vendredi 18 octobre 2024

[Cingal, Grégory] Les derniers sur la liste

 


 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Les derniers sur la liste

Auteur : Grégory CINGAL

Parution : 2024 (Grasset)

Pages : 320

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Août 1944. Trente-sept officiers de renseignement alliés pénètrent au Block 17 du camp de Buchenwald. Parmi eux, le commandant Forest Yeo-Thomas, envoyé spécial de Churchill auprès des chefs intérieurs de la Résistance  ; le capitaine Harry Peulevé, chef du réseau SOE Author basé en Corrèze  ; le lieutenant Stéphane Hessel, agent des services secrets de la France libre.
Trois semaines après leur arrivée, le chef de block reçoit une première liste d’hommes à exécuter. Avec la complicité de la résistance clandestine du camp, elle-même divisée en factions rivales, ces trois officiers vont mettre au point un plan d’évasion aussi incertain que risqué  : prendre l’identité des cobayes d’un block voisin, sacrifiés pour la mise au point d’un vaccin contre le typhus.
 
Voici le roman vrai de la mission de sauvetage la plus spectaculaire de l’histoire des camps. En neuf parties composées de courts fragments, et avec une économie de moyens et une maestria impressionnantes, Grégory Cingal nous plonge dans l’univers concentrationnaire et ses logiques d’alliances et de luttes pour la survie.
D’un souffle tour à tour glacial et lumineux, haletant et minutieux, il suit les jours tissés d’attentes d’angoisses, d’espoir et de courage d’une poignée d’hommes qui, parmi les triangles verts et les triangles rouges, les médecins SS et les kapos corrompus, tentent de sauver leurs peaux. Un conte macabre, une histoire d’amitié née dans la cendre et le sang, un chef d’œuvre de style et de détails que seule la passion d’un auteur happé par son sujet pouvaient ainsi sublimer en un époustouflant roman.  

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :  

Grégory Cingal est archiviste et traducteur. Il a travaillé pendant vingt-trois ans à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Auteur aux éditions Finitude de deux récits autobiographiques, Ma nuit entre tes cils (2016) et Le revers de mes rêves (2017), il a également publié plusieurs recueils critiques consacrés à des écrivains engagés dans les tumultes du XXe siècle (David Rousset, Dwight Macdonald, Jacques-Bernard Brunius).

 

 

Avis :

Les derniers sur la liste sont trois officiers de renseignement alliés, qui, déportés à Buchenwald, vont s’appuyer sur la résistance clandestine du camp pour élaborer un plan d’évasion spectaculaire. Grégory Cingal raconte leur incroyable épopée dans un roman haletant qui, fort d’une documentation minutieuse, colle fidèlement à la réalité historique.

Ils sont trente-sept officiers, pour la plupart membres des services secrets britanniques soutenant les mouvements de résistance, à débarquer par convoi spécial à Buchenwald, à l’été 1944. Une grande partie très vite exécutée, leur plus haut gradé Forest Yeo-Thomas entreprend un combat contre la montre pour tenter de sauver les derniers.

Le plan d’évasion consiste à leur faire prendre l’identité de malades morts au bloc où une poignée de spécialistes juifs et non-juifs, eux aussi prisonniers, sont chargés, entre autres abominations expérimentales, de la mise au point d’un vaccin contre le typhus. Ces hommes, parmi lesquels l’entomologiste et résistant franco-russe Alfred Balachowsky, sabotent en réalité leur tâche en livrant depuis un an de faux vaccins à l’armée allemande. Ils acceptent de prendre d'autres risques encore avec cette évasion, qui, pour espérer réussir, devra se limiter à trois hommes. Ce sera Forest Yeo-Thomas, l’agent britannique Harry Peulevé et l’agent des Forces françaises libres Stéphane Hessel.

