jeudi 6 octobre 2022

[Stonex, Emma] Les gardiens du phare

 


 

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Titre : Les gardiens du phare
           (The Lamplighters)

Auteur : Emma STONEX

Traduction : Emmanuelle ARONSON

Parution : en anglais en 2021,
                  en francais en 2022 (Stock)

Pages : 448

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Au cœur de l’hiver 1972, une barque brave la mer déchaînée pour rejoindre le phare du Maiden Rock, à plusieurs milles de la côte de Cornouailles. À son bord se trouve la relève tant attendue par les gardiens. Mais, quand elle accoste enfin, personne ne vient à leur rencontre. Le phare est vide. La porte d’entrée est verrouillée de l’intérieur, les deux horloges sont arrêtées à la même heure, la table est dressée pour un repas qui n’a jamais été servi et le registre météo décrit une tempête qui n’a pas eu lieu. Arthur Black, le gardien-chef de la Maiden, Bill Walker son irréprochable second et Vince, le petit nouveau, se sont volatilisés.
Vingt ans plus tard, alors que la mer semble avoir englouti pour toujours leurs fantômes, les veuves des trois hommes, Helen, Jenny et Michelle, ne peuvent oublier cette tragédie. Au lieu d’être unies dans le deuil et le chagrin, elles ne cessent de se déchirer, accablées par le poids de silences, de rancœurs et de remords bien trop lourds pour enfin tourner la page.
Jusqu’au jour où un écrivain à succès les approche. Il veut entendre leurs versions de l’histoire et tenter de percer le mystère du Maiden Rock. Petit à petit, le vernis se craquelle, le sel de la mer envahit le présent, et les secrets profondément enfouis refont surface… 
 
Entremêlant le récit des derniers jours d’Arthur, Bill et Vince et les voix des femmes qu’ils ont laissées derrière eux,  Les Gardiens du phare  est un roman psychologique à couper le souffle. Une inoubliable histoire d’obsession et de solitude, d’amitié et de chagrin, qui explore la façon dont nos peurs brouillent la frontière entre le réel et l’imaginaire. 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Emma Stonex est née en 1983 et a grandi dans le Northamptonshire. Avant de se consacrer pleinement à l’écriture, elle a été éditrice dans une grande maison d’édition anglaise. Elle a écrit plusieurs ouvrages sous pseudonyme. Les Gardiens du phare, son premier roman publié sous son nom, est en cours de traduction dans vingt-huit pays.

 

Avis :

En 1900, l’archipel des îles Flannan en Ecosse fut le théâtre d’un mystère qui passionna l’opinion publique et inspira livres, films et documentaires : la disparition jamais élucidée des trois gardiens du phare d’Eilean Mor. Quand, peu avant la Noël, le phare cessa soudainement de briller et qu’intrigué, le quatrième gardien, alors en congés, se rendit sur place, il trouva une installation verrouillée de l’intérieur, parfaitement ordonnée et en état de marche, mais déserte. On ne retrouva jamais la moindre trace des disparus, et, faute d'explications probantes, l’histoire est entrée dans le folklore écossais.

S’en emparant à son tour, Emma Stonex la transpose en 1972, dans un phare en mer au large de la côte de Cornouailles. L’automatisation des phares n’en est alors qu’à ses débuts, et c’est encore une équipe de quatre hommes qui se relaient à Maiden Rock pour faire fonctionner la lanterne, trois restant sur place huit semaines d’affilée pendant que le quatrième regagne la terre et sa famille pour un mois. Au phare, leur travail monotone leur laisse beaucoup de temps libre, qu’il leur faut gérer dans la promiscuité d’un huis clos qui les isole du monde plus sûrement qu’une prison, dans les conditions parfois dantesques de la mer qui les tient à sa merci. « Rien que de l’eau, de l’eau et de l’eau à des kilomètres à la ronde. Pas d’amis. Pas de femmes. Juste les deux autres, jour après jour, impossible de leur échapper, ça peut rendre complètement dingue. » 
 
