dimanche 20 octobre 2024

[Tripier, Perrine] Conque

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Conque

Auteur : Perrine TRIPIER

Parution : 2024 (Gallimard)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

« CONQUE : nom féminin, coquille en spirale servant d’instrument depuis des millénaires. Coquillage berceau et tombeau, où se niche, caché, le grain de sable. »
Quelque part dans un pays battu par le vent du large, Martabée, historienne de renom, est mandatée par l’Empereur sur un chantier archéologique qui vient de mettre au jour les vestiges des Morgondes, guerriers-marins millénaires, dont seuls les bardes avaient gardé la trace. Martabée est chargée de les étudier afin de redorer le roman national. Pour entremêler sa gloire à celle du pays, Martabée excave des héros et des mythes, avec émerveillement. Mais quelque chose murmure sous le sable froid. Un appel sourd, dissonant, qu’elle devra choisir de suivre ou d’ignorer. Lorsque la lucidité prendra le pas sur l’ivresse et sur la vanité, qui choisira de voir, et qui s’aveuglera encore ? Fable politique et poétique, ce deuxième roman de Perrine Tripier allie le mystère à la contemplation. Dans cette Conque s’enroulent des énigmes, portées par un souffle épique.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :   

Perrine Tripier a publié en 2023, à l’âge de vingt-quatre ans, Les guerres précieuses, unanimement salué par la critique.

 

 

Avis:   

Après son magnifique et émouvant premier roman Les guerres précieuses, Perrine Tripier poursuit son investigation de l’emprise du passé, non plus sur une narratrice enfermée dans les vestiges de son enfance, mais sur une société mythifiant son Histoire pour asseoir sa grandeur.

Dans un pays sans nom aux technologies très actuelles, des fouilles archéologiques ont mis au jour les vestiges d’une antique civilisation tournée vers la mer, dont on n’avait jusqu’ici conservé que la seule mémoire d’une geste héroïque. Ravi de cette occasion de renforcer le prestige national au travers de ces glorieux ancêtres, des guerriers capables, sur leurs frêles esquifs, de se mesurer aux océans et aux gigantesques baleines, l’Empereur en même temps soucieux de détourner l’attention de dépenses somptuaires de plus en plus contestées réquisitionne l’historienne et professeur d’université Martabée Gaeldish pour qu’elle se fasse le chantre, sous son contrôle bienveillant, de l’immense portée de cette découverte. Afin qu’elle puisse publier ses bulletins d’information dans les meilleures conditions, il lui donne les pleins pouvoirs sur le chantier de fouille et l’ensevelit sous les cadeaux princiers.

Flattée et elle-même enthousiasmée, la scientifique étouffe sa gêne face aux intrusions dirigistes et souvent ridicules du monarque pour se consacrer à ses nouvelles tâches. Tout va pour le mieux, jusqu’à ce que, donnant soudain corps au malaise jusqu’ici imprécis et insidieux persistant à infiltrer le texte en même temps que l’esprit de Martabée, l’avancement des fouilles finisse par dévoiler un visage inattendu et pour le moins ignominieux des tant fantasmés Morgondes. Le dilemme est cruel pour l’historienne. Aura-t-elle le courage de publier la vérité, elle qui a désormais tout à perdre, en plus de son indépendance ?

Toujours aussi envoûtante et sensorielle, la plume de Perrine Tripier excelle à suggérer atmosphères et sensations. D’un côté la minéralité des vestiges, de l’autre les variations de la lumière, du vent et de la mer, viennent refléter la diffraction entre l’effrayante pesanteur de la réalité historique et l’immatérialité du temps et de la mémoire. Ecrire l’Histoire est un pouvoir, de l’Histoire l’on ne retient toujours que ce que l’on veut bien, son récit est indissociable du regard et de l’interprétation de l’auteur. Alors, à l’ère post-vérité où les leaders politiques usent du langage et de l’émotion davantage que des faits et de l’argumentation, ce conte imaginaire pointe l‘instrumentalisation politique des mythes, dans un jeu de pouvoir trouble et violent évoquant aussi bien les grandes dictatures que le nouveau storystelling idéologique à l’américaine.

Aussi dérangeante que somptueusement écrite, une fable dont l’imaginaire renvoie aux réalités passées et contemporaines des manipulations politiques de la mémoire collective. (4/5)

 

 

Citations :

Ça dort comme une gemme enfouie, dont l’eau sourde est pailletée d’ombre. Dans le brouillard vert de ses profondeurs, elle fait miroiter des rivages boréals. Tant que ça dort, ça ne peut pas faire de mal. Tant que ça dort, ça ne mord pas. Cristallisé dans une émeraude, le vieux monde se tait.


Sur le pas de la porte, on regardait les collines se velouter de vert vif. Les murets de pierre moutonnaient de mousse humide, minuscules forêts spongieuses accrochées à flanc de granit. Les vallonnements verdoyants se bossuaient avec bonhomie. Le ciel gris abaissait ses brumes à hauteur d’homme. C’était du nuage câlin, du brouillard caressant, qui perlait l’air des mortels en écharpes cotonneuses. Le ciel disait « vois, je suis là », et baignait les prés, les bêtes et les hommes à foison. On sentait à tout instant les paquets de gouttes fraîches nous bécoter les joues, comme une vieille tante heureuse de notre retour nous saluerait avec empressement.

 

 

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