J'ai beaucoup aimé
Titre : Grise Fiord
Auteur : Gilles STASSART
Parution : 2019 (Rouergue)
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
Lorsqu’il sort du centre pénitentiaire d’Iqaluit, au nord du Nunavut,
Guédalia retrouve ses démons familiers, l’alcool et la défonce, mais
aussi les fantômes de ses aïeux, implantés de force par l’État canadien
sur les terres hostiles de Grise Fiord. À Amarok, communauté de mille
cinq cents âmes que l’été venu un réseau de chemins caillouteux peine à
relier au monde, il travaille au magasin coopératif, y menant en
parallèle de petits trafics. Alors que son frère aîné se bat pour les
droits des autochtones, lui a tout perdu de l’ambition qui l’a mené
jusqu’à Montréal où il n’a jamais terminé ses études. Des légendes que
lui racontait son père n’émanent plus que des ombres sans force, rien
qui puisse le retenir sur cette pente mauvaise. Peut-être Dalia, la
vieille chamane venue du Groenland qui fréquente régulièrement le
magasin, pourrait-elle l’avertir du destin qui menace. Bientôt, la seule
solution qui s’offrira à lui sera de remettre son pas dans celui des
anciens chasseurs, pour fuir la tragédie qu’il aura lui-même provoquée.
Avec ce grand roman du peuple des glaces où l’homme et le chien défient l’ours, l’orque et le béluga, Gilles Stassart ranime l’esprit du loup noir, Amarok le bien nommé, qui veille à la survie des Inuits. Guédalia, l’homme qui a goûté à la culture des Blancs et traverse l’Arctique comme une conscience perdue, saura-t-il trouver son chemin dans les périls de la mer gelée?
Avec ce grand roman du peuple des glaces où l’homme et le chien défient l’ours, l’orque et le béluga, Gilles Stassart ranime l’esprit du loup noir, Amarok le bien nommé, qui veille à la survie des Inuits. Guédalia, l’homme qui a goûté à la culture des Blancs et traverse l’Arctique comme une conscience perdue, saura-t-il trouver son chemin dans les périls de la mer gelée?
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Écrivain et chroniqueur, Gilles Stassart s’est occupé des pages Goûts de
Beaux-Arts Magazine avant de diriger le restaurant conceptuel
Transversal au Mac/Val puis d’être le chef du restaurant Nomiya au
palais de Tokyo. Il a publié plusieurs ouvrages sur l’alimentation et la
photographie, notamment chez Autrement jeunesse.
A Amarok, petite ville perdue du Nunavut, le territoire le plus septentrional du Canada, Guédalia est l’un des ces Inuits qui, depuis l'occidentalisation forcée de leur peuple, sombrent dans l’alcool et la drogue. Après l’arrêt de ses études et la prison, rien ne semble pouvoir enrayer la descente aux enfers du jeune homme. A moins qu'avec l'aide de la vieille Chamane Dalia, il ne retrouve la paix en renouant avec la tradition et en se lançant sur les traces des anciens chasseurs nomades de l’Arctique…
Aborigènes d’Australie, Evenks de Sibérie, Samis de Laponie, tribus amérindiennes bien sûr, mais tant d’autres encore : la main-mise « occidentale » a produit partout les mêmes désastres, imposant la substitution de son mode de vie consumériste aux autres types de relation au monde. Chaque fois, la conséquence est la déliquescence de ces peuples anciens, amenés à la détestation d’eux-mêmes par l’humiliation de leur destruction et par la perte de leur repères identitaires. Alcoolisme, toxicomanie, délinquance et taux record de suicide : le Nunavut n’échappe pas à la malédiction apportée par les blancs.
L’histoire de Guédalia est l’occasion de découvrir le sort de ces familles inuites, déportées à Grise Fiord en 1953 par le gouvernement canadien préoccupé de sa souveraineté en Haut-Arctique en pleine guerre froide. Une souveraineté aujourd’hui toujours hautement stratégique, puisque cette zone inhabitée, loin au nord du cercle polaire, regorge de ressources minières et pétrolières, et, surtout, donne sur le futur passage que le réchauffement climatique et la fonte de la banquise promettent d’ouvrir entre l’Asie et l’Europe, par le nord de l’Amérique. Face à ces enjeux, l’acculturation du peuple inuit passe aisément et majoritairement pour un dommage collatéral.
