mercredi 1 mars 2023

[Leyshon, Nell] La couleur du lait

 



Coup de coeur 💓💓

 

Titre : La couleur du lait
            (The Color of Milk)

Auteur : Nell LEYSHON

Traduction : Karine LALECHERE

Parution : en anglais en 2012
                  en français (Phébus) en 2014

Pages : 176

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

En cette année 1831, Mary, une fille de 15 ans entame le tragique récit de sa courte existence : un père brutal, une mère insensible et sévère, en bref, une vie de misère dans la campagne anglaise du Dorset.
Simple et franche, lucide et impitoyable, elle raconte comment, un été, sa vie a basculé lorsqu'on l'a envoyée travailler chez le pasteur Graham, afin de servir et tenir compagnie à son épouse, femme fragile et pleine de douceur. Elle apprend avec elle la bienveillance, et découvre avec le pasteur les richesses de la lecture et de l'écriture. Pourtant face à son employeur, Mary éprouve un continuel malaise. Un malaise devenu insoutenable à la mort de la bonne dame.
Car, au final, l'apprentissage prodigué ne lui servira qu'à écrire noir sur blanc les abus de son maître et son implacable confession : elle l'a tué.
Nell Leyshon, avec une économie de moyens remarquable, livre au lecteur la métamorphose d'une fille de ferme en meurtrière, parce que lasse d'être humiliée.

 

Un mot sur l'auteur : 

Nell Leyshon est née en 1962, à Glastonbury, dans le comté du Dorset, en Angleterre. Elle s'est fait connaître par ses pièces de théâtre enregistrées pour la BBC. Ses romans (Black Dirt, Devotion, The Voice) ont aussi remporté un vif succès. C'est La Couleur du lait qui, en 2012, l'a consacrée parmi les auteurs contemporains majeurs.

 

Avis :

Nous sommes en 1831 et Mary a quinze ans. Dans son pauvre français de paysanne, des crampes dans les doigts tant elle se hâte d’écrire avant une terrible échéance qui ne se dévoilera qu’à la fin, elle raconte son histoire, plus précisément le drame qui a fait chavirer sa vie au cours de la dernière année écoulée.

Mary est la dernière des quatre filles d’une famille de paysans pauvres du Dorset, dans le sud de l’Angleterre. Mis à part le grand-père infirme qui, cloué sur sa chaise, n’est plus qu’une bouche inutile, tous triment, du lever au coucher du soleil, aux durs travaux de la ferme, leur vie de bêtes de somme ne laissant guère de place aux sentiments. Entre la brutalité du père et la sécheresse mutique de la mère, les filles besognent doublement pour faire oublier la catastrophe d’être, toutes quatre, nées faibles femmes. Avec sa langue bien pendue, son adoration pour l’aïeul improductif et, surtout, sa patte un peu folle, Mary est celle dont le père choisit de se passer aux champs, pour l’envoyer gagner quelques sous au service du pasteur et de son épouse malade.

Dans cette demeure cossue sise au coeur du village, à seulement quelques encablures de chez elle, l’adolescente découvre tout ce qui la sépare d’un monde bourgeois dont elle n’avait jusqu’ici aucune idée. A sa stupéfaction et à son dépaysement se mêlent bientôt des sentiments partagés : certes mieux vêtue et nourrie, à l’abri des coups et bientôt initiée à la lecture et à l’écriture, elle expérimente aussi l’avilissement et l’humiliation, seule et sans recours face à la toute puissante respectabilité des notables. Pot de terre parmi les pots de fer, elle apprendra toute la fatalité de sa condition...

Menée au gré d’une grammaire hésitante ignorant notamment les majuscules, dans une langue emplie d’expressions imagées exprimant à merveille une spontanéité franche et naïve, une intelligence maline et une lucidité pleine de bon sens, la narration fait surgir de son époque une jeune paysanne aussi vraie que nature, entourée de personnages si crédibles les uns que les autres qu’ils en crèvent tous les pages. C’est durablement impressionné que l’on referme ce roman tellement implacable et magistral, en pourtant si peu de pages. Très grand coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

il faisait noir quand on est rentrées. la lampe était allumée dans la cuisine et la mère était près de la cheminée. le grand-père était déjà à table.  
bonsoir grand-père, je lui ai dit. t’as passé une bonne journée ?  
c’est la mère qu’a répondu à sa place.  
sûrement qu’il a passé une bonne journée. il a pas levé les fesses de sa chaise ce vieux fainéant.  
c’est pas qu’il est fainéant. il est obligé de rester assis à cause de ses jambes.  
autant être mort, elle a dit.  
pour sûr, j’aimerais mieux être mort que d’entendre ces sottises.  
moi je suis bien contente que tu sois vivant grand-père. parce que tu mets de la joie dans cette maison.  la mère a secoué la tête.  
qu’est-ce que ça rapporte la joie ?
 

tu es vive. je ne parlerais pas d’intelligence parce que tu n’es pas instruite, mais tu as quelque chose.  
quoi donc ?  
une astuce innée peut-être, de l’esprit.  
et c’est pas comme un cerveau instruit ?  
non, je ne crois pas. c’est informe, plus animal, plus primitif.  
animal ?  
je ne voulais pas t’insulter. les animaux sont des survivants. ils n’ont pas besoin qu’on leur enseigne quoi que ce soit.


 

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