lundi 9 décembre 2024

[Flanagan, Richard] Question 7

 




 Coup de coeur 💓💓

 

Titre : Question 7

Auteur : Richard FLANAGAN

Traduction : Serge CHAUVIN

Parution : en anglais (Australie) en 2021,
                  en français (Actes Sud) en 2024

Pages : 288

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

S’il n’avait craint les sentiments que lui inspirait la jeune Rebecca West, H.G. Wells, le père de la science-fiction, ne se serait pas enfui en Suisse pour y écrire un livre dans lequel il imagine, en 1912, une arme capable d’embraser le monde…
S’il n’avait lu ce roman méconnu, le physicien Leo Szilard n’aurait probablement jamais eu l’idée, quelque vingt ans plus tard, d’une réaction nucléaire en chaîne et, terrifié par ses possibles applications, tout mis en œuvre pour convaincre Roosevelt de doter son pays de la bombe atomique.
Si les États-Unis n’avaient pas bombardé Hiroshima puis Nagasaki, en août 1945, des dizaines de milliers de personnes auraient survécu mais le sergent Flanagan, prisonnier de guerre des Japonais, aurait certainement péri et son fils Richard ne serait pas né seize ans plus tard en Tasmanie.
Question 7 est le récit virtuose, aux accents sebaldiens, d’une série d’événements ; l’examen magistral et déchirant de ce que signifie être en vie alors que tant d’autres sont morts. C’est aussi une lettre d’amour de l’auteur à ses parents, une œuvre puissante fusionnant rêverie, histoire et fiction, pour tenter de saisir le sens de cet univers insensé.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né en 1961 en Tasmanie, Richard Flanagan est resté viscéralement attaché à cette terre. Il n'a cessé d'en revisister l'histoire et la mémoire au fil de son œuvre. Ses romans, récompensés par de nombreux prix et publiés dans 42 pays, sont tous disponibles chez Actes Sud : À contre-courant (Babel n° 1569), L’Odeur d’un arbre sans fleur (Babel n° 1659), Le Livre de Gould (Babel n° 1361 – Commonwealth Writers’ Prize 2002), La Fureur et l’Ennui (Babel n° 1742), Désirer (Babel n°1800), La Route étroite vers le Nord lointain (Actes Sud, 2016 ; Babel n° 1492 – Man Booker Prize 2014 ; prix Lire du meilleur livre étranger), Première personne (Actes Sud, 2018) ; Dans la mer vivante des rêves éveillés (Actes Sud, 2022); Question 7 (Actes Sud, 2024).

 

Avis : 

« Peut-être que la poésie ne fait rien advenir, mais c’est un roman qui a détruit Hiroshima et sans Hiroshima il n’y a pas de moi et les mots que vous lisez s’effacent et moi avec eux. » Explorant l’histoire de sa jeunesse en même temps que celle de l’invention de la bombe atomique, Richard Flanagan signe un récit autobiographique vertigineux, hanté par des questions sans fond.

Le titre Question 7 fait référence à une nouvelle de jeunesse de Tchekhov, dans laquelle l’écrivain parodiait les problèmes de calcul posés aux écoliers pour ouvrir des interrogations beaucoup plus vastes et surtout sans réponse. Tchekhov : « un train devant partir de la gare A à 3 heures du matin pour arriver à la gare B à 11 heures du soir », mais « le conducteur ayant reçu l’ordre d’atteindre la gare B à 7 heures du soir au plus tard », « qui aime le plus longtemps, un homme ou une femme ? » Et Flanagan de rebondir : « Qui ? Vous, moi, un étudiant d’Hiroshima ou un prisonnier de guerre ? Et pourquoi faisons-nous ce que nous nous faisons les uns aux autres ? Voilà la question 7. »

Des interrogations immenses vouées à demeurer en suspens, l’obligeant en fin de compte à soupirer « c’est la vie », l’auteur n’en manque à vrai dire pas. D’abord à propos de son père qui, libéré in extremis par la bombe atomique sur Hiroshima alors que, prisonnier des Japonais, il pensait mourir sur le chantier de la « Voie ferrée de la Mort » entre la Thaïlande et la Birmanie, n’évoquait jamais sa terrible captivité tout en en conservant la charge mentale pour le restant de ses jours. Comment vit-on quand on doit la vie à l’une des plus effroyables – et pourtant préméditée - catastrophes humaines qui soient ? Voilà une question 7 qui vaut autant pour son père que pour l’auteur lui-même, et qui nous fait remonter à ses côtés une enfilade de causes racines commençant par… un baiser !

