J'ai beaucoup aimé
Titre : Le bal des folles
Auteur : Victoria MAS
Année de parution : 2019
Editeur : Albin Michel
Pages : 256
Présentation de l'éditeur :
Chaque année, à la mi-carême, se tient un très étrange Bal des Folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse
et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes,
zouaves et autres mousquetaires. Réparti sur deux salles, d’un côté les
idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques, les folles et
les maniaques. Ce bal est en réalité l’une des dernières
expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de la
Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie, Louise et
Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce
premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
En cette fin de 19ème siècle, les connaissances psychiatriques sont balbutiantes. A la Salpétrière, où sont enfermées diverses femmes qualifiées à tort ou à raison de folles, le professeur Charcot multiplie les expérimentations. Parmi elles, un bal annuel, dit le Bal des Folles, où se presse un Tout-Paris voyeur en mal de sensations. Pour les pensionnaires, les préparatifs sont synonymes d'une grande excitation, mais l'événement ne va pas se dérouler comme prévu pour tout le monde.
A cette époque où le terme folie englobe tout ce qui effraye ou dérange, comme l'épilepsie, l'hystérie, la dépression, le traumatisme, ou même des comportements simplement jugés inappropriés pour une femme, la frontière avec la normalité est bien ténue, et il suffit de vraiment peu de choses, comme la simple volonté d'un père ou d'un mari, pour se retrouver recluse à vie entre les murs de l'asile.
Entre condition féminine, perception de la folie par contraste avec une certaine idée de la conformité sociale, expérimentation médicale et dignité humaine, enfin abus de pouvoir sur personnes assujetties, Victoria Mas a choisi une thématique historique qui ne peut laisser indifférent. La curiosité du lecteur se retrouve par ailleurs aiguillonnée par la tension maintenue tout au long du récit, qui, porté par une écriture agréable et fluide, coule jusqu'à son dénouement sans que fléchisse le plaisir de lecture.
On peut certes regretter que l'ensemble laisse une certaine impression de facilité et de superficialité : les personnages ne sont guère qu'esquissés, et l'histoire d'Eugénie et de Geneviève paraît au final très romancée et assez improbable. Elle est malgré tout suffisamment jolie et bien tournée pour que ces reproches restent au second plan et vous fassent, comme moi, juste passer de peu à côté du coup de coeur. Voici en tout cas un premier roman qui donne envie de découvrir les futurs ouvrages de son auteur. (4/5)
A cette époque où le terme folie englobe tout ce qui effraye ou dérange, comme l'épilepsie, l'hystérie, la dépression, le traumatisme, ou même des comportements simplement jugés inappropriés pour une femme, la frontière avec la normalité est bien ténue, et il suffit de vraiment peu de choses, comme la simple volonté d'un père ou d'un mari, pour se retrouver recluse à vie entre les murs de l'asile.
Entre condition féminine, perception de la folie par contraste avec une certaine idée de la conformité sociale, expérimentation médicale et dignité humaine, enfin abus de pouvoir sur personnes assujetties, Victoria Mas a choisi une thématique historique qui ne peut laisser indifférent. La curiosité du lecteur se retrouve par ailleurs aiguillonnée par la tension maintenue tout au long du récit, qui, porté par une écriture agréable et fluide, coule jusqu'à son dénouement sans que fléchisse le plaisir de lecture.
On peut certes regretter que l'ensemble laisse une certaine impression de facilité et de superficialité : les personnages ne sont guère qu'esquissés, et l'histoire d'Eugénie et de Geneviève paraît au final très romancée et assez improbable. Elle est malgré tout suffisamment jolie et bien tournée pour que ces reproches restent au second plan et vous fassent, comme moi, juste passer de peu à côté du coup de coeur. Voici en tout cas un premier roman qui donne envie de découvrir les futurs ouvrages de son auteur. (4/5)
Citations :
Le début du siècle [19ème] laissa percer une lueur d’espoir : des médecins un peu plus appliqués prirent en charge le service de celles qu’on ne se lassait pas de nommer « les folles ». Des avancées médicales émergèrent ; la Salpêtrière devint un lieu de soins et de travaux neurologiques. Une toute nouvelle catégorie d’internées se forma dans les différents secteurs de l’enceinte : on les nomma hystériques, épileptiques, mélancoliques, maniaques ou démentielles. Les chaînes et les haillons laissèrent place à l’expérimentation sur leurs corps malades : les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d’hystérie ; l’introduction d’un fer chaud dans le vagin et l’utérus réduisait les symptômes cliniques ; les psychotropes – nitrite d’amyle, éther, chloroforme – calmaient les nerfs des filles ; l’application de métaux divers – zinc et aimants – sur les membres paralysés avait de réels effets bénéfiques. Et, avec l’arrivée de Charcot au milieu du siècle, la pratique de l’hypnose devint la nouvelle tendance médicale. Les cours publics du vendredi volaient la vedette aux pièces de boulevard, les internées étaient les nouvelles actrices de Paris, on citait les noms d’Augustine et de Blanche Wittman avec une curiosité parfois moqueuse, parfois charnelle. Car les folles pouvaient désormais susciter le désir. Leur attrait était paradoxal, elles soulevaient les craintes et les fantasmes, l’horreur et la sensualité. Lorsque, sous hypnose, une aliénée plongeait en crise d’hystérie devant un auditoire muet, on avait parfois moins l’impression d’observer un dysfonctionnement nerveux qu’une danse érotique désespérée. Les folles n’effrayaient plus, elles fascinaient. C’est de cet intérêt qu’était né, depuis plusieurs années, le bal de la mi-carême, leur bal, l’événement annuel de la capitale, où tous ceux qui pouvaient se vanter de détenir une invitation passaient les grilles d’un endroit autrement réservé aux malades mentales. Le temps d’un soir, un peu de Paris venait enfin à ces femmes qui attendaient tout de cette soirée costumée : un regard, un sourire, une caresse, un compliment, une promesse, une aide, une délivrance. Et pendant qu’elles espéraient, les yeux étrangers s’attardaient sur ces bêtes curieuses, ces femmes dysfonctionnelles, ces corps handicapés, et l’on parlait de ces folles des semaines après les avoir vues de près. Les femmes de la Salpêtrière n’étaient désormais plus des pestiférées dont on cherchait à cacher l’existence, mais des sujets de divertissement que l’on exposait en pleine lumière et sans remords.
