Coup de coeur 💓
Titre : Impossibles adieux
(Jagbyeolhaji anhneunda)
Auteur : Han KANG
Traduction : Kyungran CHOI et Pierre BISIOU
Parution : en coréen en 2021,
en français en 2023 (Grasset)
Pages : 336
Présentation de l'éditeur :
Comme un long songe d’hiver, ce nouveau roman de Han Kang nous fait
voyager entre la Corée du Sud contemporaine et sa douloureuse histoire.
Un matin de décembre, Gyeongha reçoit un message de son amie Inseon. Celle-ci lui annonce qu’elle est hospitalisée à Séoul et lui demande de la rejoindre sans attendre. Les deux femmes ne se sont pas vues depuis plus d’un an, lorsqu’elles avaient passé quelques jours ensemble sur l’île de Jeju. C’est là que réside Inseon et que, l’avant-veille de ces retrouvailles, elle s’est sectionné deux doigts en coupant du bois. Une voisine et son fils l’ont trouvée évanouie chez elle, ils ont organisé son rapatriement sur le continent pour qu’elle puisse être opérée de toute urgence. L’intervention s’est bien passée, son index et son majeur ont pu être recousus, mais le perroquet blanc d’Inseon n’a pas fait le voyage avec elle et risque de mourir si personne ne le nourrit d’ici la fin de journée. Alitée, elle demande donc à Gyeongha de lui rendre un immense service en prenant le premier avion à destination de Jeju afin de sauver l’animal.
Malheureusement, une tempête de neige s’abat sur l’île à l’arrivée de Gyeongha. Elle doit à tout prix rejoindre la maison de son amie mais le vent glacé et les bourrasques de neige la ralentissent au moment où la nuit se met à tomber. Elle se demande si elle arrivera à temps pour sauver l’oiseau d’Inseon, si elle parviendra même à survivre au froid terrible qui l’enveloppe un peu plus à chacun de ses pas. Elle ne se doute pas encore qu’un cauchemar bien pire l’attend chez son amie. Compilée de manière minutieuse, l’histoire de la famille d’Inseon a envahi la bâtisse qu’elle tente de rejoindre, des archives réunies par centaines pour documenter l’un des pires massacres que la Corée ait connu – 30 000 civils assassinés entre novembre 1948 et début 1949, parce que communistes.
Impossibles adieux est un hymne à l’amitié, un éloge à l’imaginaire, et surtout un puissant réquisitoire contre l’oubli. Ces pages de toute beauté forment bien plus qu’un roman, elles font éclater au grand jour une mémoire traumatique enfouie depuis des décennies.
Un matin de décembre, Gyeongha reçoit un message de son amie Inseon. Celle-ci lui annonce qu’elle est hospitalisée à Séoul et lui demande de la rejoindre sans attendre. Les deux femmes ne se sont pas vues depuis plus d’un an, lorsqu’elles avaient passé quelques jours ensemble sur l’île de Jeju. C’est là que réside Inseon et que, l’avant-veille de ces retrouvailles, elle s’est sectionné deux doigts en coupant du bois. Une voisine et son fils l’ont trouvée évanouie chez elle, ils ont organisé son rapatriement sur le continent pour qu’elle puisse être opérée de toute urgence. L’intervention s’est bien passée, son index et son majeur ont pu être recousus, mais le perroquet blanc d’Inseon n’a pas fait le voyage avec elle et risque de mourir si personne ne le nourrit d’ici la fin de journée. Alitée, elle demande donc à Gyeongha de lui rendre un immense service en prenant le premier avion à destination de Jeju afin de sauver l’animal.
Malheureusement, une tempête de neige s’abat sur l’île à l’arrivée de Gyeongha. Elle doit à tout prix rejoindre la maison de son amie mais le vent glacé et les bourrasques de neige la ralentissent au moment où la nuit se met à tomber. Elle se demande si elle arrivera à temps pour sauver l’oiseau d’Inseon, si elle parviendra même à survivre au froid terrible qui l’enveloppe un peu plus à chacun de ses pas. Elle ne se doute pas encore qu’un cauchemar bien pire l’attend chez son amie. Compilée de manière minutieuse, l’histoire de la famille d’Inseon a envahi la bâtisse qu’elle tente de rejoindre, des archives réunies par centaines pour documenter l’un des pires massacres que la Corée ait connu – 30 000 civils assassinés entre novembre 1948 et début 1949, parce que communistes.
Impossibles adieux est un hymne à l’amitié, un éloge à l’imaginaire, et surtout un puissant réquisitoire contre l’oubli. Ces pages de toute beauté forment bien plus qu’un roman, elles font éclater au grand jour une mémoire traumatique enfouie depuis des décennies.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Née en 1970 à Gwangju, Han Kang a étudié la littérature à l’université
de Yonsei, à Séoul. Elle débute sa carrière littéraire comme poétesse
puis publie son premier roman à l’âge de 24 ans. C’est en 2016 que le
monde entier découvre son œuvre, lorsqu’elle remporte le très
prestigieux Booker Prize pour La Végétarienne. Elle est
aujourd’hui considérée comme la plus grande autrice coréenne, la
parution de chacun de ses livres constitue un événement dans son pays et
à l’international.