Car, si l’écrivain H.G. Wells n’avait pas embrassé la journaliste Rebecca West en 1913, puis fui sa redoutable amante en Suisse l’année suivante, sans doute n’aurait-il jamais écrit ce roman méconnu, La Destruction libératrice, où il imaginait ce qui relevait alors de la pure science-fiction, mais qui, pris au pied de la lettre dans les années 1930 par le physicien hongrois-américain Leó Szilárd, devait devenir réalité : une bombe atomique capable de destructions massives sans précédent. L’exofiction se fait prétexte à une réflexion sur le poids de nos actes et sur les fantômes qui ne cessent de nous accompagner, comme si le temps ne coulait pas, mais retenait passé et vécu dans un perpétuel ressac obérant à jamais présent et futur.

Descendant d’Irlandais déportés en Australie, l’auteur évoque également à travers ses parents le refoulement des origines dans une Tasmanie bâtie, entre bannissement et colonisation, sur le génocide des aborigènes et sur l’enfer du bagne. Les spectres sont là encore légion à infléchir de tout leur poids la vie des Flanagan, mais aussi, dans une occultation transpirant le malaise, du pays tout entier. « Il y avait une grande souvenance qui était aussi un grand oubli, cent ans de silence qui, en y prêtant l’oreille, résonnaient comme un cri. » Familiale ou collective, la thématique de la mémoire investit de plus en plus le livre. « Le passé, c’est peut-être là où nous allons sans jamais y avoir été. » Et elle renvoie alors l’auteur à sa propre expérience avec la mort lors d’un accident de canoë : « L’expérience est l’affaire d’un instant. L’assimiler prend tout une vie. »
 
Après s’y être repris six fois en douze ans jusqu’à cette version aboutie, croisant expérience intime et regard éclairé sur le monde, Richard Flanagan partage une réflexion sur l’Histoire, la mémoire et ses traumatismes en tout point remarquable et passionnante. Une belle prouesse littéraire pour un grand coup de coeur. (5/5)
 

 

Citations : 

Je me demande parfois pourquoi on s’obstine à revenir aux commencements – en quête du fil unique capable de dérouler la tapisserie que nous appelons notre vie, dans l’espoir de trouver enfin en dessous la vérité du pourquoi. Mais il n’y a pas de vérité. Il n’y a que le pourquoi. Et quand on y regarde de plus près on découvre qu’en dessous de ce pourquoi il n’y a qu’une autre tapisserie. Et en dessous une autre et une autre encore, jusqu’à ce qu’on parvienne au néant.
 

À l’entrée de la mine, où naguère mon père et ses compagnons de bagne devaient passer par les baguettes entre deux rangées de gardes qui les frappaient à chaque pas, s’élevait à présent un love hotel. Aucun mémorial, aucune plaque, aucune preuve, en d’autres termes, que ce qui avait pu se produire naguère s’était vraiment produit. Juste des enseignes au néon. Juste un commerce opportuniste satisfaisant un besoin de sexe rapide dans de minuscules chambres qui autorisaient un soulagement sexuel et, sciemment, pas grand-chose d’autre. Il ne restait, ou plutôt il n’existait, que l’oubli procuré par le plaisir dans les bras d’autrui – cet oubli qui à la fois préfigure et nie la mort. À croire que le besoin d’oublier est aussi fort que celui de se souvenir. Plus fort peut-être.
Et après l’oubli ? On revient aux histoires qu’on appelle nos souvenirs, désemparés, étrangers à cette invention continuelle qu’est notre vie.
 

La bombe atomique a explosé au-dessus d’Hiroshima à 08 h 16 du matin. Le passé n’est jamais aussi nettement perçu que par ceux qui ne l’ont pas vécu.
 

