mercredi 16 juin 2021

[Sbille, Sylvestre] Massada

 




 

J'ai moyennement apprécié

 

Titre : Massada

Auteur : Sylvestre SBILLE

Editeur : Plon

Année de parution : 2021

Pages : 320

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

" Massada : tes syllabes chantent quand je les laisse sonner à mon esprit. Je les murmure, et elles suffisent à me faire du bien. Tu es la forteresse de montagne. La haute retraite. Tu es l’Imprenable.
Après la chute de Jérusalem, noyée dans le sang, les derniers rebelles juifs ont trouvé refuge à Massada. Mais les Romains sont opiniâtres, et le siège dure depuis des mois ".

Là-haut, Hagar et son petit frère accomplissent les corvées d’eau et écoutent les grands parler du Tout-Puissant, qui pourrait encore venir les délivrer. En bas, dans le village de fortune où se côtoient ceux qui servent l’armée, Djanu, 15 ans, se voit déjà adopté par le général lorsque sa rencontre avec une putain égyptienne, obsédée par la citadelle, bouleverse son désir et ses ambitions. Avant que la terrible rampe d’assaut n’atteigne son but, Djanu fera tout pour qu’elle se livre à lui, corps et âme.

Dans ce roman d’apprentissage où l’Antiquité sert de miroir, Sylvestre Sbille interroge notre spiritualité moderne. Il ressuscite, dans le bruit et la fureur, l’un des épisodes les plus fascinants de l’histoire des hommes.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Sylvestre Sbille est un journaliste et réalisateur belge. Il est le fils de l’économiste Paul Jorion et de l’écrivain Corinne Hoex. Il a publié son premier roman J'écris ton nom en 2019.

 

Avis : 

En cette année 74, cela fait près de deux ans que l’armée romaine assiège Massada, forteresse surplombant la mer Morte, aménagée par Hérode le Grand et devenue le dernier refuge des Juifs expulsés de Jérusalem après sa prise par Rome. Pour venir à bout de ce bastion réputé inexpugnable, car perché sur un plateau ceint de falaises hautes de plus de quatre cents mètres, les légions romaines se sont lancées dans une entreprise titanesque : construire une rampe d’accès qui permettra à un bélier monté sur une tour mobile d’enfoncer la muraille de la citadelle. L’attaque est maintenant imminente. Pendant qu’en-haut, les deux enfants Hagar et Ariel tentent de comprendre les disputes des grands, partagés entre reddition et suicide collectif, en bas, l’adolescent Djanu tergiverse entre ses ambitions de quasi fils adoptif du légat de Rome, et son désir pour une prostituée égyptienne étrangement pressée de pénétrer la ville assiégée.

Si le contexte historique et le décor dantesque du mythique siège de Massada sont fascinants, ils ne constituent que l’arrière plan de ce roman, centré sur quelques personnages parmi les plus obscurs du drame en train de se jouer. D’un côté comme de l’autre, enfants des familles assiégées, femmes survivant du commerce de leur corps au sein du camp romain, ils sont à la merci des décisions d’hommes qui n’attendent que leur obéissance passive. Au beau milieu, un adolescent hésite : entre coeur et raison, suivra-t-il le chemin de l’ambition ou cèdera-t-il au rêve d’un monde plus humain ?

Loin du péplum et du roman historique auxquels il s’attendait sans doute, le lecteur se retrouve ainsi au coeur d’un conte symbolique à portée philosophique. D’un côté, les certitudes rationnelles des Romains, solidement campés sur la réalité de leur supériorité technique et logistique, leur permet de coloniser le monde sans état d’âme. De l’autre, la croyance rigoriste, et quasi fanatique, en sa vérité religieuse, conduit toute une population à son suicide collectif. Au beau milieu, un adolescent ambivalent qui, à quelques lettres près, aurait pu s’appeler Janus, cherche une troisième voie, pourquoi pas dans le tout nouveau rêve humaniste en train de se propager depuis la résurrection d’un Galiléen crucifié par les Romains : une quête de sens et d’idéal, qu’entre certitudes scientifiques et extrémismes religieux, notre société contemporaine peine toujours à mener à bien…