Avis :
La Coréenne Han Kang a choisi l’onirisme pour évoquer, entre songe et réalité, un épisode sanglant, longtemps resté tabou, de l’histoire de son pays.Lorsque, en pleine guerre froide en 1948, une insurrection déclenchée par des violences policières enflamme l’île de Jeju, à une centaine de kilomètres de la côte coréenne, les Américains encore pour peu de temps au pouvoir à Séoul n’y vont pas par quatre chemins. Persuadés d’avoir affaire à un bastion communiste, ils lancent une répression terrible. En moins d’un an, 30 000 civils sont massacrés – un îlien sur dix – et, pendant que plus encore s’enfuient vers le Japon, des dizaines de milliers d’autres se retrouvent arbitrairement emprisonnés et torturés. L’île dont des villages entiers ont été rayés de la carte, reste totalement bouclée jusqu’en 1954, des décennies de discrimination attendant les descendants des victimes. Il faudra attendre 2014 pour que les faits soient officiellement reconnus et que, quelques années plus tard, commence la réhabilitation des familles traumatisées. Désormais, le 3 avril est jour de commémoration en Corée du Sud. Est enfin venu le temps d’apaiser ces ombres que l’Histoire a d’autant plus aisément prétendu effacer que devait suivre, dès 1950, l’hécatombe plus grande encore de la guerre de Corée.
C’est ainsi qu’après avoir longtemps attribué ses cauchemars récurrents à son livre sur des massacres commis sur le continent pendant la guerre, la narratrice Gyeonghu va devoir passer par un étrange parcours initiatique aux allures de conte fantastique pour réaliser son erreur. Ex-journaliste devenue romancière à Séoul, elle peine à repousser ses idées noires depuis sa rupture familiale, lorsqu’un SMS vient chambouler ses préoccupations. Hospitalisée en urgence à Séoul, son amie Inseon, photographe et documentariste reconvertie ébéniste depuis son retour à Jeju, lui demande de se rendre chez elle toute affaire cessante pour y nourrir son perroquet. Le voyage sous une tempête de neige qui paralyse bientôt le pays se mue en véritable épreuve, nature et éléments semblant s’être ligués pour contrecarrer sa route. Au terme d’un parcours périlleux et semé d’embûches l’attend une maison isolée, sans eau ni électricité, plombée de silence par la neige et la nuit obscure. « Une maison où toute la nuit un arbre s’avance en agitant ses longs bras. Une maison avec d’un côté une rivière à sec, tandis que de l’autre côté se trouve un village brûlé de suppliciés. »
Là, dans cet espace comme sorti du temps et du monde ordinaire, en un état de transe favorisé par la lumière étroite et vacillante d’une bougie qui anime d’immenses ombres sur les murs en laissant croire à la présence fantomatique d’Inseon, Gyeonghu découvre avec stupeur, patiemment rassemblées, d’abord par la mère de son amie, puis par Inseon elle-même, les terribles archives du drame vécu en ces lieux depuis trois quarts de siècle. Dans un mélange de visions, d’images et de songes, l’ombre d’Inseon raconte l’histoire de sa mère depuis ce jour terrible de 1948 où, enfants cherchant désespérément leurs parents, elle et sa sœur se sont retrouvées à dégager de la neige, visage après visage, les cadavres de leur village martyr. Cette mère qu’adolescente et rêvant d’une autre vie à la capitale, Inseon a si longtemps méprisée, devait s’avérer une infatigable combattante de la vérité, acharnée pendant des décennies à retrouver son frère disparu.
Tandis que le lecteur progresse entre neige et brouillard laissant entrevoir, comme d’obsédants symboles fantomatiques, les silhouettes raidies et torturées des troncs noirs de la forêt, le récit se dévoile une puissante métaphore du travail et des souffrances de la mémoire privée de vérité. Hantés par ce passé traumatique passé sous silence, les vivants ont besoin de savoir ce qu’il est advenu de leurs morts pour enfin s’autoriser à vivre, à tout le moins envisager un début d’apaisement. Alors que depuis quelques années, le gouvernement de Corée du Sud a commencé à reconnaître la déformation historique et la dissimulation de la vérité sur les massacres de civils, cette œuvre littéraire tout en délicatesse et subtilité vient elle aussi rendre compte, en un poignant hommage, des blessures profondes infligées aux victimes et aux familles. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
La rue est vide. Aucune circulation sur la deux-voies. Rien ne bouge sinon la neige qui tombe mollement. Un feu rouge s’allume dans le vide, couvert de flocons. Le bus stoppe devant le passage piéton. Chaque flocon qui se pose sur l’asphalte semble hésiter un instant. Oui… bien sûr… Comme le lamento de quelqu’un qui aurait l’habitude de terminer ainsi ses conversations, comme une musique qui approche de son terme et du silence, comme l’extrémité des doigts qui se baissent au lieu de se poser sur l’épaule d’une personne, les flocons entrent en contact avec l’asphalte noir et humide, où ils s’évanouissent sans laisser de trace.
