J'ai beaucoup aimé
Titre : Le syndrome de l'Orangerie
Auteur : Grégoire BOUILLIER
Parution : 2024 (Flammarion)
Pages : 432
Présentation de l'éditeur :
En se rendant au musée de l’Orangerie, voici que, devant Les Nymphéas de
Monet, l’auteur est pris d’une crise d’angoisse. Contre toute attente,
les Grands Panneaux déclenchent chez lui un vrai malaise. Sans doute
l’art doit-il autant à l’artiste qu’au « regardeur » – mais encore ?
Redevenant pour l’occasion le détective Bmore, Grégoire Bouillier décide
d’en avoir le cœur net. Les Nymphéas de Monet cacheraient-ils un sombre
secret ? Monet y aurait-il enterré quelque chose ou même quelqu’un ? Et
pourquoi des nymphéas, d’abord ? Pourquoi Monet peignit-il les fleurs
de son jardin jusqu’à l’obsession – au bas mot quatre cents fois pendant
trente ans ? Obsession pour obsession, commence alors une folle enquête
qui, entre botanique, vie amoureuse de Monet et inconscient de l’œuvre,
mènera Bmore de l’Orangerie à Giverny en passant par le Japon et même
par Auschwitz-Birkenau, pour tenter d’élucider son « syndrome de
l’Orangerie ». Lequel concerne plus de monde qu’on l’imagine. Lequel dit
qu’entre l’œil qui voit et la chose qui est vue, il y a un mystère qui
n’est pas seulement celui de la peinture.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Grégoire Bouillier est né en 1960. Il est l’auteur de Rapport sur moi (Allia, prix de Flore 2002), L’Invité mystère, Cap Canaveral (Allia 2004 2008) et du Dossier M, Livre 1 et 2
(Flammarion 2017 et 2018 prix Décembre), et du Coeur ne cède pas
(Flammarion, 2022, prix André Malraux et prix Honoré de Balzac), tous
très remarqués par la critique.
Avis :
Les livres-enquêtes de Grégoire Bouillier disent autant de lui que de son sujet. C’est d’autant plus flagrant lorsque, comme ici, il est question de rencontre artistique, autrement dit de la confrontation de deux inconscients, celui du « regardeur » et celui de l’oeuvre. Plus que jamais se dévoilent sous l’humour de l’auteur ses propres obsessions face à la vie et à la mort, alors qu'explorant la biographie de Monet, il se lance tous azimuts dans une auscultation très personnelle de sa peinture.
Troublé que, contrairement à tant d’autres visiteurs, le terme « morbide » soit le premier qui lui vienne à l’esprit devant l’ensemble mural des Nymphéas de Monet au musée de l’Orangerie, l’auteur s’interroge. Ne s’agit-il que de son humeur, où se cacherait-il dans le bassin des nymphéas quelque triste motif lui renvoyant en miroir ses propres dispositions ? Convoquant aussitôt son alter ego le détective Bmore, déjà à l’oeuvre dans Le coeur ne cède pas, voilà notre homme qui, faisant fi des protestations de Penny, l’assistante fictive qui, non sans cocasserie, lui sert dans cette histoire de Jiminy Cricket, s’immerge dans une nouvelle enquête de son cru.
Divaguant comme à son habitude – quoique de manière un peu plus contrôlée, son éditeur, plaisante-t-il, l’ayant enjoint à moins de bavardage délibéré – de digressions en associations d’idées reflétées avec humour par l’imbrication de ses phrases et de ses parenthèses, il enchevêtre les fils narratifs, explore les hypothèses les plus diverses, même farfelues, enfin fouille son sujet à la lumière de ses obsessions sans craindre de se perdre ou de se contredire parfois. « Je fais partie du livre », écrit-il, et il se met en scène dans ce récit qui est en même temps un voyage, un cheminement personnel et un questionnement aussi scrupuleux que subjectif. Ainsi, à la biographie de Monet, aux fantômes de la guerre, du fils aîné et de l’irremplaçable Camille, enfin aux affres du peintre perdant la vue, se mêlent des souvenirs personnels de l’auteur, le malaise persistant ramené d’une visite à Auschwitz-Birkenau, et tant d’autres expériences susceptibles d’avoir plus ou moins maille à partir avec ses sombres projections artistiques. D’une prétendue psychanalyse des tableaux de Monet à celle de l’écrivain, il n’y a qu’un pas…
Brillant, drôle, d’une dextérité formelle illustrant à merveille le propos, ce dernier ouvrage de Grégoire Bouillier s’avère ainsi au final, au travers du miroir aux reflets changeants tendu par le bassin des nymphéas de Monet, une formidable et fort originale entreprise d’introspection, en même temps qu’un hommage extrêmement personnel – au risque de parfois distancer le lecteur ? – à Monet, à sa peinture et à l’art en général.
