jeudi 10 octobre 2024

[Taïa, Abdellah] Le Bastion des Larmes

 




 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le Bastion des Larmes

Auteur : Abdellah TAÏA

Parution : 2024 (Julliard)

Pages : 224

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l’héritage familial. En lui, c’est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l’interpellent, dont celle de Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique, happé par le trafic de drogue et la corruption d’un colonel de l’armée du roi Hassan II. À mesure que Youssef s’enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l’ombre desquels Youssef a jadis fait une promesse à Najib. « Notre passé… notre grande fiction », médite Youssef, tandis qu’il s’apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d’une enfance terrible, d’un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Abdellah Taïa est né à Rabat (Maroc) en 1973. Il a publié aux Éditions du Seuil plusieurs romans, traduits dans de nombreuses langues, notamment Une mélancolie arabeLe Jour du roi (Prix de Flore 2010) et Vivre à ta lumièreLe Bastion des Larmes est son premier livre aux Éditions Julliard.

 

 

Avis :

Après bien des années d’atermoiement et d’insistance de ses six sœurs restées sur place, Youssef, professeur exilé en France depuis plusieurs décennies, se décide enfin à revenir à Salé, la ville marocaine de son enfance, pour solder l’héritage de leur mère morte. Là-bas l’attendent les souvenirs d’une jeunesse douloureuse, humiliée et violée parce que trop différente et efféminée, et qui ne cesse de le hanter à travers la voix fantomatique de Najib, son premier amour perdu. Ce dernier est quant à lui déjà revenu à Salé. Devenu gros bonnet de la drogue sous la protection d’un colonel de l’armée du roi Hassan II, un homme suffisamment puissant pour s’affranchir des lois et pour vivre sans dommage son homosexualité, il a, pour sa part, décidé de s’y venger de ses anciens tortionnaires en les rendant dépendants de ses largesses. Une revanche personnelle qui ne change rien au terrible sort communément réservé aux homosexuels dans un pays qui les criminalise toujours…

Il y a bien sûr beaucoup de l’auteur dans ce récit, lui l’homosexuel que la société marocaine ne veut pas voir et qu’à travers ses personnages, il sort de sa réclusion en le plaçant au centre de ses romans. Prolongement de lui-même, Youssef se fait la voix des minorités LGBT bafouées dans son pays, mais aussi celle des femmes – Abdellah Taïa a huit soeurs aînées qui, après leur mère, lui ont appris à inventer la liberté quand elle manque – et de tous ceux qui se retrouvent laminés par le pouvoir d’autrui. Transgressif, parfois cru, son livre est un geste politique, un acte de révolte contre la violence sociale. On y découvre une société marocaine paradoxale, empreinte d’un rigorisme moral et religieux n’empêchant aucunement, ni la corruption de faire florès, ni les puissants de favoriser, ouvertement et en toute impunité, des intérêts personnels aussi immoraux qu’illégaux. Malheur aux faibles et sans défense : « Les femmes ne devraient jamais se marier. Le mariage, c’est la mort instantanée. » Et personne ne penserait à s'y insurger contre le viol systémique des garçons trop féminins.

Si certaines scènes sont effroyables, elles sont le strict reflet d’une réalité insupportablement ordinaire contre laquelle l’auteur a décidé de se battre à coups de mots, parce que, pour que les choses changent, il faut d’abord qu’il y ait prise de conscience, et que sans les victimes pour se révolter et oser crier la vérité, cela n’adviendra jamais. Cette rébellion, il l’inscrit jusque dans le titre du roman, en référence à l’histoire de sa ville, Salé, et aux vestiges encore visibles de la muraille construite après le raid meurtrier des Castillans en 1260. Une ville que son personnage n’évoque qu’avec effroi, mais aussi avec beaucoup d’amour. Car, au final, c’est bien l’amour, de sa mère, de ses sœurs, et celui qu’il ressent pour les autres victimes – Najib ou ce petit garçon abusé au hammam – qui le préservent du désespoir en lui redonnant l’estime de lui-même et la force de résister.

Un livre douloureux, magnifique et cruel, où la colère et la révolte finissent par trouver l’amour en réponse à l’hypocrisie et à la haine homophobe qui plombent la société marocaine. (4/5)

 

 

Citation :

Les femmes ne devraient jamais se marier. Le mariage, c’est la mort instantanée.


 

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