Perdu dans l’univers des blancs, Guédalia tente bien de renouer avec l’esprit de son peuple. Mais lui qui s’est frotté au monde occidental doit réapprendre tout ce qui fondait la vie de ses ancêtres. Sa fuite vers le passé prend vite les dimensions d’une aventure de tous les dangers, vers ce qui pourrait bien ne plus être qu’un mirage inaccessible. S’il ne trouve pas sa place au sein des villes canadiennes, il n’est pas plus adapté à ce qu'il reste de vie libre et sauvage dans les étendues arctiques. A concilier les contraires, l’on finit par n’être plus rien, avalé par le néant.
En nous racontant l’agonie du peuple et de la culture inuits sous la pression de notre monde consumériste, c’est notre appauvrissement général, par le pillage des ressources naturelles, la destruction de la vie sauvage et l’uniformisation des modes de vie que ce livre pointe du doigt. Un récit mélancolique, où la débâcle de la banquise, si singulièrement consécutive à celle des peuples qui avaient su l’habiter et la respecter, semble emporter dans ses eaux tout ce que l’humanité entière continue allégrement à détruire. (4/5)
Avis :
Aborigènes d’Australie, Evenks de Sibérie, Samis de Laponie, tribus amérindiennes bien sûr, mais tant d’autres encore : la main-mise « occidentale » a produit partout les mêmes désastres, imposant la substitution de son mode de vie consumériste aux autres types de relation au monde. Chaque fois, la conséquence est la déliquescence de ces peuples anciens, amenés à la détestation d’eux-mêmes par l’humiliation de leur destruction et par la perte de leur repères identitaires. Alcoolisme, toxicomanie, délinquance et taux record de suicide : le Nunavut n’échappe pas à la malédiction apportée par les blancs.
L’histoire de Guédalia est l’occasion de découvrir le sort de ces familles inuites, déportées à Grise Fiord en 1953 par le gouvernement canadien préoccupé de sa souveraineté en Haut-Arctique en pleine guerre froide. Une souveraineté aujourd’hui toujours hautement stratégique, puisque cette zone inhabitée, loin au nord du cercle polaire, regorge de ressources minières et pétrolières, et, surtout, donne sur le futur passage que le réchauffement climatique et la fonte de la banquise promettent d’ouvrir entre l’Asie et l’Europe, par le nord de l’Amérique. Face à ces enjeux, l’acculturation du peuple inuit passe aisément et majoritairement pour un dommage collatéral.
Perdu dans l’univers des blancs, Guédalia tente bien de renouer avec l’esprit de son peuple. Mais lui qui s’est frotté au monde occidental doit réapprendre tout ce qui fondait la vie de ses ancêtres. Sa fuite vers le passé prend vite les dimensions d’une aventure de tous les dangers, vers ce qui pourrait bien ne plus être qu’un mirage inaccessible. S’il ne trouve pas sa place au sein des villes canadiennes, il n’est pas plus adapté à ce qu'il reste de vie libre et sauvage dans les étendues arctiques. A concilier les contraires, l’on finit par n’être plus rien, avalé par le néant.
