lundi 26 octobre 2020

[Paye, Lucie] Les coeurs inquiets





 

J'ai aimé

 

Titre : Les coeurs inquiets

Auteur : Lucie PAYE

Editeur : Gallimard

Année de parution : 2020

Pages : 152

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

«J’ai lutté, pour te retrouver, de toutes mes forces. L’espoir m’a fait vivre. Mille fois je me suis levée convaincue que ce serait aujourd’hui. Mille fois mon cœur a bondi en croyant t’apercevoir. Mille fois je me suis couchée en voulant croire que ce serait demain. Le jour où je te reverrais.»

Un jeune peintre voit apparaître sur ses toiles un visage étrangement familier. Ailleurs, une femme écrit une ultime lettre à son amour perdu. Ils ont en commun l’absence qui hante le quotidien, la compagnie tenace des fantômes du passé. Au fil d’un jeu de miroirs subtil, leurs quêtes vont se rejoindre.
Ce roman parle d’amour inconditionnel et d’exigence de vérité. De sa plume singulière, à la fois vive, limpide et poétique, Lucie Paye nous entraîne dès les premières pages vers une énigme poignante.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Née à Paris en 1975, Lucie Paye vit aujourd'hui à Londres.

 

Avis :

Se sachant malade et en fin de vie, une femme écrit à son plus grand amour, disparu sans laisser de trace des décennies plus tôt, sans même qu’elle sache si ses lettres seront lues un jour. Un jeune peintre à la recherche d’inspiration voit la silhouette d’une femme inconnue mais familière s’insinuer sous son pinceau et revenir en leitmotiv de ses toiles. Quel est donc le lien entre ces deux personnages ?

Deux aspects m’ont beaucoup gênée dans cette histoire. Sur le fond, elle m’a parue assez peu vraisemblable : je n’ai pas été convaincue par cette disparition quasi sans recherches, par cette résignation si facile et par cette douleur si positivement vécue. Sur la forme, le versant épistolaire du roman m’a vite semblé tourner en rond autour du même message, indéfiniment reformulé pour faire tenir dans la longueur l’alternance des chapitres entre « elle » et « lui ».

Cela n’empêche pas la lecture d’être agréable. Le style est fluide. Le récit s’organise de façon à ménager un certain suspense entre surprise et fausse piste. Le thème de la peinture et de l’inspiration artistique est abordé d’une manière originale, et fait l’objet de quelques réflexions intéressantes. Surtout, il émane de cette histoire une certaine poésie qui vous tient sous son charme, et elle m’a permis de découvrir le tableau de Jan van Eyck intitulé Les Epoux Arnolfini.

Je referme donc ce livre sur une impression mitigée : charmée par la joliesse de son histoire bâtie sur une idée intéressante, je n’ai pu toutefois ressentir de véritable empathie pour son héroïne, trop peu crédible et pas assez consistante à mes yeux. La lecture est agréable, mais j’en attendais un peu plus. (3/5)

 

 

Citations :

(Au Louvre) Ça va passer. Il enlève sa veste. Il suffit d’attendre, comme ça, la tête dans les mains, les yeux fermés. Les toiles dansent devant lui comme des visions. Des détails resurgissent, en désordre. Le pli d’une manche. Un coup de pinceau. Un frémissement. Il voit chaque peintre attelé à sa tâche. Il sent le poids de la palette dans leur main, la pression du pinceau sur la toile, la pointe alourdie par la pâte. Les formes se brouillent. Il est submergé par les ombres, les teintes, et ces gens qu’il devine, une foule d’artistes, chacun debout, devant sa toile. Il est comme eux. Il est un parmi des milliers de peintres. Il appartient à leur confrérie insensée. Oui, il est comme eux. Fou comme eux. Acharné à faire émerger quelque chose. Il ne sait même pas quoi. Il ne se le demande pas. Tout ce qu’il sait, c’est la solitude, l’insatisfaction permanente, l’acharnement, la rage de l’impuissance, l’inabouti perpétuel, l’âme toujours inquiète. Tout ce travail, pour avoir parfois, un court instant, l’impression de saisir quelque chose. Donner un sens. Essayer. À tout prix, pour survivre. Oui, sa famille, c’est eux : les sans-repos, les possédés, les obstinés. Ceux qui esquissent, biffent, modèlent, détruisent, et recommencent, sans fin, en quête d’une vérité. Une putain de vérité qui n’existe peut-être pas.

Sans l’honnêteté, il n’y a pas d’universalité possible, humaine et vivante. L’œil du peintre cherche l’intériorité vraie. Non pas l’intérieur des choses, mais sa propre intériorité, projetée sur celles-ci. Il invite le spectateur à faire de même. Le miroir exigeant du peintre est tourné vers lui-même, en même temps qu’il est tendu vers l’autre.

Marc a tort de chercher dans le monde l’explication de ses toiles. Celle-ci réside ailleurs. Elle est dans ce magma intérieur où il se laisse glisser. Une autre réalité accessible seulement par cet autre langage. Un langage vivant, spécifiquement humain, celui de la peinture, de la musique, de tous les arts. Sans frein, sans interdit, sans limite que celle imposée par l’honnêteté. Et ce n’est pas un soliloque. Tout juste un monologue. Parler seul, mais s’adresser à tous. Oui, il faut écarter le rideau, sans gêne, car ce n’est pas du narcissisme. Ce n’est pas de l’amour pour soi. Non, ce n’est même pas l’excuse de prétendre passer du particulier à l’universel. C’est une compulsion, une nécessité humaine. La respiration de notre grand bordel intérieur d’humains. Sans quoi l’on ne vit pas. Il faut l’offrir, généreusement, et que d’autres en prennent possession. C’est pour ça qu’il peint, qu’il enfante ses toiles. Le reste n’a pas de sens, pas de valeur. Il ne sait faire que ça de vrai.

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