Je repensai au grand-père de Kenji Y…, tout seul dans sa cabane de montagne rudimentaire, incapable de trouver les mots, comme j’étais incapable à présent de trouver les mots pour tenter d’exprimer tout ça. Le grand-père de Kenji avait évolué parmi des fantômes. Et peut-être, comme moi, devenait-il lui-même un fantôme avant même d’être mort, à force d’habiter un monde qui ne savait ni ne désirait savoir ce qui s’était passé. Quelque part s’étendait un monde réel où toutes choses écoulées continuaient d’exister. Mais ce monde n’était pas ici, et étrangement cela semblait à la fois un soulagement et une horreur. Rien de ce que je disais ne pouvait être entendu, rien de ce que je voyais ne pouvait être vu, et tous les deux, moi et le grand-père de Kenji Y…, nous étions voués à contempler le fond du temps, en sachant seulement que ce qui était arrivé continuait d’arriver et ne cesserait jamais d’arriver.
 

Peut-être que le seul pays capable d’inventer et de fabriquer une bombe opérationnelle en ce milieu du XXe siècle était le seul pays à même d’opérer une telle ponction sur son économie : les États-Unis d’Amérique. Au cours de la guerre, sous les auspices du très secret projet Manhattan, ils canalisèrent beaucoup de leurs ressources – un investissement équivalent au chiffre d’affaires de l’industrie automobile de l’époque, une main-d’œuvre de plus d’un demi-million de travailleurs et le génie de milliers de scientifiques – vers un unique atelier consacré à un but unique : la création de la bombe atomique.
 

Ce qui subsiste d’Hiroshima ce jour-là, ce ne sont que des questions.
Risquer plus de cadavres demain, cela justifie-t-il de risquer un peu moins de cadavres aujourd’hui ? Nous prétendons connaître les réponses à de telles questions. Nous prétendons savoir. Nous prétendons qu’il existe une algèbre morale de la guerre. Nous prétendons tant de choses. Mais à la guerre, même la simple arithmétique est impossible. Ces dernières décennies, nous sommes devenus prisonniers de l’idée que la vie est mesurable à l’infini, que toutes choses humaines, le désir et le besoin et la souffrance et le rire, que toute haine et tout amour peuvent se réduire à ce terme si contemporain de quantifiable. Qu’il existe, en d’autres termes, une réponse à toutes choses et qu’on la trouve dans les chiffres.
Mais le caractère fuyant de ces âmes sans nombre, de ces âmes inconnues parties en fumée par ce matin si bleu, défie tout calcul et ridiculise le quantifiable. Elles existent hors des chiffres.
 
 
Le génie de Tchekhov consistait à ne jamais prétendre offrir une réponse. D’Anna Karénine de Tolstoï, Tchekhov se bornait à dire qu’il posait les bonnes questions. Chacun d’entre nous a une vie publique et une vie privée. Mais au-delà des deux se trouve une vie secrète qui nous échappe. Peut-être que la seule réaction possible à Hiroshima est de poser la question 7. Même si c’est une question qui ne connaît pas de réponse, elle reste la seule question qu’il faut poser sans fin, ne serait-ce que pour comprendre que la vie n’est jamais binaire, ni réductible aux clichés ou aux codes, mais un mystère qu’au mieux nous devinons. Dans les nouvelles de Tchekhov, les seules dupes sont celles qui croient avoir la réponse.


L’expérience est l’affaire d’un instant. L’assimiler prend toute une vie.


Telle était sa version, et voilà ce qu’on apprit dans notre jeunesse. Seul, on sombrait, mais unis on pouvait survivre. Quand quelqu’un était à terre, il fallait l’aider, non par altruisme, mais par égoïsme éclairé : une garantie pour chacun et pour tous. Ce qui distinguait les forts, c’était aussi la condition de leur force : leur capacité à aider les faibles. La camaraderie n’était pas un code d’amitié. C’était un code de survie. Il impliquait d’aider ceux qui n’étaient pas des amis mais qui étaient des camarades. Il impliquait de se sacrifier pour le groupe. Est-ce que c’est une vision de bagnard ? Une vision d’aborigène ? Un mélange des deux ? En tout cas, ça n’est pas une idée européenne ou américaine. Ça n’en est pas moins une conception sérieuse et ancestrale de ce qu’est l’humanité. 


