mercredi 21 février 2024

[Almendros, Vincent] Sous la menace

 

 

 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Sous la menace

Auteur : Vincent ALMENDROS

Parution : 2024 (Minuit)

Pages : 144

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Ma voix avait changé. À présent, des poils duveteux dessinaient, sous mon nez, les prémices d’une moustache. Mes épaules s’étaient élargies et de rebutants boutons d’acné gravelaient mon front et mes joues. Au collège Irène-Joliot-Curie, on se moquait de moi.
Du reste, à cause de ce qui s’était passé, au début de la semaine, dans le vestiaire du gymnase, ma mère ne me supportait plus. Elle m’avait prévenu. Elle m’aurait à l’œil, durant le week-end chez mes grands-parents.
Honnêtement, je comprenais qu’elle se méfie de moi. Car elle et mes camarades avaient raison. Avec l’arrivée de la puberté, j’étais en train de devenir un monstre.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Vincent Almendros est né à Avignon en 1978. Il a fait des études à la faculté d'Avignon.
Bibliographie :
* Ma chère Lise, roman (Minuit, 2011)
* Un été, roman (Minuit, 2015, prix Françoise Sagan et "double" n° 108, 2018)
* Faire mouche, roman (Minuit, 2018 et "double", 2021)
* Sous la menace, roman (Minuit, 2024)

 

 

Avis :

Quand aux affres de l’adolescence vient soudain s’ajouter la révélation fortuite d’un secret de famille, le roman d’Olivier Almendros en laisse alors deviner un autre entre les lignes.

Quentin a quatorze ans. Avec sa mère et sa jeune cousine Chloé, il se rend chez ses grands-parents pour le week-end. Finalement, ils ne feront pas le crochet habituel pour rendre visite au père du garçon, dont le lecteur est encore très loin d’imaginer où il se trouve. Pour l’heure, l’ambiance est lourde dans la voiture. C’est que Quentin risque l’exclusion de son collège pour s’être battu avec un camarade de classe qui raillait sa récente mutation en monstre acnéique, envahi d’une nouvelle pilosité et en dérapage continu côté cordes vocales. Entre l’adolescent mal dans sa peau et la mère prise de défiance, l’incompréhension a pris toute la place. Alors la grand-mère a beau les accueillir de son efficacité chaleureuse et le grand-père du fond de sa mémoire perdue, rien ne semble près de soulager la tension qui, entre conflit et ennui, tient ce petit monde clos sous sa menace.

Dans cette atmosphère de cocotte-minute qui installe d’emblée l’inquiétude chez le lecteur, il ne va en définitive pas se passer grand chose, si ce n’est que ce pas grand-chose va chasser Quentin encore un peu plus loin de l’enfance. Distillés au fil d’une observation fine et réaliste, ce sont mille détails qui, parfois au détour d’un simple mot, viennent trahir la métamorphose en cours, malgré lui, du garçon. Même Chloé, pour sa part enchantée de la vieille cabane dans les arbres et des cabrioles dans la piscine, mais déstabilisée par le climat de tension érotique né entre eux, ressent le malaise sans se l’expliquer. La pauvre est à cent lieues de se douter qu’elle détient la clé d’un secret de famille et qu’une toute petite phrase innocemment répétée viendra soudain ouvrir en brèche les fissures qui commençaient à lézarder l'enfance de son cousin.

Tout l’art d’Olivier Almendros tient en une densité lexicale si soigneusement travaillée que, comme dans un jeu de piste, les mots deviennent indices d’une profondeur cachée, parfois même de véritables chausse-trappes ouvrant sur le vertige d’une autre histoire, franchement tragique celle-là. Escamotée avec les meilleures intentions du monde, elle n’en finit pas de distordre les relations entre les personnages, les murant toujours plus avant dans le ciment du malentendu et de l’incompréhension pour resurgir à l’improviste et les manipuler à leur insu. Ainsi la plus banale réalité quotidienne peut-elle masquer de bien terribles abysses…

Sous le réalisme faussement simple d’une intrigue des plus ténues, Olivier Almendros joue en virtuose entre les lignes pour nous livrer deux histoires en une, celle qu’enfants, nous prenons avec confiance pour la réalité, et celle qu’à l’adolescence, nous découvrons avec des yeux nouvellement dessillés. Un livre tout en subtilité. (4/5)

 

 

Citation :

Entaillée de coupures roses faites délicatement dans la chair avec la lame d'un couteau, sa peau grise et blanche luisait d'huile. Sa bouche, entrouverte sur de fines dents acérées, donnait l'impression qu'il essayait de dire quelque chose et son œil, d'un noir profond et cerclé de nacre, avait l'air de me regarder.
Allez, sois gentil, me dit ma grand-mère, va porter ça dehors à ton grand-père.
Je pris le plat qu'elle me tendait, à l'intérieur duquel le gros poisson fuselé était étendu sur le flanc, puis sortis par la véranda.


 

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