J'ai aimé
Titre : Femme portant un fusil
Auteur : Sophie POINTURIER
Parution : 2023 (HarperCollins)
Pages : 272
Présentation de l'éditeur :
« “Et vous, quelle violence trouvez-vous juste ?”, c’est ce que j’aurais aimé leur dire. Mais là encore je n’ai pas trouvé le courage. Ce n’est pas constant, le courage. »
Au début, elles étaient quatre. Il y avait cette annonce d’un hameau à vendre dans le Tarn, loin de tout. Alors un projet est né, le rêve d’un lieu construit par et pour les femmes. Elles l’ont fait. Claude, Harriet, Élie, Anna. Jeunes, vieilles, toutes forgées par les tentatives d’autres avant elles, guerrières jusque-là tenues au silence. Mais voilà : aujourd’hui, Claude doit répondre du meurtre d’un homme. Deux gendarmes lui font face, attendant que cette mère de famille au prénom épicène reprenne tout depuis le début. De l’utopie à la riposte. Ce jour où Claude et ses sœurs ont pris les armes.
Au début, elles étaient quatre. Il y avait cette annonce d’un hameau à vendre dans le Tarn, loin de tout. Alors un projet est né, le rêve d’un lieu construit par et pour les femmes. Elles l’ont fait. Claude, Harriet, Élie, Anna. Jeunes, vieilles, toutes forgées par les tentatives d’autres avant elles, guerrières jusque-là tenues au silence. Mais voilà : aujourd’hui, Claude doit répondre du meurtre d’un homme. Deux gendarmes lui font face, attendant que cette mère de famille au prénom épicène reprenne tout depuis le début. De l’utopie à la riposte. Ce jour où Claude et ses sœurs ont pris les armes.
Que sait-on de la violence des femmes ? De l’arrière-pays toulousain aux terres des amazones de l’Oregon, Femme portant un fusil est le récit d’une quête pour se réinventer, une ode à l’amitié et à la liberté.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Sophie Pointurier est enseignante-chercheuse et directrice de la section Interprétation en langue des signes à l’ESIT (École supérieure d’interprètes et de traducteurs) – université Sorbonne-Nouvelle. Elle est l’autrice d’un premier roman remarqué : La Femme périphérique (HarperCollins « Traversée », 2022 ; HarperCollins Poche, 2023).
Avis :
Une tradition huit fois centenaire s’est éteinte dans les dernières décennies : celle du béguinage, née au XIIe siècle sous l’impulsion de femmes désireuses de vivre, ni épouses, ni moniales, affranchies de toute domination masculine. Persécutées parfois tant leur prétention à l’indépendance suscita d’inquiétude et de réprobation au cours des siècles, les béguines ont subsisté jusqu’à l’époque moderne, où l’on vit encore des femmes de tous âges et conditions se rassembler en communautés pour y vivre de leur entraide. Il n’en existe plus aujourd’hui, mais elles ont inspiré à Sophie Pointurier une histoire contemporaine, où, plus que jamais, la liberté des femmes se conquiert de haute lutte.Elles étaient quatre, chacune avec leurs raisons de souhaiter changer de vie, à l’écart des hommes et de leur force coercitive. Une petite annonce proposant à la vente un hameau à retaper au fin fond du Tarn leur avait offert l’opportunité de leurs rêves. Alors, s’inspirant d’autres exemples avant elles, elles avaient entrepris d’y créer une communauté de femmes, ouvertes à toutes celles qui éprouvent le besoin de retrouver une forme de liberté, de se réinventer en s’appuyant sur leur sororité, loin du cadre encore très masculin de la société ordinaire. Mais on ne tourne pas si aisément le dos au monde, ou plutôt le monde ne vous laisse pas si facilement le tenir à l’écart. Cela commence par des clôtures pour préserver vos moutons de gestes malveillants et cela s’achève le fusil entre les mains, puis les menottes aux poignets au commissariat du coin. La narratrice doit répondre du meurtre d’un homme. A son récit de l’emballement des événements se mêlent ses réminiscences de tout ce qui, depuis la naissance de leur projet, les a menées au drame.