C’était une femme plus minuscule encore que Mate, au visage rond, aux yeux globuleux, toujours souriante, d’un sourire si immuable que tout le reste de son visage s’était peu à peu réorganisé tout autour de lui, comme une tente moisie et flasque qui pendouille sur ses piquets brisés.


Et quand, à l’autre bout de ma vie, je me retrouve une fois de plus assis au fond pour ces événements littéraires ou artistiques d’aujourd’hui qui ressemblent tant aux messes d’hier, ces vieux rituels en habits neufs, avec leur soumission servile aux orthodoxies nouvelles et leur mépris pour toute altérité que tant de gens trouvent rassurants, sans oublier les excommunications sommaires et les consensus pâmés que tant de gens trouvent nécessaires, mon esprit s’égare. Un monde d’orthodoxie sacro-sainte est un monde dans lequel le roman et le romancier n’ont pas leur place. Un écrivain, s’il fait correctement son travail, est toujours un hérétique.


De toutes les illusions nécessaires à un écrivain pour pouvoir écrire, deux sont primordiales : d’une part la conviction vaniteuse d’être capable de faire un bon livre, d’autre part la présomption qu’un bon livre sera lu par de bons lecteurs, assez éclairés pour reconnaître ce qu’il a de bon. Mais, évidemment, les bons lecteurs sont aussi rares que les bons écrivains, peut-être même plus rares, et la plupart des livres ne rencontrent donc que des lecteurs médiocres. Les écrivains fulminent contre les malentendus dont ils sont l’objet, mais les mauvais écrivains prospèrent sur ces malentendus, certains même se retrouvent admis par erreur au panthéon des grands auteurs, quand le vil métal de leurs œuvres est à jamais redoré par le vernis inespéré d’une lecture brillante. 
 
 
Car les souvenirs aussi font leur temps. Il y a un temps pour oublier et un temps pour se souvenir, et puis ce temps lui-même devient un souvenir, et enfin, avec le temps, plus rien du tout.


Pourtant les mots existent pour saisir le monde, et si chaque jour nouveau le monde leur échappe, chaque lendemain ils sont voués à reprendre leur danse folle : les mots voués à ancrer, le monde à s’envoler ; les mots à dire c’est comme ça, le monde à dire pas du tout. Ainsi va leur tango éternel, et l’écrivain n’est guère que la paire de chaussures qui glisse entre le danseur et la piste de danse.


Les mots d’un livre ne sont jamais le livre, tout ce qui compte c’est son âme.


Des années plus tard, je suis allé à Oxford étudier l’histoire, cette idée du temps qui s’est formée au cours de trois mille ans d’expérience humaine en Europe, et qui, ai-je constaté, s’appliquait parfaitement au temps européen, en s’arrêtant à toutes les gares du progrès européen, de la pensée européenne. C’était une voie ferrée rectiligne qui reflétait parfaitement une expérience devenue une idée, et une idée devenue expérience, et une expérience devenue la pensée européenne puis le roman européen.
Mais ça ne s’appliquait absolument pas à la Tasmanie.
En Tasmanie, l’histoire n’avait pas de prise, la réalité était tout autre : l’histoire échouait constamment, l’histoire resurgissait constamment non comme réponse ou comme réconfort, non comme récit de progrès, mais comme lieu de massacre, coupe claire ménagée au napalm, paroles de bagnards qui disaient l’indicible, créatures mythiques depuis longtemps éteintes qui ne cessaient de faire retour, de me hanter, de m’adresser une demande à laquelle toute ma vie j’ai tenté en vain de répondre. J’étais le fruit d’un génocide et d’une société esclavagiste, et jamais rien n’allait vraiment de l’avant et tout finissait par revenir, et bientôt moi aussi. Il n’y avait pas de voie droite de l’histoire. Il n’y avait qu’un cercle. Tout était finalement comme le décrivaient les anciens pétroglyphes : un cercle en rotation à l’intérieur d’autres cercles, cette grande idée du temps formulée en quarante mille ans d’expérience humaine sur cette île.