« Ce qu’il faudrait, c’est accéder à sa propre voyance. C’est dépasser la légende qui se trouve sous le tableau comme la légende qui l’auréole au-dessus. Histoire de se doter d’un regard à soi, d’un regard neuf, d’un regard d’abord muet. » Mission parfaitement accomplie ! (4/5)
Troublé que, contrairement à tant d’autres visiteurs, le terme « morbide » soit le premier qui lui vienne à l’esprit devant l’ensemble mural des Nymphéas de Monet au musée de l’Orangerie, l’auteur s’interroge. Ne s’agit-il que de son humeur, où se cacherait-il dans le bassin des nymphéas quelque triste motif lui renvoyant en miroir ses propres dispositions ? Convoquant aussitôt son alter ego le détective Bmore, déjà à l’oeuvre dans Le coeur ne cède pas, voilà notre homme qui, faisant fi des protestations de Penny, l’assistante fictive qui, non sans cocasserie, lui sert dans cette histoire de Jiminy Cricket, s’immerge dans une nouvelle enquête de son cru.
Divaguant comme à son habitude – quoique de manière un peu plus contrôlée, son éditeur, plaisante-t-il, l’ayant enjoint à moins de bavardage délibéré – de digressions en associations d’idées reflétées avec humour par l’imbrication de ses phrases et de ses parenthèses, il enchevêtre les fils narratifs, explore les hypothèses les plus diverses, même farfelues, enfin fouille son sujet à la lumière de ses obsessions sans craindre de se perdre ou de se contredire parfois. « Je fais partie du livre », écrit-il, et il se met en scène dans ce récit qui est en même temps un voyage, un cheminement personnel et un questionnement aussi scrupuleux que subjectif. Ainsi, à la biographie de Monet, aux fantômes de la guerre, du fils aîné et de l’irremplaçable Camille, enfin aux affres du peintre perdant la vue, se mêlent des souvenirs personnels de l’auteur, le malaise persistant ramené d’une visite à Auschwitz-Birkenau, et tant d’autres expériences susceptibles d’avoir plus ou moins maille à partir avec ses sombres projections artistiques. D’une prétendue psychanalyse des tableaux de Monet à celle de l’écrivain, il n’y a qu’un pas…
Brillant, drôle, d’une dextérité formelle illustrant à merveille le propos, ce dernier ouvrage de Grégoire Bouillier s’avère ainsi au final, au travers du miroir aux reflets changeants tendu par le bassin des nymphéas de Monet, une formidable et fort originale entreprise d’introspection, en même temps qu’un hommage extrêmement personnel – au risque de parfois distancer le lecteur ? – à Monet, à sa peinture et à l’art en général.
« Ce qu’il faudrait, c’est accéder à sa propre voyance. C’est dépasser la légende qui se trouve sous le tableau comme la légende qui l’auréole au-dessus. Histoire de se doter d’un regard à soi, d’un regard neuf, d’un regard d’abord muet. » Mission parfaitement accomplie ! (4/5)
Citations :
Personne n’est maître de son inconscient, surtout lorsqu’il rencontre l’inconscient d’une œuvre d’art. On oublie que si on regarde un tableau, le tableau nous regarde d’abord. Il nous regarde même mieux que nous le voyons. Car c’est lui qui plonge d’abord son regard dans le nôtre.
