jeudi 12 mars 2020

[Darrieussecq, Marie] La mer à l'envers





J'ai aimé

 

Titre : La mer à l'envers

Auteur : Marie DARRIEUSSECQ

Editeur : P.O.L

Année de parution : 2019

Pages : 256

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Rien ne destinait Rose, parisienne qui prépare son déménagement pour le pays Basque, à rencontrer Younès qui a fui le Niger pour tenter de gagner l’Angleterre. Tout part d’une croisière un peu absurde en Méditerranée. Rose et ses deux enfants, Emma et Gabriel, profitent du voyage qu’on leur a offert. Une nuit, entre l’Italie et la Libye, le bateau d’agrément croise la route d’une embarcation de fortune qui appelle à l’aide. Une centaine de migrants qui manquent de se noyer et que le bateau de croisière recueille en attendant les garde-côtes italiens. Cette nuit-là, poussée par la curiosité et l’émotion, Rose descend sur le pont inférieur où sont installés ces exilés. Un jeune homme retient son attention, Younès. Il lui réclame un téléphone et Rose se surprend à obtempérer. Elle lui offre celui de son fils Gabriel. Les gardecôtes italiens emportent les migrants sur le continent. Gabriel, désespéré, cherche alors son téléphone partout, et verra en tentant de le géolocaliser qu’il s’éloigne du bateau. Younès l’a emporté avec lui, dans son périple au-delà des frontières. Rose et les enfants rentrent à Paris.

Le fil désormais invisible des téléphones réunit Rose, Younès, ses enfants, son mari, avec les coupures qui vont avec, et quelques fantômes qui chuchotent sur la ligne… Rose, psychologue et thérapeute, a aussi des pouvoirs mystérieux. Ce n’est qu’une fois installée dans la ville de Clèves, au pays basque, qu’elle aura le courage ou la folie d’aller chercher Younès, jusqu’à Calais où il l’attend, très affaibli. Toute la petite famille apprend alors à vivre avec lui. Younès finira par réaliser son rêve : rejoindre l’Angleterre. Mais qui parviendra à faire de sa vie chaotique une aventure voulue et accomplie ?

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Marie Darrieussecq est née le 3 janvier 1969 au Pays Basque. Elle est écrivain et psychanalyste. Elle vit plutôt à Paris.

 

 

Avis :

Rose s’est embarquée avec ses deux enfants pour une croisière en Méditerranée. Une nuit, leur énorme paquebot se porte au secours de migrants, perdus en pleine mer à bord de leur vedette surchargée. Emue par un jeune Nigérien de l’âge de son fils, Rose lui offre des vêtements et le téléphone portable de son aîné. Rentrée chez elle, elle pensera ne garder de cette histoire qu’un prénom, Younès, et des factures de portable qu’elle continuera à régler. Elle sera loin de s’imaginer où vont la mener son geste et ce lien désormais établi à travers ce téléphone.

J’ai été totalement séduite par la première partie du roman, à bord du bateau de croisière. Le récit est enlevé, empli d’un humour sarcastique sur le tourisme idiot, tandis qu’il nous fait découvrir des personnages convaincants et réalistes, dans tous leurs doutes et leurs ambiguïtés. L’on se prend de sympathie pour Rose, pour son sentiment de gêne et de culpabilité dont elle pense se tirer à bon compte, une fois reprise par le tourbillon de son quotidien, comme pour tout un chacun pas si facile.

Le livre prend ensuite un rythme moins marqué, où l’humour se fait plus discret au fur et à mesure que Rose se retrouve confrontée à de vraies décisions. Si le souffle du récit n’est plus le même, le questionnement qu’il nous soumet prend tout son sens : et vous, jusqu’où laisseriez-vous un enfant qui n’est pas le vôtre bouleverser votre existence ? Sans misérabilisme ni manichéisme, Marie Darrieussecq met le doigt sur l’embarras de notre société face à l’afflux de réfugiés que les politiques migratoires ne parviennent pas à gérer. Elle nous interroge aussi sur nos priorités et nos tracas quotidiens, si centrés sur nous-mêmes, notre famille et notre travail. Enfin, elle insiste sur l’importance du « toit » et du « chez soi », ces centres de gravité qui nous équilibrent, nous protègent, et nous identifient.

Malheureusement, cette seconde partie du récit m’a agacée par l’inutile et improbable évocation des pouvoirs de magnétiseuse de Rose, et déçue par la facilité presque naïve du dénouement, dont j’attendais bien davantage eu égard à la gravité des thèmes abordés. Ce qui commençait comme un livre coup de coeur s’est ainsi mué en une jolie lecture, sympathique et très actuelle, mais d’une profondeur par trop inégale pour convaincre totalement. (3/5)

 

 

Citations :

Qu’y a-t-il de pire qu’être dehors ? Être dehors sans rien.

Et il lui désigne leur maison du menton, la seule encore éclairée. « Regarde ce cube blanc posé au bout de ce chemin. Ce cube élémentaire, contingent, pratique, mis au point depuis longtemps, plus performant que les cavernes et les huttes, suffisamment étanche pour que le sommeil n’y soit pas un problème. Songe, lui dit son mari, que le sommeil nous plonge dans une vulnérabilité si grande qu’il faut s’en protéger le temps qu’il dure. Nous devons nous replier et répéter chaque nuit ce repli sans avoir à nous poser la question du où ni du comment. Question aussi récurrente que la faim. Le puissant vampire lui-même doit se réfugier dans sa crypte à chaque rotation de la Terre. Nous, les humains, avons besoin d’un lit et d’une porte qui ferme. Un domicile. Une adresse sur la planète. »

Depuis quelque temps la différence entre intérieur et extérieur lui est plus pénible qu’avant. Comment dire. Est-ce l’époque (ce début de millénaire) ou le fait qu’elle vieillit (son âge) ? Sa génération est aux portes du désastre tout en étant des mieux loties (surtout les femmes, quand on compare avec les zones encore barbares de la planète). La prémonition des ruines suscite une angoisse encore supérieure à celle des temps obscurs, elle en est sûre. D’où l’importance de la maison. D’être à l’abri. Et mieux qu’à Paris. Elle voudrait une maison Tupperware. Hermétique, propre, durable.

   


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