais s’il n’y a pas une égratignure sur son corps elle peut vous rendre une coquille vide et vous ne recevez pas un centime.

Son mariage ressemble, en modèle réduit, à la relation qui lie les citoyens américains à leur armée. C’est formidable d’avoir quelqu’un qui tue à votre place, mais ensuite vous ne voulez pas vraiment connaître les détails.

Le cercueil arrive sur un chariot tiré par un cheval blanc et la cérémonie commence. Jim décide de faire un tour dans le cimetière pendant quelques instants. Il s’éloigne jusqu’à ne plus voir la scène et il arrive à un croisement où une grosse pierre polie porte une citation célèbre à propos de liberté et d’indépendance. Pour Jim ces mots sont des sonnettes d’alarme, rien que des signes qu’un pays, ou une faction rebelle, ou n’importe quel groupe, se prépare à user de la violence pour obtenir ce qu’il veut. Dans l’Histoire, les proclamations de liberté précèdent presque toujours des bains de sang, pense Jim.
 

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