samedi 11 mars 2023

[Cavina, Caterina] La Merlette

 



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Titre : La Merlette (La Merla)          

Auteur : Caterina CAVINA

Traduction : Murielle HERVE-MORIER

Parution : en italien en 2010,
                  en français en
2022
                 (Editions Sans Pitié)

Pages : 200

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

À Nuovariva, dans la basse plaine de l’Émilie-Romagne, les crimes domestiques sont monnaie courante, en particulier ceux commis sur les femmes ; leurs cadavres disparaissent à jamais dans les eaux glauques du marais. Un jour, le corps d’une adolescente assassinée pendant les jours de la Merlette, ne sombre pas tout de suite, mais reste à la surface glacée de l’eau jusqu’au printemps. Personne ne s’aventure à le ramasser. Bien des années plus tard, la jeune fille réapparaît mystérieusement.

Protégée par une religieuse un peu bizarre, Leonida, et un sympathique carabinier, le maréchal Fringolesi, elle devient une sorte de justicière qui abat les « porcs sur deux jambes ». Pour le reste, sa vie reprend là où elle s’était interrompue. Après une adolescence tumultueuse, la jeune femme s’intègre dans la petite communauté de Nuovariva comme chroniqueuse judiciaire. Elle détient un avantage de taille sur ses collègues journalistes : les cadavres lui racontent leur histoire.

En jonglant en permanence avec les plans spatio-temporels et en passant efficacement du genre gothique au registre picaresque et comique, Caterina Cavina a écrit un roman à la manière d’une fable moderne sans jamais tomber dans le morbide. Avec une touche de réalisme magique qui rend son propos intemporel et même d’une troublante modernité. Ici, Che Guevara et Anaïs Nin sont les parents spirituels d’une éternelle Lolita et des larmes vertes comme le limon du fleuve s’échappent des yeux des défuntes quand celles-ci révèlent d’inavouables secrets.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Caterina Cavina a coutume de dépeindre sans filtre les injustices et les maux qui affectent en particulier les femmes et dont elle-même a souffert : violences morales et   physiques,   grossophobie,   discrimination…   par l’entremise   d’héroïnes   à   la   personnalité   hors   norme.
Évitant toujours l’écueil de la vaine pleurnicherie, elle ne craint   pas   d’appeler   un   chat   un   chat   quitte   à   parfois caresser le lecteur dans le sens inverse du poil. En plus de son   humour   décapant,   ses   romans   font   avant   tout   la démonstration d’une force de caractère qui jusqu’ici lui a permis   de   traverser   les   tempêtes   de   la   vie   et   d’en surmonter les difficultés.

 

 

Avis :

Selon une vieille légende milanaise, les merles doivent la couleur noire de leur plumage à un hiver particulièrement rigoureux qui les fit se blottir dans la fumée des cheminées. Depuis lors, les trois derniers jours de janvier, réputés les plus froids de l’année, sont appelés en Italie « les jours de la Merlette ». A ce joli conte traditionnel, Caterina Cavina a imaginé une suite nettement moins féerique, placée sous l’égide du féminicide…

Son surnom de la Merlette, la narratrice le doit à son assassinat, l’un des jours du même nom. Son corps abandonné aux eaux vertes et glacées des marais du delta du Pô, l’adolescente rejoint dans ces profondeurs glauques le choeur éploré des âmes de toutes les autres femmes victimes de la violence des hommes. Elles sont une multitude à croupir dans cet oubli aquatique. Mais, contrairement à elles, notre dernière venue n’en a pas encore fini avec sa vie terrestre. La voici renvoyée parmi les vivants, bientôt chroniqueuse judiciaire animée d’un impitoyable esprit de vengeance.

L’on s’enfonce dans ce livre comme l’on perdrait pied dans les eaux putrides et les vapeurs méphitiques du marécage, bientôt gagné par la répulsion et le dégoût, tant, entre féminicides et infanticides, inceste, pédophilie, nécrophilie et autres joyeusetés crûment évoquées, une véritable gangrène semble, dans l’indifférence générale, corrompre les rapports domestiques. En fait d'hommes, l'on ne croise dans ces pages que « des porcs sur deux jambes », gouvernés par des pulsions sexuelles qu’ils assouvissent impunément, dans une violence devenue discrètement ordinaire. Tant pis si les victimes en perdent jusqu’à la vie, il suffit d’en détourner les yeux pour se sentir sauf, que l’on soit perpétrant ou témoin.

Si l’on ne dénoncera jamais assez ces violences faites aux femmes et même aux enfants, l’on ne peut se déprendre d’un sentiment de malaise à la lecture de ce texte imprégné des excès d’une colère que, d’après la présentation de l’auteur par l’éditeur, l’on perçoit motivée par un vécu et une souffrance personnels. A ces crimes présentés comme ordinairement répandus dans un climat d’impunité générale, l’auteur et son personnage répondent par la haine et la vengeance, versant dans une auto-justice que les aspects surnaturels du roman ne rendent pas moins dérangeante. Et, même si, sur le tard, la narratrice en vient à une forme d’apaisement, réconciliée avec l’espèce humaine au contact d’autres personnages plus droits malgré leurs déchirements personnels, l’on garde de cette lecture le sentiment nauséeux d’une vision exagérée et distordue par la haine et par la rancune, à l’origine d’une virulence de ton menant à de dangereux extrêmes.

Dans la mouvance #MeToo et BalanceTonPorc, un texte dérangeant, non pas seulement en raison des crimes qu’il dénonce, mais aussi en ce qu’il montre comment la violence corrompt, à leur insu, jusqu’à la perception du monde par les victimes. Heureusement, les hommes ne sont pas tous des porcs : c’est ce que l’on a envie de crier en refermant ce livre. (2,5/5)
 

 

Citation :  

En haut, sous le rebord du toit, on pouvait lire une inscription de style Art nouveau en lettres peintes écaillées : Nuovariva. Le nom d’un port, et en effet autrefois c’en était un. On pouvait voir des radeaux chargés de marchandises poussés par des hommes au moyen de perches qu’ils enfonçaient dans la vase. Le comble c’est qu’aucun d’entre eux n’avait jamais vu la mer. Il existe des horizons plus vastes, mais en cet endroit de la basse plaine, c’est difficile à imaginer. Nous sommes l’eau, la terre et le ciel.


 

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