mercredi 30 juin 2021

[Uribe, Arelis] Les Bâtardes

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : Les Bâtardes (Quiltras)

Auteur : Arelis URIBE

Traductrice : Marianne MILLON

Parution : en espagnol (Chili) en 2016,
                   en français (Quidam) en 2021

Pages : 120

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Je croyais que ce serait toujours elle et moi. Mais les adultes abîment tout. »
Des cousines que sépare une dispute familiale, deux jeunes femmes que tout oppose éprises l’une de l’autre, le désastre d’un amour virtuel, une visite sordide dans une école défavorisée… Ce pourrait être les vies de femmes banales, mais elles sont quiltras. Avant tout des «sans race, sans classe», des «chiennes bâtardes».
Arelis Uribe écrit ce que la littérature chilienne a eu l’habitude de taire. Style incisif, écriture dépouillée, «je» intime, son recueil se fait aussi le porte-parole de celles que le Chili méprise et discrimine.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Arelis Uribe est chilienne, journaliste, directrice de communication de la OCAC (Observatoire contre le harcèlement de rue). Un rôle qui l’a poussée à prendre des décisions politiques dans ses écrits, le fait que les hommes n’y jouent qu’un rôle secondaire. «Les auteurs chiliens reconnus sont tous des hommes (Bolaño, Fuguet, Zambra). Talentueux mais parlant d’une culture androcentriste que l’on n’interroge pas. J’ai écrit un livre au positionnement politique explicite mais ce n’est pas un pamphlet.»

 

 

Avis :

Deux très proches cousines sont séparées par un conflit familial. Une adolescente comprend qu’être femme ou chienne errante comporte les mêmes dangers dans la rue le soir. Une jeune femme prend la mesure de l’infranchissable fossé qui la sépare des beaux quartiers. Une lycéenne est durement rappelée sur terre après les illusions d’un long flirt virtuel. Une assistante sociale réalise le triste état de l’enseignement dans son pays en visitant les sordides infrastructures d’un collège public. Une collégienne désespérée de ses insuccès affectifs est confrontée au poids des convenances au travers de sa sœur fille-mère…

Les huit nouvelles de ce recueil ont toutes pour narratrices de jeunes Chiliennes très ordinaires, issues d’un milieu modeste, au bord de leurs vie de femmes dans un pays qui se réveille à peine de la dictature de Pinochet. Premières expériences amoureuses, fêtes, joints, alcool, voyages loin des parents : chacune de ces filles s’efforce maladroitement de quitter le rivage de l’adolescence pour s’élancer vers sa vie d’adulte, dans une confrontation souvent douloureuse à une réalité décevante, moche et sordide. De ces papillons tout neufs aux ailes encore chiffonnées, la vie commence déjà à écorcher les rêves et les espoirs, pourtant l’on sent que l’élan et la force de ces insignifiantes et invisibles ne mourra pas si facilement, et qu’à elles toutes, elles finiront bien par revendiquer leur place dans une société sexuellement et socialement très inégalitaire.

S’inscrivant délibérément en contre-pied d’une littérature chilienne habituellement si masculine et si élitiste, l’auteur impose sur le devant de la scène cette majorité silencieuse de femmes sur le point de prendre conscience de leur appartenance à une même famille : celle des « bâtardes » sans pedigree, issues des quartiers populaires, déclassées et négligées, mais dont le frémissant éveil semble porter le germe d’une mutation sociale et féministe à venir.

Un livre lapidaire, à première vue déconcertant, mais qui n’en finit pas de résonner des craquellements de vies féminines ordinaires, potentiels signes annonciateurs d’une révolution à venir de la société chilienne. (3,5/5)

 

Citation :

Le trio de futures mamans t’a demandé le nom de ton ancien collège et elles ont ouvert de grands yeux quand tu as dit Buin English School College ou quelque chose comme ça. Elles t’ont demandé si tu parlais anglais et tu as répondu que oui, que tu savais prier et je ne sais pas pourquoi, tu as commencé à réciter le Notre Père, Our Father, who are in heaven. Elles en sont restées bouche bée, de rire ou de peur. Elles t’ont demandé le Je vous salue Marie et toi, obéissante, tu as commencé Holy Mary, Mother of God et à la fin, comme une bonne petite fille, tu t’es signée In the name of the Father and the Son and the Holy Ghost, amen. Je m’en souviens encore, je sais encore prier comme toi, car je ne priais pas, même en espagnol, mais en t’entendant j’ai voulu apprendre. J’ai imaginé que Dieu pourrait mieux m’entendre en anglais, que prier dans une autre langue pourrait réduire les longues distances, être un préfixe qui faciliterait la façon dont j’enverrais à Dieu mon interminable liste de demandes et de plaintes. J’ai beaucoup prié, mais les aides ne sont jamais arrivées. Peut-être parce que mon anglais n’a jamais été bon.


 

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