samedi 22 août 2020

[Griffin, Anne] Toute une vie et un soir





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Toute une vie et un soir
           (When All Is Said)

Auteur : Anne GRIFFIN

Traductrice : Claire DESSERREY

Parution : en anglais (Irlande) en 2019,
                 en français en 2019 (Delcourt)

Pages : 272

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Dans une bourgade du comté de Meath, Maurice Hannigan, un vieux fermier, s’installe au bar du Rainsford House Hotel. Il est seul, comme toujours – sauf que, ce soir, rien n’est pareil : Maurice, à sa manière, est enfin prêt à raconter son histoire. Il est là pour se souvenir – de tout ce qu’il a été et de tout ce qu’il ne sera plus. Au cours de la soirée, il va porter cinq toasts aux cinq personnes qui ont le plus compté pour lui. Il lève son verre à son grand frère Tony, à l’innocente Noreen, sa belle-sœur un peu timbrée, à la petite Molly, son premier enfant trop tôt disparu, au talent de son fils journaliste qui mène sa vie aux États-Unis, et enfin à la modestie de Sadie, sa femme tant aimée, partie deux ans plus tôt. Au fil de ces hommages, c’est toute une vie qui se révèle dans sa vérité franche et poignante… Un roman plein de pudeur et de grâce qui contient toute l’âme de l’Irlande.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Récompensée par le John McGahern Award, Anne GRIFFIN a publié ses nouvelles dans The Irish Times et The Stinging Fly. Elle a été libraire à Dublin et Londres, et travaille pour plusieurs associations caritatives. Née à Dublin, elle vit aujourd’hui à Mullingar. Son premier roman, Toute une vie et un soir, paraît dans sept pays en 2019.

 

 

Avis :

A quatre-vingt-quatre ans, l’Irlandais Maurice Hannigan ne parvient pas à faire le deuil de son épouse, décédée deux ans auparavant. Ce soir-là, au bar où il noie son désespoir dans la stout et le whisky, il soliloque sur sa vie passée, ses joies et ses regrets, en évoquant les cinq personnes qu’il a le plus aimées : son grand frère Tony emporté par la tuberculose, sa belle-sœur Noreen enfermée en asile psychiatrique, sa fille Molly morte-née, son fils journaliste en Amérique, et surtout, sa si regrettée épouse Sadie.

Au fil du récit se dessine peu à peu le portrait formidablement vrai d’un homme qui, envahi au soir de sa vie par le désarroi du chagrin et de la solitude, contemple sans complaisance ce que fut son existence et décide courageusement de faire ce qu’il faut pour ne pas en perdre le contrôle. Des bonheurs et des épreuves traversés ressortent une profonde tristesse d’avoir désormais tout perdu, mais aussi une forme d’acceptation résignée née de la certitude d’avoir toujours affronté le destin d’un pied ferme et d’être resté quoi qu’il arrive fidèle à lui-même et aux siens.

Sous ses dehors de dur-à-cuire taiseux, pingre et impitoyable, se cache un être d’une profonde humanité, qui se sera attaché toute sa vie à rester droit dans ses bottes, digne et fier de réussir à prendre sa revanche sur une enfance pauvre et marquée par l’injustice. L’ombre de cette vie écoulée est évoquée avec une telle vérité, les répliques y sonnent avec une telle authenticité, que Maurice Hannigan s’incarne sous les yeux du lecteur d’une manière toute cinématographique. D’ailleurs, je n’ai cessé d’y voir la silhouette, et d’y entendre la voix, de Clint Eastwood.

Tout en pudeur et en émotion contenue, ce roman d’une parfaite justesse réussit à poser avec une étonnante légèreté la question de la douleur, de la solitude et de la dignité des personnes vieillies et désormais seules, parvenues au bout de leur envie de vivre. (4/5)

 

 

Citations :

Depuis que Sadie m’a quitté, c’est la présence de Tony vivant qui me manque. Je peux lui parler tant que je veux dans ma tête, rien ne remplace le fait de le voir, de le toucher, de l’entendre boire sa bière chez Hartigan. Je donnerais n’importe quoi pour passer une heure avec lui. Pas la peine qu’on se parle beaucoup. Les coudes sur le zinc. Chacun sa bouteille de stout. Nos verres à moitié vides. Regarder dans la rue, taper du pied en rythme avec la musique à la radio, rire de la dinguerie du monde. Être avec quelqu’un en qui t’as confiance, voilà tout. Qui te comprend sans que t’aies besoin de t’expliquer, ou que tu te croies obligé de faire semblant que tout va bien. Avec qui tu peux te permettre d’être nul. Sentir sa tape dans mon dos quand il se lève pour aller aux gogues. Ce serait trop demander une petite résurrection ?

— Monsieur Hannigan, ce n’est pas en buvant que vous surmonterez votre deuil. »
Qu’est-ce qu’il en connaît du deuil, tu peux me le dire ? Il sort à peine des couches-culottes, ce petit con ! Si tu veux mon avis, la seule chose qu’il ait perdue jusqu’à présent, c’est sa virginité – et encore, pas sûr qu’il ait l’âge. Personne, absolument personne ne peut savoir ce que c’est de perdre quelqu’un qu’on aime tant qu’il l’a pas vécu. Le grand amour, celui qui s’accroche à tes os, s’enfonce sous tes ongles, aussi difficile à faire partir que la terre incrustée depuis des années. Quand il est plus là… c’est comme si on t’avait arraché un bout de toi. Tu te retrouves la peau à vif, sans défense, avec ton sang qui dégouline sur la moquette neuve. Moitié vivant, moitié mort, un pied dans la tombe.

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