Entre l’asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes.
Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes.
Personne n’aime mieux les salles d’examen que les médecins eux-mêmes. Pour ces esprits pétris de science, c’est ici que les pathologies se découvrent, que le progrès se fait. Leurs mains jouissent de faire usage d’instruments qui terrifient ceux sur qui ils s’apprêtent à les utiliser. Pour ceux-là, ceux contraints de se mettre à nu, ce lieu est fait de craintes et d’incertitudes. Dans une salle d’examen, les deux individus qui s’y trouvent ne sont plus égaux : l’un évalue le sort de l’autre ; l’autre croit la parole du premier. L’un détermine sa carrière ; l’autre détermine sa vie. Le clivage est d’autant plus prononcé lorsqu’une femme passe les portes du bureau médical. Celle-ci offre à l’examen un corps à la fois désiré et incompris par celui qui le manipule. Un médecin pense toujours savoir mieux que son patient, et un homme pense toujours savoir mieux qu’une femme : c’est l’intuition de ce regard-là qui rend aujourd’hui anxieuses les jeunes femmes attendant leur évaluation.
Pour ces bourgeois, fascinés par les malades qu’ils ont l’occasion, une fois dans l’année, de côtoyer de près, ce bal vaut toutes les pièces de théâtre, toutes les soirées mondaines auxquelles ils assistent habituellement. Le temps d’un soir, la Salpêtrière fait se rejoindre deux mondes, deux classes, qui, sans ce prétexte, n’auraient jamais de raison, ni d’envie, de s’approcher.
Là résidait la différence entre le factuel et la fiction : avec le premier, l’émotion était impossible. On se contentait de données, de constatations. La fiction, au contraire, suscitait les passions, créait les débordements, bouleversait les esprits, elle n’appelait pas au raisonnement ni à la réflexion, mais entraînait les lecteurs – les lectrices, surtout – vers le désastre sentimental. Non seulement Geneviève n’y voyait aucun intérêt intellectuel, mais elle s’en méfiait. Aucun roman n’était donc autorisé dans le quartier des aliénées : il ne fallait pas prendre plus de risque à exciter les humeurs.
Ces gens qui l’ont jugée, qui m’ont jugée moi… leur jugement réside dans leur conviction. La foi inébranlable en une idée mène aux préjugés. T’ai-je dit combien je me sentais sereine, depuis que je doute ? Oui, il ne faut pas avoir de convictions : il faut pouvoir douter, de tout, des choses, de soi-même. Douter.
Entre l’asile et la prison, on mettait à la Salpêtrière ce que Paris ne savait pas gérer : les malades et les femmes.
Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes.
Personne n’aime mieux les salles d’examen que les médecins eux-mêmes. Pour ces esprits pétris de science, c’est ici que les pathologies se découvrent, que le progrès se fait. Leurs mains jouissent de faire usage d’instruments qui terrifient ceux sur qui ils s’apprêtent à les utiliser. Pour ceux-là, ceux contraints de se mettre à nu, ce lieu est fait de craintes et d’incertitudes. Dans une salle d’examen, les deux individus qui s’y trouvent ne sont plus égaux : l’un évalue le sort de l’autre ; l’autre croit la parole du premier. L’un détermine sa carrière ; l’autre détermine sa vie. Le clivage est d’autant plus prononcé lorsqu’une femme passe les portes du bureau médical. Celle-ci offre à l’examen un corps à la fois désiré et incompris par celui qui le manipule. Un médecin pense toujours savoir mieux que son patient, et un homme pense toujours savoir mieux qu’une femme : c’est l’intuition de ce regard-là qui rend aujourd’hui anxieuses les jeunes femmes attendant leur évaluation.
Pour ces bourgeois, fascinés par les malades qu’ils ont l’occasion, une fois dans l’année, de côtoyer de près, ce bal vaut toutes les pièces de théâtre, toutes les soirées mondaines auxquelles ils assistent habituellement. Le temps d’un soir, la Salpêtrière fait se rejoindre deux mondes, deux classes, qui, sans ce prétexte, n’auraient jamais de raison, ni d’envie, de s’approcher.
Là résidait la différence entre le factuel et la fiction : avec le premier, l’émotion était impossible. On se contentait de données, de constatations. La fiction, au contraire, suscitait les passions, créait les débordements, bouleversait les esprits, elle n’appelait pas au raisonnement ni à la réflexion, mais entraînait les lecteurs – les lectrices, surtout – vers le désastre sentimental. Non seulement Geneviève n’y voyait aucun intérêt intellectuel, mais elle s’en méfiait. Aucun roman n’était donc autorisé dans le quartier des aliénées : il ne fallait pas prendre plus de risque à exciter les humeurs.
Ces gens qui l’ont jugée, qui m’ont jugée moi… leur jugement réside dans leur conviction. La foi inébranlable en une idée mène aux préjugés. T’ai-je dit combien je me sentais sereine, depuis que je doute ? Oui, il ne faut pas avoir de convictions : il faut pouvoir douter, de tout, des choses, de soi-même. Douter.
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