En nous racontant l’agonie du peuple et de la culture inuits sous la pression de notre monde consumériste, c’est notre appauvrissement général, par le pillage des ressources naturelles, la destruction de la vie sauvage et l’uniformisation des modes de vie que ce livre pointe du doigt. Un récit mélancolique, où la débâcle de la banquise, si singulièrement consécutive à celle des peuples qui avaient su l’habiter et la respecter, semble emporter dans ses eaux tout ce que l’humanité entière continue allégrement à détruire. (4/5)
Citations :
En 1953, il y a peu finalement, en pleine guerre froide, une guerre de Blancs, qui s’étendait et frappait par capillarité les hommes de couleur. Une guerre qui allait nous faire connaître à nous ce que c’est que le froid : cynisme de cette guerre. Truman avait voulu installer des missiles sur nos terres. Mais le gouvernement d’Ottawa, soucieux de son indépendance, refusa cette protection qu’il estimait être une annexion. Dominer sans être sous domination. Et nous ? Comment pouvions-nous regarder et comprendre ce marché ? On nous a déportés, pour marquer la souveraineté canadienne au pôle, au nord. Des hommes pour remplacer les missiles. Un jeu, des pions, un petit drapeau collé sur un cure-dent et fiché sur une carte, au sommet arrondi de la planète où tous sont si proches. Le gouvernement nous a déportés là où nul d’entre nous n’avait jamais eu l’idée de vivre : au nord du Nord, bien au-delà de la limite du cercle arctique. Que peut bien être un chez-soi lorsqu’on est nomades, mis à part le monde ? Quel est le chez-soi d’une grande oie des neiges parcourant au vent 15 000 km pour se rendre dans ses quartiers d’été ? La propriété, la possession, est un poison comme l’alcool, inconnu de nous autres, dont la survie repose nécessairement sur la cohésion du groupe. Tout est à tous. La répartition, le partage des ressources et des espaces avec les autres espèces, celui des femmes et des hommes entre les femmes et les hommes, sont la clef. Les codes d’une loi tutélaire nous interdisent de revendiquer la propriété d’un lieu, d’étendre un pouvoir politique sur une zone de chasse. Nous passons sans nous arrêter, sans posséder, sans menacer les autres espèces, nous prélevons davantage que nous ne chassons, en respectant, en préservant la vie et la génération de ces animaux qui nous constituent. Nous ne possédons que nos vêtements, nos armes, nos traîneaux… Ironie du nord, que de nous déporter nous autres nomades, pour revendiquer le droit au sol de ce nouveau monde. Des familles inuites du Nord-du-Québec, porte-étendards de la nation canadienne. Tu seras chez toi et ce sera chez moi. Quelle idée stupide, quelle idée géniale. On nous a dit qu’on aurait des maisons, du gibier et, qu’au bout d’une année, on serait rentrés. Mais rien. Pas de maison, pas de faune connue, pas de retour. La nuit infinie de l’hiver et le jour infini de l’été. Une poignée de naïfs en provenance d’Inukjuak, des égarés dans un environnement inconnu, loin du caribou, du bœuf musqué et des espèces avec qui nous partagions habituellement le monde. Un point arbitraire, stratégique, un doigt posé sur une carte géopolitique. Les mots meurtriers d’un Premier ministre à la Chambre des communes et l’arrachement. Nourrir un jeu de dupes et contenir l’URSS, immense et menaçante. Nos corps ont survécu avec la voie providentielle des baleines, des ours, avec la petite dizaine d’espèces que l’on trouve de ce côté du cercle. Grâce à la forteresse repoussante de ce froid extraordinaire, nos âmes ont survécu aux avatars du progrès venus hypocritement nous sauver.
C’est pas parce qu’on te prive de ta liberté que lorsque tu la retrouves tu te sens libre. Au contraire, tu sors avec la prison en toi et tu la portes sur ta peau avec le reste des fardeaux que cette putain de vie a foutus sur ton dos.
Notre langue n’est pas seulement orale, c’est aussi une écriture dont les signes formant l’alphabet sont la nature qui nous environne. C’est notre livre à nous, comme la Torah est celui des Juifs.
L’entrée du sanctuaire du Nunavut intérieur, un passage naturel, un goulet incontournable pour toutes les espèces. La morue, les phoques barbus, du Groenland, annelés, les morses, les narvals, les bélugas, les baleines boréales, les orques et les oiseaux aussi, les sternes arctiques, les mouettes, les oies des neiges… Un espace luxuriant où tous et tout convergent et que tous convoitent pour sa richesse, pour ses accès, les routes qu’il distribue. Une zone de prédation et de reproduction, où l’on s’entre-tue, où l’on tente de s’échapper. Jack adorait cette bande de mer. (…)
À mon sens, la destruction de ce sanctuaire et de la culture inuite était bien évidemment un désastre pour les autochtones mais aussi pour l’ensemble de l’humanité qui perd ainsi la diversité de ses relations au monde.