Si la découverte de l’impressionnante citadelle de Massada et de son histoire m’a réellement fascinée, j’ai en revanche moins goûté les aspects les plus déroutants de ce roman. Avant d’en percevoir finalement toute l’intelligence et le symbolisme, j’ai bien failli me laisser rebuter par sa déconcertante alternance de réalité crue et de poésie imagée, mais surtout par la lenteur de sa progression et de l’émergence de ses personnages, souvent aussi énigmatiques que nombre de ses allusions métaphoriques. (2/5)

 

 

Citations :

— La bonne parole, ce n’est pas seulement avoir raison. Avoir tous les arguments dans le bon ordre. C’est même secondaire. Non, c’est dire à l’autre ce qu’il a envie d’entendre.          
Chèvrebouc le regarde avec beaucoup d’attention, et un brin d’ironie – que Djanu n’a pas vue.          
— Je ne suis pas partisan d’Aristote, annonce Djanu. Ni de Cicéron d’ailleurs. Aristote dit que c’est la vérité qui donne raison. Cicéron prétend que c’est la réalité. Or la vérité diffère selon chacun. La réalité est plus séduisante. Mais en apparence seulement.         
 — En apparence seulement ? demande Chèvrebouc en plissant les yeux.          
— Oui. La vérité change à chaque pas, elle est dépendante du temps, de l’espace, et même des esprits en présence. La réalité, elle, essaie de sortir des contingences. Elle est le cœur, la fondation, la chose profonde. Mais elle n’est pas accessible à l’homme. La réalité ne concerne que les dieux.          
— Et encore…          
— Oui, et encore…
(…)
— Reste la troisième voie, dit Chèvrebouc.          
— La troisième voie ?          
— Tu ne la connais pas ?          
— Non. Elle est de qui ?          
Le vieux poète ne répond pas.          
— Écoute ça : les mots ne servent pas à persuader ni à avoir raison. Ils existent seulement pour eux-mêmes. Pour le plaisir qu’ils ont de se coller à d’autres mots.          
Djanu fait quelques pas, les sourcils froncés ; ses pieds jouent avec des petits tas de poussière.          
— J’aime bien la troisième voie, dit Djanu. Elle m’intrigue.          
— Les mots veulent former une histoire et cette histoire, si on la laisse faire, prendra la forme d’un rêve.          
— Ah ?          
— C’est pour ça qu’on fait de la poésie, qu’on dit des contes, qu’on raconte les mythes, qu’on joue du théâtre. C’est notre façon de raconter les rêves sans avoir l’air fou.
 
Ainsi va le monde. Les hommes parlent, courroucés, les femmes attendent et travaillent. Puis elles doivent déduire ce qu’ont dit les hommes. Puis elles travaillent encore, s’occupent du manger et des enfants. Et enfin, avant que la journée ne s’achève, elles peuvent poser une ou deux questions l’air de rien, qui fermenteront pendant la nuit et corrigeront les décisions des hommes.

— Le Galiléen [Jésus], chacun l’assaisonne à sa sauce. Ce n’est pas grave. Depuis que l’homme est homme, il lui faut une idée solide pour supporter ses rêves. Puis, que soient prononcés les mots qui colleront à cette idée, jusqu’à construire une vérité – qui n’est la même pour personne, mais que tout le monde aime. On la croit surgie de quelque part, on vient de se la construire. J’appelle ça échafauder. On peut échafauder une histoire, ou un empire. Ou un homme.          
Djanu médite.          
— Il faut que les mots prononcés attirent les rêves, dit-il.          
— C’est facile parce que les rêves sont les mêmes pour tous. Essaie, tu verras. Soleil, moissons, maisons, santé.          
— C’est ce qu’on raconte aux enfants pour les endormir. Mais en grand.          
— Pour les endormir. Pour les rassurer. Quel est le mal ?

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