J'ai beaucoup aimé
Titre : Une immense sensation de calme
Auteur : Laurine ROUX
Editeur : Les Editions du Sonneur
Année de parution : 2018
Pages : 128
Présentation de l'éditeur :
Alors
qu’elle vient d’enterrer sa grand-mère, une jeune fille rencontre Igor.
Cet être sauvage et magnétique, presque animal, livre du poisson séché à
de vieilles femmes isolées dans la montagne, ultimes témoins d’une
guerre qui, cinquante ans plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis
les « Invisibles », parias d’un monde que traversent les plus curieuses
légendes. Au
plus noir du conte, Laurine Roux dit dans ce premier roman le sublime
d’une nature souveraine et le merveilleux d’une vie qu’illumine le
côtoiement permanent de la mort et de l’amour.
Un mot sur l'auteur :
Née en 1978, Laurine Roux vit dans les Hautes-Alpes où elle est professeur de lettres modernes.
Avis :
Aux confins de cette région glacée, les rares habitants survivent en s’adaptant à leur sévère environnement. Condamnée à l’errance après la mort de sa grand-mère, la narratrice est recueillie par une famille de pêcheurs et épouse Igor, une force de la nature qui subsiste en colportant des vivres chez les vieilles femmes isolées. Commence alors pour le couple une existence nomade, soumise aux rudesses d’hivers sibériens et aux dangers de fièvres terrassantes, imprégnée d’étranges légendes sur un passé apocalyptique, et menant à la paisible acceptation des inévitables cycles de vie et de mort.
Laurine Roux nous offre un joli conte, où quelques hommes issus d’une Histoire presque oubliée, guerrière et destructrice, qui a fait d’eux des parias isolés dans une nature aussi splendide qu’inhospitalière, reviennent aux valeurs essentielles pour s’accorder à leur environnement et à leur destin de mortels. Laissant une large place à leur cadre de vie, où les beautés et les miracles de la nature n’ont d’équivalents que sa puissance et sa sauvagerie, le récit fait combattre le lecteur aux côtés de personnages en lutte pour leur survie, avant de le faire s’abandonner à leur inéluctable retour au tout originel.
De ce roman-fable aussi tendre que cruel émerge une délicate et poétique esthétique. L’on est tenté d’y voir transparaître le souvenir d’anciens modes de vie, de ces peuples nomades du Grand Nord, en osmose avec leur rude environnement, porteur d’une sagesse ancestrale et d’un savoir chamanique quant à leur bref, souvent éprouvant, mais si magique passage sur terre. (4/5)
Laurine Roux nous offre un joli conte, où quelques hommes issus d’une Histoire presque oubliée, guerrière et destructrice, qui a fait d’eux des parias isolés dans une nature aussi splendide qu’inhospitalière, reviennent aux valeurs essentielles pour s’accorder à leur environnement et à leur destin de mortels. Laissant une large place à leur cadre de vie, où les beautés et les miracles de la nature n’ont d’équivalents que sa puissance et sa sauvagerie, le récit fait combattre le lecteur aux côtés de personnages en lutte pour leur survie, avant de le faire s’abandonner à leur inéluctable retour au tout originel.
De ce roman-fable aussi tendre que cruel émerge une délicate et poétique esthétique. L’on est tenté d’y voir transparaître le souvenir d’anciens modes de vie, de ces peuples nomades du Grand Nord, en osmose avec leur rude environnement, porteur d’une sagesse ancestrale et d’un savoir chamanique quant à leur bref, souvent éprouvant, mais si magique passage sur terre. (4/5)
Citations :
Chaque soir, la même histoire se répétait : le Soleil allumait ici ou là quelques brandons de colère, furieux de devoir quitter le monde, mais déjà la nuit mollissait l’incendie de ses vapeurs mauves, lénifiait sa violence pour laisser place au coassement gris du crapaud. Alors la Lune faisait apparaître son front, festonnant de lumière le contour des arbres, modeste dentelle, et, timide, s’élevait dans le ciel, si simple et ronde qu’on pouvait l’observer à l’œil nu car elle n’avait aucun artifice à cacher, aucune blessure à taire, laissant voir à qui voulait s’en moquer les cratères poussiéreux maculer son corps blanc. Ainsi en avait-il été depuis des lustres et en serait-il tant que l’homme serait homme et la femme, femme.
Cela fait longtemps que je n’ai pas pensé à Ama et Apa. Ils sont rangés dans ma tête comme de vieux habits d’un autre temps qu’on a fini par délaisser. Et un jour, sans trop savoir pourquoi, on les retrouve au fond de l’armoire. Le temps les a abîmés. Ils sentent le renfermé. Mais quelque chose reste intact à travers les ans.
Les jours se répétaient, les gestes aussi. Mais le soleil levait chaque matin son rideau sur une nature différente. La lumière ruisselait dans les branches cristallisées par la glace. Les myriades de teintes allaient du rose au bleu pâle, projetant des flaques colorées sur la surface du lac en banquise. L’hiver révélait des grâces de jeune fille. Le ramage des branches, prisonnières de leur robe de cristal, devenait dentelle, piquetée par endroits de boutons vernis là où les corneilles arrêtaient leur vol. On crissait à chaque pas et c’était délicat, un froissement de tissus précieux.
Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d’éclat. Igor était de ceux-là. Pavel, en revanche, semblait abriter en son sein chaque jour un peu plus sa propre fin. Et l’on voyait dans sa démarche légèrement accablée le commerce de plus en plus intime qu’il avait noué avec la mort. Ce n’était pas de la résignation mais un signe de familiarité. Une sorte de lente préparation. Comme on dit d’un fruit qu’il est mûr lorsqu’il tombe, la vie de Pavel était la maturation de sa propre disparition.
Cela fait longtemps que je n’ai pas pensé à Ama et Apa. Ils sont rangés dans ma tête comme de vieux habits d’un autre temps qu’on a fini par délaisser. Et un jour, sans trop savoir pourquoi, on les retrouve au fond de l’armoire. Le temps les a abîmés. Ils sentent le renfermé. Mais quelque chose reste intact à travers les ans.
Les jours se répétaient, les gestes aussi. Mais le soleil levait chaque matin son rideau sur une nature différente. La lumière ruisselait dans les branches cristallisées par la glace. Les myriades de teintes allaient du rose au bleu pâle, projetant des flaques colorées sur la surface du lac en banquise. L’hiver révélait des grâces de jeune fille. Le ramage des branches, prisonnières de leur robe de cristal, devenait dentelle, piquetée par endroits de boutons vernis là où les corneilles arrêtaient leur vol. On crissait à chaque pas et c’était délicat, un froissement de tissus précieux.
Il y a des gens qui sont bâtis pour exister toujours, leur corps éblouissant érigé pour résister aux assauts du temps, de la maladie et de la mort. Des anatomies de soleil et d’éclat. Igor était de ceux-là. Pavel, en revanche, semblait abriter en son sein chaque jour un peu plus sa propre fin. Et l’on voyait dans sa démarche légèrement accablée le commerce de plus en plus intime qu’il avait noué avec la mort. Ce n’était pas de la résignation mais un signe de familiarité. Une sorte de lente préparation. Comme on dit d’un fruit qu’il est mûr lorsqu’il tombe, la vie de Pavel était la maturation de sa propre disparition.
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