J'ai beaucoup aimé
Titre : Coeur
Auteur : Thibault de MONTAIGU
Parution : 2024 (Albin Michel)
Pages : 336
Présentation de l'éditeur :
Quand son père malade le presse d’écrire sur son ancêtre Louis, capitaine des hussards fauché en 1914 dans une charge de cavalerie, Thibault de Montaigu ne sait pas encore quel secret de famille cache cette mort héroïque. Ni pourquoi elle résonne étrangement avec le destin de son propre père qui décline de jour en jour. La course contre la montre qu’il engage alors pour remonter le passé se mue en une enquête bouleversante où se succèdent personnages proustiens et veuves de guerre, amants flamboyants et épouses délaissées.
Thibault de Montaigu nous raconte une lignée hantée par la gloire et l’honneur. Mais aussi ce qu’il reste d’amour et de courage dissimulés dans le cœur des hommes.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
Très réticent à s’engager dans ce projet d’écriture, mais malgré tout soucieux de cette dernière chance de complaire à ce père autrefois si peu présent que les moindres signes de son affection lui sont inestimables, le fils finit par se lancer sur les traces du héros familial et de sa gloire couronnée à titre posthume de la croix de guerre. Alternant entre, d’un côté, le parcours de l’aïeul et bientôt d’autres ancêtres tout aussi incroyablement flamboyants – tel ce Montaigu qui, ayant refusé de fuir la Terreur, est monté à l’échafaud, comme s’il ne s’agissait là que d’un intermède inconséquent, en cornant la page du livre qu’il était en train de lire – et, de l’autre, la description sans fard de la décrépitude de l’âge et de la maladie, même si obstinément cramponnée à ses restes de panache – aveugle, grabataire et littéralement à bout de souffle, l’incorrigible joue encore les Don Juan –, la narration devient en définitive le prétexte extraordinaire d’un rapprochement entre les deux hommes, le père et le fils.
A mesure que la découverte des constantes de l’histoire familiale suggère de plus en plus nettement des circonstances atténuantes aux défaillances paternelles, le fils réalise qu’en lui proposant de s’intéresser à leur aïeul, c’est en vérité une perche que lui a pudiquement tendue son père, manière sans le dire de lui demander pardon et de lui témoigner son attachement. Ainsi se produit l’inattendu : plus se creusent les ombres et plus pèse dans le récit la conscience des tares et des héritages familiaux, plus l’auteur et son père prennent la mesure de leur amour, d’autant plus beau et précieux que fragile et malmené. Sous la gangue des frustrations, des regrets et des ressentiments cimentés par les silences, le coeur palpite toujours et il n’était que temps de s’en apercevoir.
Un livre profondément juste et touchant, dont la trame autobiographique n’empêchera pas chacun d’y trouver un écho universel et personnel : au-delà des pudeurs, des non-dits et des incompréhensions, il est une quête qu’il faut mener avant qu’il ne soit trop tard, celle des enfants vers leurs parents et vice versa. (4/5)
Citations :
Je me rappelle à la fin quand mon père m’emmenait le visiter : les tubes, la voix rauque, quasi éteinte, son mince visage de cire. C’est là-bas que j’ai compris pour la première fois qu’un autre prend notre place avant que l’on meure. Un autre que personne n’avait rencontré jusqu’alors. Et chacun ressort de sa visite en essayant de conserver en vie un geste, une phrase, une saillie qui nous rappellent celui qu’on a connu, alors qu’au fond de soi, on le sait : celui-là n’est déjà plus. Il est mort avant même de mourir, et c’est un imposteur qui a pris sa place dans son lit.
Alors je temporise, j’élude pour Pompidou. Car au fond de moi, j’ai toujours peur de pousser la porte de mon père et de trouver un imposteur à sa place.
Au fond, ces sorties en voiture m’ont peut-être appris ceci : il existe deux types de personnes dans l’existence, celles pour qui un virage est une catastrophe dans une ligne droite et celles pour qui il est la promesse d’un ailleurs, celles qui freinent ou calent car elles anticipent toujours un drame à venir et celles qui à chaque tournant de la vie s’y engagent avec hardiesse quand bien même elles ne savent pas ce qui se trouve derrière.
Ces gens-là me sont des étrangers et pourtant, à les voir poser devant l’objectif, je suis frappé par la certitude qu’ils ont d’être à leur place. Comme si le cadre et l’instant de la prise de vue concentraient tout leur être. Et qu’ils devaient y habiter pour l’éternité. Dans leur esprit, ils ne doutent pas une seule seconde que cette photo évoquera pour toujours des noms, des lieux, des souvenirs où eux-mêmes à leur manière continueront de vivre. Et il n’y a rien de plus triste de savoir qu’ils se trompent. Que ces noms, ces lieux, ces souvenirs un jour ne diront plus rien à personne et qu’alors ils mourront une seconde fois.
J’ai tant de mal à habiter le réel. Depuis tout petit déjà, j’ai appris à mettre un écran entre lui et moi-même. À me tenir à l’écart, dans un lieu hors d’atteinte, comme dans ces parties de cache-cache où l’on reste de longues minutes planqué, à écouter les voix des autres, ignorantes de cet autre monde où l’on respire au même instant et dont on tremble d’être arraché. Mon corps est une armoire où je me tiens dans le noir, mon visage une couverture jetée sur mes pensées : les gens parlent et me frôlent sans se douter que je suis tapi là, à l’abri, dans une nuit où tous les sons et les gestes sont amortis. Des années que je me cache et personne ne m’a encore découvert. Ou alors les quelques-uns qui font semblant de ne pas me voir. Qui passent en me laissant croire que le jeu ne prendra jamais fin. Que personne ne me retrouvera. Comme si j’étais retourné dans le ventre de ma mère, à cet âge où nous sommes déjà au monde sans que nul ait encore vu notre visage. Sans que nul ait pu nous toucher. Nous sommes là et nulle part à la fois. Et c’est toujours un cri quand on finit par nous arracher à ce repaire et que la lumière du jour nous éventre les paupières.
Je ne peux m’empêcher de songer à cette phrase de Maurice Béjart : « Je n’en finis pas de commencer ma vie. » Et la suite tout aussi belle : « Quand je pense qu’il y en a qui n’attendent pas vingt ans pour commencer leur mort. »
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