Alors quand la relève arrive, parfois avec retard ou dans des conditions rendues acrobatiques par l’état de la mer, les occupants du phare sont normalement sur les dents. Sauf en ce jour de décembre, où l’approche de la navette ne déclenche aucun signe de vie. Le gardien-chef Arthur Black, son second Bill Walker et le jeune apprenti Vince se sont volatilisés, laissant quelques indices troublants mais insuffisants pour éclairer ce qui a bien pu se passer. Vingt ans plus tard, un écrivain investiguant à nouveau les faits rencontre les trois veuves. Leurs récits d’abord réservés finissent par laisser craquer les apparences, et derrière le deuil et le chagrin, se profilent bientôt les secrets que chacune s’évertue depuis si longtemps à enterrer sous le poids des remords et des rancoeurs. Entremêlant la parole des trois disparus et de leurs épouses en d’incessants sauts entre 1972 et 1992, la narration nous entraîne dans une quête qui, à défaut de lever le mystère, ne cesse de creuser de nouvelles profondeurs sous la banalité de vies ordinaires, minées par la solitude, la douleur et la peur, au point de faire vaciller les raisons au bord de la folie et de l’irrationnel.

Si la psychologie des personnages compte beaucoup dans ce roman, c’est surtout pour servir le suspense de la narration, au gré d’intrications qui dévoilent la part d’ombre de chacun sans exception, mais chargent aussi un peu la mule dans une accumulation un peu artificielle de mobiles et de responsabilités flirtant parfois avec le fantastique. Emmené sur un terrain truffé de failles derrière les faux-semblants, doutant de chacun tout en frissonnant au bord de l’irrationnel, le lecteur imparablement mordu par la curiosité en reste malgré tout un peu sur la réserve, ceci d’autant plus que l’écriture, certes l’expression de la parole peu littéraire de ses personnages, ne quitte jamais un style très oral, aux phrases minimalistes, encore plus frustrant lorsqu’il ne rend qu’assez discrètement hommage aux écrasantes et apocalyptiques grandeurs de son décor d’exception.

Inspiré d’un mystère qui n’en finit pas de frapper les imaginations, ce livre aux allures de polar a de quoi offrir quelques frissons, entre traîtrises humaines aussi bien que marines, dans le cadre fantasmagorique de la réclusion dans un phare en pleine mer. A lire entre deux lectures plus exigeantes, pour son ambiance plutôt que pour son style, dans un moment de détente addictif et facile. (3/5)

 

 

Citations : 

Il faut avoir une sacrée trempe pour supporter d’être enfermé comme ça. Pour supporter la solitude. L’isolement. La monotonie. Rien que de l’eau, de l’eau et de l’eau à des kilomètres à la ronde. Pas d’amis. Pas de femmes. Juste les deux autres, jour après jour, impossible de leur échapper, ça peut rendre complètement dingue.

Si la vie m’a appris un truc, c’est qu’il y a deux catégories de personnes. Celles qui entendent un craquement la nuit, dans une maison isolée, et qui ferment les fenêtres parce que c’est sûrement le vent. Et celles qui entendent un craquement la nuit, dans une maison isolée, et qui allument une bougie pour aller voir ce que c’est.

On a beaucoup de temps pour parler, surtout pendant le quart de nuit, entre minuit et quatre heures, et la conversation dans ces moments-là s’aventure dans des recoins sombres qu’on se dépêche d’oublier dès le lendemain matin.

Bill lui avait raconté ce qui s’était passé au phare des Smalls, au large du pays de Galles au siècle dernier. À l’époque, il y avait deux gardiens par phare, et au bout de quelques semaines l’un d’eux avait eu un accident là-bas et il était mort. Tout le monde savait que ces deux-là ne s’entendaient pas, alors celui qui était resté seul a eu peur qu’on l’accuse de meurtre s’il se débarrassait du corps. Il a donc décidé de prendre son mal en patience et d’attendre la prochaine relève. Le truc, c’est qu’au bout d’un moment il n’a plus supporté l’odeur. Il a donc construit un cercueil qu’il a accroché au sommet de la tour, mais à la première bourrasque la boîte s’est ouverte et le cadavre en décomposition s’est retrouvé là, les bras ballants. Chaque fois que le vent soufflait, les bras du macchabée heurtaient la lanterne.   On aurait dit que le cadavre faisait des signes. Qu’il disait au vivant, viens, lui enjoignant de le rejoindre. Ça a tourné à l’obsession. Le gars a perdu la tête. Les navires passant au loin voyaient cet homme qui faisait de grands signes ; ils n’ont jamais pensé qu’il y avait un problème, donc ils ne se sont jamais déroutés. Au bout du compte, le gardien vivant a fini par souffrir plus que le mort. Il avait été obligé d’entendre jour et nuit les coups contre la lanterne, comme si le cadavre lui demandait de rentrer. Le temps qu’il revienne à terre, il était en vrac, assailli par les cauchemars et le sifflement du vent.


 

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