mercredi 2 octobre 2024

[Lighieri, Rebecca] Le Club des enfants perdus

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le Club des enfants perdus

Auteur : Rebecca LIGHIERI

Parution : 2024 (P.O.L.)

Pages : 528

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

« Si j’avais des enfants aujourd’hui, je serais en guerre », déclare Miranda, 27 ans, à la fin du Club des enfants perdus. Les enfants devraient être au centre de nos inquiétudes alors qu’ils font déjà les frais de nos choix, de nos erreurs et de nos renoncements. Miranda est emblématique de cette génération mais elle échappe curieusement aux définitions et aux diagnostics, malgré une dépression qui a révélé une sensibilité extrême, au point de développer des dons surnaturels, de susciter des apparitions, des dédoublements, des présences fantômes. Signifiant ainsi que les adultes sont incapables de discerner ce qui ne va pas chez ces jeunes en perdition, comme incapables d’accéder aux manifestations paranormales, aux communications invisibles. C’est une des grandes tensions du roman : notre rapport collectif à l’invisible, l’inexplicable, au féérique, qui s’est perdu au fil des siècles et revient ici comme symptôme romanesque de la solitude de toute une génération.
 
Le livre explore tout un univers noir et magique, issu des contes et de l’imaginaire enfantin et adolescent, qui devient métaphore d’une détresse que la société impose à ses propres enfants, et le signe romanesque du divorce générationnel devant l’état du monde. Le bref et poignant destin de Miranda illumine alors ce livre d’une noirceur éblouissante. Ses étranges pouvoirs la conduiront à éprouver une intense compassion envers la détresse de chacun, jusque dans sa propre famille, et une sombre empathie pour la violence et la cruauté du monde contemporain. Ce grand roman choral à deux voix, père et fille, oppose deux rationalités – et deux visions romanesques – qui tentent désespérément de se comprendre. Armand incarne le sens commun, une vitalité quotidienne, et Miranda une inquiétude ultra-sensible, une attention à l’invisible. « Miranda est un mystère », répète Armand. Elle appartient à un drôle de club, celui des adolescents qui n’ont « manqué de rien sauf de cette joie pure, essentielle, que certains ressentent du seul fait d’être en vie ». Miranda n’est ni consolée ni sauvée par son savoir occulte et ses pouvoirs paranormaux. Ils l’aident à vivre tant qu’elle est enfant, puis se retournent contre elle, incapable alors de supporter les arrangements obscènes du monde avec la souffrance et l’injustice.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :  

Rebecca Lighieri est écrivaine. Elle a reçu le Prix littéraire de la ville d’Arcachon en 2017 pour son livre Les Garçons de l’été et le Prix littéraire des lycéens des Pays de la Loire en 2022 pour son roman Il est des hommes qui se perdront toujours. Elle publie aussi aux éditions P.O.L sous le nom de Emmanuelle Bavamack-Tam.

 

 

Avis :

Armand mène avec son épouse Birke la vie mondaine et effrénée d’un couple d’acteurs en vue. Leur fille Miranda, avec ce qu’il perçoit chez elle d’introversion, d’effacement et de passivité, a toujours été pour lui une énigme désarçonnante et décevante. De son côté, la jeune femme de vingt-six ans a au beau s’évertuer depuis toujours aux signaux dont elle est capable, nul ne s’est jamais rendu compte combien, en éponge hypersensible, elle a emmagasiné d’insupportables angoisses face à un monde factice et menteur, courant aveuglément au-devant du désastre écologique.

C’est d’abord le point de vue du père qui ouvre le roman. Tout à ses engagements professionnels et sentimentaux qui le poussent dans la vie comme dans une course jalonnée de ses succès et de ses plaisirs, il aime suffisamment sa fille pour avoir remarqué des fausses notes. En vérité parfois tellement déroutantes qu’elles paraissent alors même relever de la paranormalité. Ce n’est pas seulement qu’à son incompréhension agacée et désappointée, Miranda reste sur le bas-côté de la vie comme il l’entend. D’étranges phénomènes se produisent, que l’on ne s’expliquera que bien plus tard dans le roman et qui, dans l’intervalle, renvoient au registre fantastique.

Puis, la narration donne la parole à Miranda, et c’est une toute autre personnalité, ainsi qu’une version bien différente de l’histoire, qu’à sa façon souvent très crue la jeune fille nous laisse appréhender, avant d’en venir, en toute fin, à la bouleversante révélation d’à quel club le titre fait mention. Avant cette émotion, l’on aura tout loisir de voir se creuser le fossé entre parents et enfants d’aujourd’hui, alors que considérée comme la plus triste et la plus déprimée de tous les temps, la génération Z s’enfonce dans l’angoisse d’un monde qui ne croit plus en l’avenir.

Rebecca Lighieri a l’art de nous égarer dans les méandres qu’amours, trahisons et secrets creusent souterrainement, de génération en génération, dans nos vies et nos personnalités, résurgeant à l’improviste en effets inconnaissables et d’autant plus dévastateurs. Débouchant dans ses paroxysmes jusqu’à l’illusion paranormale, l’incommunicabilité entre les personnages, plus particulièrement entre les parents et les enfants, cascade dans le récit de mystères en effets de surprise, et ce n’est qu’après nous avoir bien baladés de registres en références diverses que les pièces du puzzle s’assemblent en une révélation qui laisse aussi bouleversé qu’admiratif de tant d’ingéniosité narrative. (4/5)

 

 

Citations :

La plupart des gens sont convaincus d’être plus vivants que les autres. C’est cette conviction qui leur permet de ne pas être dévastés à la pensée des guerres, des famines, des séismes ou des épidémies. S’ils commençaient à prêter aux victimes un degré de conscience identique au leur, cette idée se refermerait sur eux comme un piège ; s’ils commençaient à se dire que chaque vie est unique, ils seraient obligés d’admettre que chaque mort est un drame. Or, ils en sont loin. Hormis la leur, et celle de quelques proches, toutes les existences sont frappées d’irréalité – à moins qu’elles n’aient une résolution trop basse pour s’imprimer sur leur écran personnel.
 

Vingt-sept ans, c’est l’âge critique. Si vous tenez jusqu’à vingt-huit, vous êtes sauvé. À moins que ce ne soit l’inverse. Parce que si vous tenez jusque-là, c’est que vous avez compris comment être un adulte, comment faire avec les responsabilités, les contraintes, l’ennui, l’amour, l’absence d’amour. Si vous arrivez jusque-là, c’est que vous avez accepté la vie comme un long processus de dépossession et d’affaiblissement. Si vous arrivez jusque-là, c’est que vous avez consenti à la défaite – bravo, félicitations.
 

On profite mieux de la vie quand on a conscience de sa brièveté.


 

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