« Dans le combat entre toi et le monde, soutiens le monde », écrit aussi Kafka, cette fois au beau milieu de la guerre, le 8 décembre 1917. Soutenir le monde contre sa propre malfaisance. Tout est dit ! C’est lorsque le bien comprend qu’il ne viendra pas à bout du mal qu’il devient lui-même le mal absolu. Devient fanatique !
Pour autant, Monet ne se prit jamais lui-même en photo (à l’époque, on laissait à d’autres le soin de vous photographier ; à l’époque, l’autre n’était pas soi et soi n’était pas un autre qu’on s’inventait pour la galerie).
Parvenu à ce point de perception suprasensible des Nymphéas, mon malaise de l’Orangerie ne m’apparaît définitivement plus usurpé. D’ailleurs, je vais le baptiser « syndrome de l’Orangerie ». En toute modestie. En miroir du syndrome de Florence de Stendhal. Car l’angoisse peut, autant que le beau et peut-être davantage, donner le sentiment du sublime. Provoquer en nous des troubles magnifiquement psychiatriques.
Pourquoi des nymphéas ? Pourquoi peindre, trente années durant, les mêmes fleurs d’eau de son jardin, fût-ce sous des angles différents et au gré de lumières sans cesse changeantes ? Pourquoi en avoir fait son sujet de prédilection ? Son leitmotiv, sa fleur fétiche, son objet transitionnel ? Le sujet central de son œuvre et de sa vie de peintre ? Pourquoi en avoir fait un sujet ? Il n’y a que moi que cela intrigue ?
Une bibliothèque dit beaucoup de son propriétaire. On voit ce qu’il aime, ce qui l’intéresse, à quoi il rêve, ses goûts et ses secrets, sa quête. On voit son intériorité. (Ce pourquoi les maisons sans livres n’ont pas d’âme.)
« Chez Monet, la mort apparaît toujours placée dans une lumière spéciale. C’est la mort fardée des couleurs de la vie. »
Toute la réalité se trouvait incroyablement inversée. Absolument dédoublée. C’était fascinant. Il fallait venir ici pour se rendre compte que le bassin aux nymphéas était un miroir, à la fois immense et parfait. À l’eau, il substituait l’air. Il transformait, en le retournant comme un gant, l’incommensurable en commensurable. Il faisait descendre le ciel sur la Terre, jusqu’à devenir lui-même le ciel, le Très-Haut. Si, pour les catholiques, les âmes montaient au ciel, elles descendaient ici tout en bas, dans le Très-Eau.
Andy Warhol, qui s’y connaissait ô combien en séries, a livré un autre secret de l’art sériel : « Plus on regarde exactement la même chose, écrit-il, plus elle perd tout son sens, et plus on se sent bien, avec la tête vide. » La répétition est un baume. Elle est thérapeutique. Contre l’angoisse, elle crée une hypnose. Elle vide les choses de leur substance. Elle vide le regard. Elle vide la tête. Elle fait le vide dont elle fait un plein qui sature l’espace. Elle crée l’illusion de la multitude alors qu’il n’y a plus personne. Elle soulage de la souffrance. Elle permet l’oubli.
(…) sans l’illusion de croire qu’il peignait des effets de lumière, sans son propre blabla, Churchill n’aurait jamais réussi à peindre sa détresse. Impossible. La détresse ne s’affronte pas en face. Elle n’est pas visible car elle est partout et nulle part, elle est une onde sans fin, elle est infiniment insaisissable.
(Demandez à un croyant : que l’on touche à sa foi (à son pansement) et il se met à hurler, il peut même prendre les armes et vous égorger. Comme quoi, le pansement n’est pas la guérison.) (Le véritable problème n’est pas le pansement mais la plaie.)
S’il y a une vie après la mort, elle est dans les livres, elle est dans la peinture, elle est dans les arts. Nulle part ailleurs.
Que disait déjà Edgar Poe : « L’art consiste à exagérer des choses fausses afin d’en dissimuler de vraies. »
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