Epouses battues tentant de s’extraire de la violence, lesbiennes souhaitant vivre en paix, révoltées libertaires ou femmes simplement lasses de se heurter constamment à des parois pas uniquement de verre : que l’on s’identifie ou pas aux aspirations des personnages, que l’on approuve ou pas leur manière de s’y prendre, et surtout peut-être parce que, justement, l’on aura sans doute un peu de mal à ne pas voir certaines comme des originales quand même loufoques sur les bords, il apparaît bien vite évident que l’utopie de ces femmes ne parviendra pas plus à les préserver que leur vie en société. Le drame étant annoncé dès les premières lignes, tout le suspense du récit provient du désarroi de la narratrice, qui, dans la confusion ambiante, tente de reconstituer et de s’expliquer ce qui vient de se passer, l’inscrivant dans la continuité d’un enchaînement de circonstances que l’on découvre peu à peu.
La marginalité dérange, et comme la jungle ne renonce jamais à reprendre ses droits sur une zone défrichée, la société encore patriarcale a beau jeu de vouloir effacer cette « lubie » de femmes, que, les préjugés aidant, elle a vite fait de considérer comme forcément subversive. Preuve en est qu’elles avaient des fusils, qu’elles savaient s’en servir et qu’elles ont tué un homme, même si les deux premiers points sembleraient tout à fait naturels chez des ruraux et chasseurs masculins, et même si, peut-être, il y a eu en partie légitime défense, en tout cas, décision de se faire justice soi-même parce que, sur ce plan, plus rien n’était à attendre du côté des hommes. Loin d’idéalisations, les personnages féminins de Sophie Couturier apparaissent dans toutes leurs ambivalences, avec leurs limites et leurs faiblesses, à la fois fortes dans leur détermination, naïves et maladroites dans certaines de leurs actions, mais tellement désespérées et poussées à bout que prêtes à tout – sur ce point, l’auteur n’hésite pas à forcer le trait pour mieux troubler le lecteur.
Voici un livre fortement dérangeant, où, parce qu’il leur est autant impossible de trouver leur place au sein qu’aux marges de la société, des femmes se retrouvent en totale rupture avec la loi et la moralité, acculées à des gestes non dénués d’une certaine barbarie. Très sombre constat – désespéré ou provocateur ? – que celui de la nécessité d’une rébellion violente pour faire valoir le droit des femmes. (3/5)
Citations :
Pendant des siècles, les béguines ont su se frayer un chemin entre vie laïque, travail rétribué et vie mystique, où leur engagement était révocable. Ce statut, créé sur mesure par elles-mêmes et pour elles-mêmes, leur avait permis de contourner l’obéissance pendant des siècles. Ni mariées, ni religieuses, ni soumises. Juste : tranquilles.
Je ne sais quel aspect des béguines m’avait d’abord attirée. Peut-être la révélation naïve que le refus de la norme n’était pas nouveau dans l’histoire de l’humanité, ou encore que le Moyen Age pouvait être plus progressiste que je ne le pensais. J’étais heureuse de cette découverte tout en réfrénant ma consternation de n’avoir jamais rien su de ce mouvement qui s’était répandu partout en Europe et jusqu’en plein Paris. Comme trop souvent dans l’histoire des femmes, le pouvoir s’était chargé soit de les brûler soit de les effacer, alors qu’elles avaient été plus d’un million à vivre ainsi pendant plus de mille ans. Tout avait été orchestré au cours des siècles pour oublier ces femmes dont les seules représentations consistaient en des caricatures de vieillesse, de laideur, d’infirmité convoquées depuis la nuit des temps pour moquer celles qui osaient s’extraire de la société des hommes.
L’Oregon Women’s Land trust a été fondé en 1975 en tant qu’organisation à but non lucratif et a été la première fiducie foncière pour femmes au monde. En 1976, la fiducie a acheté l’OWL Farm, 147 acres de forêt et de prairies merveilleuses, s’engageant à préserver l’environnement naturel et à faire de la terre un espace sûr et propice à la croissance pour les femmes, quelles que soient leurs ressources financières. Des dizaines de femmes ont fait don de fonds pour acheter cette terre, dans un esprit de propriété par le public féminin.