Inseon se lève et son ombre s’étend jusqu’au plafond. Selon ses mouvements, tandis qu’elle range les livres dans la boîte et referme le couvercle, son ombre prospère ou se réduit.
« Si nous passions dans la chambre ? »
Je ne réponds pas, sa question était rhétorique.
Comment faire avec la bougie ?
Inseon va vers l’évier et revient avec un gobelet en carton dans une main, et une paire de ciseaux dans l’autre. Dans le fond du gobelet, elle perce une croix afin d’y faire un trou. Elle détache la bougie de la table et l’enfonce dans le gobelet. À travers le carton pâle, la lumière est plus douce.
« Viens. »
Je ne bouge pas.
« Je voudrais que nous regardions quelque chose ensemble. »
L’ombre d’Inseon, de presque deux fois sa taille, s’approche de moi en dansant sur le papier peint blanc du plafond.
Si je repousse ma chaise et que je me lève, c’est pour arrêter cette ombre. Pour empêcher qu’elle ne se répande comme de l’encre renversée, et n’avale la mienne.
Inseon me précède avec la bougie. Nos corps ne se touchent pas mais nos ombres flottent sur les murs comme deux géants siamois liés par leurs épaules.
Inseon entre dans la chambre. (…) Avant d’y entrer à mon tour, je regarde derrière nous. Le salon et la cuisine, obscurs, abandonnés par la bougie, forment une mer sombre. Quand je fais un pas dans la chambre éclairée par le clair-obscur de la bougie, j’ai l’impression de pénétrer dans une bulle d’air subsistant dans la cale d’un navire naufragé. De l’épaule, je referme la porte, comme pour empêcher l’eau d’envahir notre refuge.
Je regarde les ténèbres au-dehors. Comme le silence sous la mer. Si j’ouvrais la fenêtre, des torrents d’eau noire s’abattraient sur moi.
Après la constitution du gouvernement, en 1948, la ligue Bodo avait été formée en regroupant des gens classés à gauche pour, soi-disant, les réformer et les convertir. Il suffisait qu’un membre de la famille ait assisté à un rassemblement politique progressiste pour que tous soient enrôlés dans la ligue. S’y trouvaient aussi des gens dont les noms avaient été arbitrairement donnés par les chefs de villages, pour atteindre les quotas du gouvernement, et bien d’autres qui s’y inscrivaient volontairement en échange de riz ou d’engrais. Certains étaient incorporés avec femme et enfants et aïeux. Quand la guerre a éclaté, à l’été 1950, ils ont tous été arrêtés en suivant les listes, et fusillés. Entre deux cent et trois cent mille victimes auraient été enterrées dans le plus grand secret, partout dans le pays.
C’est là que j’ai compris. Quelle terrible douleur est l’amour.
Ce n’est pas une suite de hasards si trente mille personnes ont été massacrées sur cette île cet hiver-là, et deux cent mille sur le continent l’été suivant. Il y avait un ordre du gouvernement militaire américain, il fallait empêcher le communisme de gagner du terrain, fût-ce en assassinant trente mille habitants de l’île ; les jeunes extrémistes de droite issus du nord, pleins de certitudes et de rancunes, sont arrivés sur l’île ; forts d’une formation de deux semaines ils portaient des uniformes de la police et de l’armée ; les accès à l’île ont été fermés ; la presse était sous contrôle ; une folie comme pointer une arme sur la tête d’un nourrisson était autorisée, pire, récompensée ; mille cinq cents enfants de moins de dix ans ont été tués de cette façon ; avant même que le sang versé sur l’île ait coagulé, la guerre a éclaté et, suivant le modèle élaboré sur cette île, deux cent mille personnes, triées dans chaque ville et village, ont été déportées par camions entiers, emprisonnées, fusillées et enterrées en secret, avec interdiction aux familles de réclamer les dépouilles. Parce que la guerre n’avait pas pris fin, parce que ce n’était qu’un armistice. Parce qu’il y avait d’autres ennemis de l’autre côté de la frontière. Les familles des victimes ont été marquées au fer rouge par la douleur, et ceux qui auraient voulu parler se sont tus en sachant ce qui leur arriverait s’ils parlaient. Il a fallu des décennies avant que ne soient exhumés des crânes perforés et leurs balles, dans les vallées, dans les mines ou sous le tarmac d’un aéroport. Et il reste toujours des ossements, partout, disséminés, enterrés.
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