Coup de coeur 💓
Titre : Emma Picard
Auteur : Mathieu BELEZI
Parution : 2015 (Flammarion, sous le titre
Un faux pas dans la vie d'Emma
Picard),
2024 (Le Tripode)
Pages : 272
Présentation de l'éditeur :
Dans les années 1860, la France, peinant à peupler le territoire
colonisé, offre à la veuve Picard une ferme et 20 hectares de terre en
Algérie. Pour échapper à la misère et donner un avenir à ses quatre
fils, elle accepte et s’engage à corps perdu dans l’aventure.
Roman de l’obstination et de l’espoir, Emma Picard est la litanie entêtante d’une femme qui, durant toute une nuit, raconte au dernier fils survivant leur descente aux enfers. La pauvreté, le travail acharné, la famine, les sécheresses, les invasions de sauterelles… mais aussi les joies, les rires perçants, l’amour infini d’une mère pour ses enfants, et celui sans illusions d’une femme esseulée pour son amant. Personnage tragique et noble, Emma Picard porte à bout de souffle son destin sur « cette terre d’Algérie qui n’a jamais voulu et ne voudra jamais de nous ».
Roman de l’obstination et de l’espoir, Emma Picard est la litanie entêtante d’une femme qui, durant toute une nuit, raconte au dernier fils survivant leur descente aux enfers. La pauvreté, le travail acharné, la famine, les sécheresses, les invasions de sauterelles… mais aussi les joies, les rires perçants, l’amour infini d’une mère pour ses enfants, et celui sans illusions d’une femme esseulée pour son amant. Personnage tragique et noble, Emma Picard porte à bout de souffle son destin sur « cette terre d’Algérie qui n’a jamais voulu et ne voudra jamais de nous ».
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Mathieu Belezi a enseigné en Louisiane (États-Unis), et beaucoup
voyagé. Il a vécu au Mexique, au Népal, en Inde, et dans les îles
grecques et italiennes. Il partage désormais sa vie entre la France et
l'Italie. Au Tripode, il est l'auteur de Attaquer la terre et le soleil (Prix littéraire Le Monde et Prix du Livre Inter), Le Petit roi, Moi, le glorieux, Le Temps des crocodiles et Emma Picard.
Avis :
En 2022, le succès d’Attaquer la terre et le soleil convainquait les éditions Sonatine de rééditer tour à tour les précédents ouvrages de Mathieu Belezi. C’est ainsi que reparait maintenant un autre volet de sa tétralogie consacrée, sans que lui-même ait de lien particulier avec ce pays mais parce que cette période reste méconnue, aux débuts de la colonisation de l’Algérie.Si Attaquer la terre et le soleil se déroulait dans les toutes premières années de la colonisation, entrecroisant les voix d’un soldat et d’une mère de famille tout juste débarquée de France pour relater l’enfer d’une installation dans ce qui leur avait été vendu comme un eldorado, Emma Picard arrive en Algérie quelque vingt ans plus tard, en 1860. Veuve et sans ressources avec quatre enfants à charge dont deux encore très jeunes, elle a cru aux promesses d’un avenir meilleur lorsqu’un agent du gouvernement lui a proposé, à elle qui n’avait rien, une ferme de vingt hectares en Algérie.
Dès le début, le ton est donné. Hagarde, Emma qui a déjà perdu trois fils et veille le quatrième, blessé, dans les décombres de sa ferme, raconte une nuit durant, sa douloureuse litanie appesantie par la perte et les regrets se déversant en une seule longue phrase entrecoupée d’adresses accablées au mourant, leur épouvantable calvaire sur « cette satanée terre d’Algérie qui n’a jamais voulu et ne voudra jamais d’[eux] ». Mathieu Belezi se souvenait d’une telle situation évoquée par Maupassant dans un récit de voyage en Algérie. La vieille femme qu’avait rencontrée son aîné, il « en a fait [s]on Emma Picard. [Il l’a] simplement un peu rajeunie. Et puis [il l’a] laissée parler. »
Femme forte et courageuse, Emma raconte le labeur acharné et la vie habituée à se contenter de peu, dans un quotidien malgré tout joyeux parce qu’éclairé par l’espoir et conforté par les moments de répit. Pourtant, les dés sont pipés et les modestes moments d’apaisement en vérité des leurres masquant l’irrémédiable descente aux enfers qui a déjà emporté les précédents occupants de la ferme et s’apprête à faire dévaler les Picard à leur tour.