Il n’y a rien de pire au monde que passer pour une femme qui déteste les hommes. On peut être raciste, antisémite, violeur ou bouffeur de bébés que les hommes nous le pardonneraient mieux qu’une suspicion de misandrie. (…)
Pourtant, je ne les déteste pas, moi, les hommes. Je m’en passe, c’est tout. Depuis que j’ai décidé de vivre en dehors de la société, de leurs regards, ma vie a changé, le quotidien s’est apaisé et mon corps tout entier a enfin commencé à respirer.
Une pensée m’obsède. A savoir comment, et par quelle magie, l’espèce humaine continue-t-elle de perdurer sachant ce qu’endure sa propre moitié ? Avec la misogynie décomplexée qui se répand depuis la nuit des temps, c’est un miracle que cette deuxième moitié du monde ne se soit toujours pas réveillée en rage, consciente de sa blessure collective.
Quand il faut se battre pour une cause et que cette cause est juste, qu’importe que le sang soit versé. La violence devient morale, et pourquoi pas nécessaire. (…)
« Et vous, quelle guerre légitimez-vous ? Quelle violence trouvez-vous juste ? », c’est ce que j’aurais aimé leur dire. Mais là encore, je n’ai pas trouvé le courage. Ce n’est pas constant, le courage.
Les lendemains de mort ne devraient jamais être soumis à la même routine, le jour devrait attendre avant de se lever, il devrait y avoir un silence, un changement dans notre respiration collective. Ce serait la moindre des choses.
Je ne sais quel aspect des béguines m’avait d’abord attirée. Peut-être la révélation naïve que le refus de la norme n’était pas nouveau dans l’histoire de l’humanité, ou encore que le Moyen Age pouvait être plus progressiste que je ne le pensais. J’étais heureuse de cette découverte tout en réfrénant ma consternation de n’avoir jamais rien su de ce mouvement qui s’était répandu partout en Europe et jusqu’en plein Paris. Comme trop souvent dans l’histoire des femmes, le pouvoir s’était chargé soit de les brûler soit de les effacer, alors qu’elles avaient été plus d’un million à vivre ainsi pendant plus de mille ans. Tout avait été orchestré au cours des siècles pour oublier ces femmes dont les seules représentations consistaient en des caricatures de vieillesse, de laideur, d’infirmité convoquées depuis la nuit des temps pour moquer celles qui osaient s’extraire de la société des hommes.
L’Oregon Women’s Land trust a été fondé en 1975 en tant qu’organisation à but non lucratif et a été la première fiducie foncière pour femmes au monde. En 1976, la fiducie a acheté l’OWL Farm, 147 acres de forêt et de prairies merveilleuses, s’engageant à préserver l’environnement naturel et à faire de la terre un espace sûr et propice à la croissance pour les femmes, quelles que soient leurs ressources financières. Des dizaines de femmes ont fait don de fonds pour acheter cette terre, dans un esprit de propriété par le public féminin.
Il n’y a rien de pire au monde que passer pour une femme qui déteste les hommes. On peut être raciste, antisémite, violeur ou bouffeur de bébés que les hommes nous le pardonneraient mieux qu’une suspicion de misandrie. (…)
Pourtant, je ne les déteste pas, moi, les hommes. Je m’en passe, c’est tout. Depuis que j’ai décidé de vivre en dehors de la société, de leurs regards, ma vie a changé, le quotidien s’est apaisé et mon corps tout entier a enfin commencé à respirer.
Une pensée m’obsède. A savoir comment, et par quelle magie, l’espèce humaine continue-t-elle de perdurer sachant ce qu’endure sa propre moitié ? Avec la misogynie décomplexée qui se répand depuis la nuit des temps, c’est un miracle que cette deuxième moitié du monde ne se soit toujours pas réveillée en rage, consciente de sa blessure collective.
Quand il faut se battre pour une cause et que cette cause est juste, qu’importe que le sang soit versé. La violence devient morale, et pourquoi pas nécessaire. (…)
« Et vous, quelle guerre légitimez-vous ? Quelle violence trouvez-vous juste ? », c’est ce que j’aurais aimé leur dire. Mais là encore, je n’ai pas trouvé le courage. Ce n’est pas constant, le courage.
Les lendemains de mort ne devraient jamais être soumis à la même routine, le jour devrait attendre avant de se lever, il devrait y avoir un silence, un changement dans notre respiration collective. Ce serait la moindre des choses.
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