Les Inuits perçoivent leur environnement naturel, la faune et la flore comme le prolongement de leur corps physique. Cet espace qui s’étale devant mes yeux est un morceau de moi. J’en suis responsable, comme je suis responsable de mon corps devant les générations qui en découleront. Comment ne pas essayer de faire passer cette idée, convaincre les climatosceptiques, les fous de la grande industrie, qui s’apprêtent à sacrifier l’avenir de leurs rejetons, voire le leur ? Comment l’humanité a-t-elle fait pour arriver à un tel niveau de détestation d’elle-même ?
Depuis, la banquise a perdu la moitié de sa surface. Bientôt la zone sera à découvert, les eaux libres. Ici se croiseront, sans discontinuer, allers et retours, des porte-conteneurs. Toutes les marchandises assemblées dans les usines asiatiques iront par Lancaster satisfaire la fringale des consommateurs de la côte est des États-Unis, de l’Europe, pourquoi pas de l’Afrique. Le goût du profit est plus fort que le plus fort des ours polaires. Tout ce qui ne crèvera pas s’adaptera à cette nouvelle ère. Il n’y aura, cette fois, plus aucun refuge, plus de pôles.
Notre langue n’est pas seulement orale, c’est aussi une écriture dont les signes formant l’alphabet sont la nature qui nous environne. C’est notre livre à nous, comme la Torah est celui des Juifs.
L’entrée du sanctuaire du Nunavut intérieur, un passage naturel, un goulet incontournable pour toutes les espèces. La morue, les phoques barbus, du Groenland, annelés, les morses, les narvals, les bélugas, les baleines boréales, les orques et les oiseaux aussi, les sternes arctiques, les mouettes, les oies des neiges… Un espace luxuriant où tous et tout convergent et que tous convoitent pour sa richesse, pour ses accès, les routes qu’il distribue. Une zone de prédation et de reproduction, où l’on s’entre-tue, où l’on tente de s’échapper. Jack adorait cette bande de mer. (…)
À mon sens, la destruction de ce sanctuaire et de la culture inuite était bien évidemment un désastre pour les autochtones mais aussi pour l’ensemble de l’humanité qui perd ainsi la diversité de ses relations au monde.
Les Inuits perçoivent leur environnement naturel, la faune et la flore comme le prolongement de leur corps physique. Cet espace qui s’étale devant mes yeux est un morceau de moi. J’en suis responsable, comme je suis responsable de mon corps devant les générations qui en découleront. Comment ne pas essayer de faire passer cette idée, convaincre les climatosceptiques, les fous de la grande industrie, qui s’apprêtent à sacrifier l’avenir de leurs rejetons, voire le leur ? Comment l’humanité a-t-elle fait pour arriver à un tel niveau de détestation d’elle-même ?
Depuis, la banquise a perdu la moitié de sa surface. Bientôt la zone sera à découvert, les eaux libres. Ici se croiseront, sans discontinuer, allers et retours, des porte-conteneurs. Toutes les marchandises assemblées dans les usines asiatiques iront par Lancaster satisfaire la fringale des consommateurs de la côte est des États-Unis, de l’Europe, pourquoi pas de l’Afrique. Le goût du profit est plus fort que le plus fort des ours polaires. Tout ce qui ne crèvera pas s’adaptera à cette nouvelle ère. Il n’y aura, cette fois, plus aucun refuge, plus de pôles.
Mingoleq, couche de neige fine, Mingullaut, neige fine qui s’infiltre et se dépose sur les objets, Mituk, une pellicule de neige fine sur un trou, Munnguqtuq, la neige compressée qui s’adoucit au printemps, Nargrouti, un morceau de neige pour boucher un trou qui goutte dans un igloo, Nateq, le sol d’un igloo, Niktaalaq, neige portée par le vent. Cinquante-deux façons de désigner la neige en inuktitut. Pigangnuit, banc de neige formé par les vents du sud-est, Piqsiq, neige soulevée par le vent, Pukak, neige cristallisée qui s’effrite, Qaniktak, neige récemment tombée et qui s’accumule sur le sol, Qannialaaq, neige fine qui tombe, Qeoraliaq, neige brisée…
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