Car, peu importe le travail et l’opiniâtreté. Relégués par la colonisation sur des terres sans eau ni ressources que les catastrophes – « sécheresse, invasion de sauterelles, récoltes inexistantes ou détruites, tremblements de terre, famine, maladies » – achèvent de rendre inhabitables, ces pauvres gens dupés par de fausses promesses qui n’engageaient qu’eux – la plupart du temps des misérables sans autre choix – n’avaient dès le départ pas la moindre chance de succès. Ils sont venus grossir les rangs des près d’un Algérien sur cinq, eux aussi consignés loin des zones fertiles, décimés par la famine rien qu’entre 1866 et 1868.
Nuancée par des moments d’espoir totalement absents d'Attaquer la terre et le soleil, la narration plus progressive vers l’horreur n’en est pas moins implacable et son dénouement plus terrible encore. Mathieu Belezi offre une voix magnifique d’humanité et de vérité à ces malheureux sacrifiés, puis oubliés, dans la grande entreprise de pillage des richesses coloniales. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
— À quoi ça sert que la France pousse les gens à venir s’installer dans ce pays, si c’est impossible de gagner sa vie ?
— Mais il y en a qui font de l’or, Emma, ne le savez-vous pas ! de l’or en barres en exploitant jusqu’à la mort la sueur du burnous tout comme celle du soldat, de l’ouvrier et du paysan arrivés là par on ne sait quels concours de circonstances, et qui pour la plupart en repartiront les pieds devant !
— Mais il y en a qui font de l’or, Emma, ne le savez-vous pas ! de l’or en barres en exploitant jusqu’à la mort la sueur du burnous tout comme celle du soldat, de l’ouvrier et du paysan arrivés là par on ne sait quels concours de circonstances, et qui pour la plupart en repartiront les pieds devant !
(…) jamais, Léon, tu m’entends bien ? jamais je n’aurais pensé qu’une terre puisse nous faire autant de mal, et pourtant c’est ce qu’elle a fait, au lieu de nous enrichir elle nous a appauvris, ruinés, réduits à rien à moins que rien, Léon (…)
(…) il faudrait des mots que je n’ai pas pour décrire ce qui bouchait l’horizon dans les lointains du ciel, une masse énorme qui avait les couleurs de la poussière, et qui bouillonnait, s’embrasait, crachait sur la terre des glaires incandescentes, et tout aussitôt se reformait, s’assombrissait, et d’un bond se jetait en avant sur d’autres proies (…) et ça allait vite, aiguillonné par le simoun ça progressait à la vitesse d’un orage, et peut-être plus vite qu’un orage (…) d’abord le nuage de sauterelles a rejoint Mercier, et la lumière s’est ternie d’un coup, et le soleil a disparu sans que les ténèbres prennent sa place, nos yeux n’avaient aucun mal à distinguer les choses, mais ces choses avaient perdu leur couleur, s’étaient couvertes de rouille sous l’effet de je ne sais quel phénomène (…)
(…) nous nous sommes précipités dans la chambre et avons découvert les dégâts que les sauterelles avaient eu le temps de faire dans les pièces que nous croyions à l’abri, par où étaient-elles passées ? j’aurais été bien incapable de le dire, et Jules pas plus que moi ne comprenait comment elles s’y étaient prises pour pénétrer dans la maison et s’attaquer en aussi grand nombre à nos draps, nos rideaux, nos vêtements qui étaient en train de disparaître dans le ventre affamé de ces monstres
ça grouillait, ça crépitait, ça bourdonnait partout
et il a fallu recommencer à écraser des centaines de sauterelles qui ne bougeaient pas, qui ne s’enfuyaient pas, qui continuaient malgré notre présence à s’activer sur nos draps, nos rideaux, nos vêtements (…)
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