Ce n’est qu’à notre installation à Hobart que ma pathologie fut correctement diagnostiquée, et mon audition restaurée par une série d’opérations bénignes. Sans Rosebery, sans son médecin alcoolique dont l’incapacité à identifier mon mal avait entraîné des complications en chaîne, je n’aurais jamais connu cet étrange monde souterrain d’isolation et de souffrance où me plongea la surdité, quand je compris peu à peu que les gens me croyaient simple d’esprit.
Quand on découvre qu’on est une page écrite par d’autres, on apprend aussi à lire les autres. Mes problèmes d’audition m’avaient soustrait au monde de la parole – où aujourd’hui encore je trébuche sur les mots, je les écorche, et je simule et je panique et je passe par des crises de timidité aiguë – pour me conduire dans le monde de l’écrit où je trouvais confiance et joie. Sur la page je me reconnaissais, non pas unique mais multiple.


C’est peut-être ça, le passé. Quelque chose qu’on invente pour pouvoir aller de l’avant. Le passé, c’est peut-être là où nous allons sans jamais y avoir été. 


“Vous voyez bien, dit Einstein en offrant un thé glacé à son vieil ami et ancien étudiant Leo Szilard qui lui rendait visite après Hiroshima, que les vieux sages chinois avaient raison. Il n’est pas possible de prévoir les conséquences de ses actes. Le seul acte de sagesse consiste à ne pas agir – à ne jamais agir.”


Avant de mourir, il [Szilard] se contenta de dire qu’il avait fait de son mieux. Jamais il ne renonça. Jamais il ne cessa de chercher ce qu’il appelait la marge d’espoir, si étroite et fuyante qu’elle soit. Son échec ne rend pas ses efforts moins poignants. Sa vie demeure un exemple : celui d’un homme qui a toujours cru que la science s’inscrivait dans un réseau éthique. Qu’il fallait toujours confronter les avancées de la science à la réalité des humains et les subordonner à ce que nous sommes, sous peine de nous voir dévorés sinon détruits par elles.


Après Sanyo-Onoda, et la soirée du bar à hôtesses, je rentrai à Tokyo. J’y rencontrai un homme qui avait été ordonnance médicale de l’armée japonaise à Hintok, le camp de prisonniers du Chemin de fer de la mort où mon père avait été détenu. Il me décrivit son arrivée de nuit, au milieu des bûchers funéraires qui brûlaient les victimes du choléra. Autour des brasiers de bambou et de chair, il vit de misérables squelettes nus ramper dans la boue. C’étaient les prisonniers australiens. (…)
Ça ressemblait, dit-il à propos du camp, à un enfer bouddhiste.
Je lui demandai s’il leur avait porté secours.
Il me répondit que non.
Je lui demandai si, en tant que membre du personnel médical, il n’estimait pas de son devoir d’aider les malades et les souffrants.
“Il faut que vous compreniez, dit-il – et il le dit comme il aurait commenté la qualité de son thé vert –, qu’on ne voyait pas en eux des êtres humains.”
Le thé vert était servi dans de petites tasses. Il était dur à avaler.
 Il m’expliqua que les Australiens n’avaient pas une très bonne hygiène. Les Japonais prenaient des bains chauds. Pas les Australiens.
Cela semblait tout expliquer. Je ne répondis rien.
“Vous comprenez ?” demanda-t-il.


Et je me rends compte en écrivant ces lignes que le souvenir est tout autant une création qu’un témoignage, et que l’un sans l’autre est comme un arbre sans son tronc, des ailes sans leur oiseau, un livre sans son histoire.


La Guerre des mondes avait pour genèse la tentative de génocide des aborigènes tasmaniens. Dans un entretien accordé en 1920 au magazine Strand, Wells attribuait l’idée du livre à une remarque de son frère Frank, auquel il avait dédié le roman. Les deux hommes discutaient “de la découverte de la Tasmanie par les Européens – une catastrophe terrifiante pour les autochtones”. “Nous nous promenions, poursuivait Wells, dans un paysage du Surrey particulièrement paisible. « Imagine, dit mon frère, si des créatures venues d’une autre planète tombaient brusquement du ciel, et se mettaient à massacrer les gens d’ici ! »”


 

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