« La fiction est plus craintive que la réalité, elle se tient coite sous la griffe du vraisemblable. » Le récit qui n’invente rien et signale même les lacunes dans les archives qu’il se garde bien de combler, nous entraîne, sur l’atroce fond de souffrances du camp où fleurissent aussi bien de formidables solidarités que de sordides jeux de pouvoir jusqu’entre les prisonniers – les triangles rouges et verts, respectivement les communistes et les « droit commun », se battent pour les rôles de kapos et tiennent la dragée haute aux étoiles jaunes, aux triangles roses des homosexuels ou encore marron des tziganes –, dans les méandres des manipulations et des jeux d’influence de ceux qui, dirigeants du camp sentant la déroute arriver ou déportés organisant leur survie, voire une forme de résistance, calculent les risques et les chances qui leur feront gagner ou perdre leur va-tout. Aux pires abominations répond un courage inouï et c’est dans une cascade de circonstances insensées, pourtant authentiques, que se déroule cette histoire.

D’une richesse historique réservant bien des découvertes au lecteur, ce roman construit fidèlement sur la base de faits véridiques méconnus se lit en un long souffle de suspense éberlué, pour un formidable hommage à ces hommes qui, jusqu’au bout, dans les circonstances les plus terribles, ont résisté avec un courage exceptionnel. Les héros existent parfois en chair et en os. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Ainsi commence l’une des opérations de mystification les plus prodigieuses (et les plus méconnues) de la Seconde Guerre mondiale. Pendant une année entière, au nez et à la barbe de leurs gardiens, une poignée de scientifiques juifs et non juifs, prisonniers d’un camp de concentration ultra-surveillé, vont au péril de leur vie alimenter l’armée allemande de centaines de litres de faux vaccin. Sans que personne, à Berlin comme à l’intérieur du camp, sur le front militaire comme à l’arrière, découvre la supercherie. Ce fut le secret le mieux gardé de Buchenwald.
 

La fiction est plus craintive que la réalité, elle se tient coite sous la griffe du vraisemblable.
 
 
Certains, pourtant, parvenaient à prendre le maquis toutes les nuits. Ils puisaient dans leur vie nocturne une force qu’ils opposaient à la démence du jour, en rapportaient des images enchanteresses qui faisaient écran au froid, à la faim, aux coups. Le camp à leurs yeux n’était qu’une féerie noire, un simulacre piteux qui se consumait chaque nuit dans le brasier inaliénable de leurs rêves. Leur espérance de vie n’était pas plus garantie que les autres, mais au moins se payaient-ils le luxe de succomber le sourire aux lèvres.
 

Le procès à huis clos de Karl Otto Koch dévoila un invraisemblable système de racket organisé. Prélevant leur munificente part aussi bien sur les marchandises destinées à la troupe SS que sur la nourriture allouée aux détenus, Koch et sa garde rapprochée avaient vécu comme des satrapes couverts d’or et de diamants. Dans les salons lambrissés de leurs somptueuses villas, au soleil de leurs terrasses d’où ils admiraient la vue plongeante sur les vallées de conifères, festins et beuveries se succédaient dans une ronde endiablée. La porcherie de Buchenwald entretenait trois cents têtes à leur usage exclusif. On les appelait « les cochons de la Kommandantur ». Une fauconnerie, un zoo et un manège avaient été aménagés en un temps record avec le sang et la sueur des détenus. Argent, cuivre, bronze, fers forgés et bois précieux avaient été détournés en masse des usines d’armement pour être confectionnés en objets de luxe dans des ateliers clandestins. Heinrich Himmler avait reçu un soir de Noël une superbe garniture de bureau en marbre vert, cadeau princier de son dévoué Lagerkommandant. Quant à l’or systématiquement arraché aux bouches des morts et des malades, Koch en avait recyclé une modeste part dans une montre à gousset, sur laquelle il eut le bon goût de graver les dates de naissance de ses enfants.
 

Disparu au Goulag en 1938, Ossip Mandelstam disait que la poésie était « de l’air volé ». Une manière de respirer. De filtrer à pleins poumons les miasmes de l’oppression. C’était comme si j’avais sur moi de l’opium, dira plus tard Stéphane.
 

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